1 260 milliards de dollars. Les entreprises américaines du S&P 500, l’un des principaux indices boursiers américains (il couvre 80 % des entreprises cotées), ont eu la main lourde sur les rachats d’actions en 2022. La France n’est pas en reste : malgré une conjoncture difficile et une baisse de 9,5 % sur l’année, le CAC 40 a « rendu » pour près de 23,7 milliards d’euros l’année dernière.
Le rachat d’actions consiste, pour une entreprise, à envoyer de l’argent aux actionnaires de deux façons : d’abord en leur achetant leurs actions, puis en faisant, pour ceux qui en ont conservé, grimper le cours de Bourse, et augmenter le bénéfice par action (moins il y a d’actions disponibles, plus les rendements par action sont élevés). Le phénomène s’accélère ces dernières années : selon la banque Goldman Sachs, la demande des entreprises pour leurs propres actions dépasse même depuis 10 ans celle des particuliers ou des fonds d’investissement.
De quoi générer une réaction politique : appelant les entreprises à « faire ce qui est juste », Joe Biden a passé mi-janvier le taux d’imposition sur les rachats d’actions de 1 à 4 %, mais sans dissuader les sociétés : le premier mois de l’année a battu des records aux États-Unis, avec 132 milliards déjà rendus aux actionnaires.
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Un détournement de l’investissement ?
Les démocrates américains ont pour ambition d’imposer aux entreprises plus d’investissement de long terme. Les critiques pointent en effet le court-termisme du rachat d’actions, qui utilise les liquidités des entreprises au pur profit des actionnaires, sans rémunérer les salariés ni favoriser la croissance de l’entreprise.
Les actionnaires se montreraient trop gourmands – exigeant historiquement 15 % de retour sur investissement annuel environ – et profiteraient aujourd’hui de marchés financiers où la liquidité est très élevée, grâce à des politiques monétaires favorables et malgré les resserrements récents de la FED et de la BCE.
À l’inverse, les défenseurs du rachat d’actions pointent que le mécanisme est une utilisation de l’argent meilleure qu’un investissement non stratégique. Rendu aux investisseurs, il peut ensuite être déployé ailleurs dans l’économie – et mieux exploité. Des études soulignent d’ailleurs que les sociétés disposant de plus de marges financières pratiquent une gestion moins exigeante et réalisent souvent des investissements moins rentables.
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Théorie de l’agence
Bref, les rachats d’actions ne créent pas de valeur, ni pour les actionnaires, ni pour l’économie, s’ils ne permettent pas de réinvestir dans des sociétés plus performantes. Ces opérations sont peut-être motivées par d’autres facteurs, comme la volatilité : quand une entreprise distribue généreusement en dividendes ou en rachats, le cours de son action est plus stable, elle peut attirer plus facilement des investisseurs.
Enfin, selon les tenants de la théorie dite « de l’agence », les rachats d’actions tiennent à la volonté des actionnaires d’asseoir leur pouvoir : détenteurs de l’entreprise, ils chercheraient à limiter le pouvoir des dirigeants, en les empêchant d’agir dans un intérêt trop différent du leur. À une nuance près : nombreux sont les dirigeants à être eux-mêmes actionnaires de grands groupes.