« Des erreurs il y en a eu plein, il a fallu faire le palmarès pour trouver ce qui détenait la palme d’or quand on s’est lancées », rit Wye Morter, cofondatrice de Réjeanne. Pour lancer leur produit, une culotte absorbante pour les règles, elle et son associée Alexandra Rychner optent en octobre 2018 pour un financement participatif sur la plateforme Ulule. Il dépasse toutes leurs espérances : 800 préventes le premier jour, quand elles en espéraient quelques centaines sur toute l’opération.
Alors qu’elles ont commencé à chercher des ateliers de fabrication de lingerie avant le crowdfunding, elles demandent au dirigeant de l’atelier avec qui elles ont déjà conclu un partenariat s’il pense possible de tenir les délais malgré une production plus forte qu’attendue pour une équipe réduite. « Il y avait deux couturières et le dirigeant, qui nous regarde droit dans les yeux et dit qu’ils peuvent faire 10 000 culottes par mois facile, alors que rien n’est automatisé. On a un énorme doute, notre instinct nous dit que c’est étrange, mais s’il le dit, ce doit être vrai », raconte Alexandra Rychner.
Le rythme de production ne suit pas
Le crowdfunding se conclut sur 8 000 préventes en 45 jours. L’engagement des deux entrepreneuses est de tout livrer en deux mois, et le dirigeant de l’atelier continue d’affirmer qu’il tiendra les délais. « La première semaine, il sort 50 culottes, les semaines suivantes : idem, raconte Alexandra Rychner. Le plus qu’ils aient fait était 200 ou 300 par mois A ce rythme-là, cela allait prendre des années ».
Conséquence : les livraisons prennent du retard. « Au bout d’un mois, on a réalisé que ce n’était pas du tout réaliste, assure Alexandra Rychner ». Mais « la confection est un secteur assez particulier, beaucoup d’ateliers ont été fermés après délocalisation, explique Wye Morter. Courant décembre, quand on a réalisé qu’on n’aurait pas nos culottes dans les temps, on a accéléré les recherches. On a arpenté la France et mis deux bons mois pour trouver chaussure à notre pied ».
La difficulté est renforcée par le fait que les culottes menstruelles sont encore complètement nouvelles en France. « Les ateliers ne connaissaient pas le produit et ses spécificités, raconte Alexandra Rychner, d’autant que ce n’étaient pas juste des modèles basiques, nous étions les premières à travailler la dentelle. Il fallait expliquer ce que c’était, le concept, comment c’était fait ».
Et les deux entrepreneuses se heurtent parfois au rejet. « On a eu aussi des ateliers dégoûtés par les produits, confirme Wye Morter. On nous a fermé beaucoup de portes, des dirigeants, souvent des hommes de plus de 45-50 ans, dans le milieu depuis trente ans, nous disaient ‘qu’est-ce que c’est que cette couche pour adultes dégueulasse que vous voulez essayer de faire fabriquer chez nous, il n’en est pas question’ ».
Les deux anciennes avocates doivent prévenir les clientes du retard. « Les gens ont été compréhensifs », reconnaît Wye Morter. Alors que les livraisons étaient prévues pour décembre et janvier, les dernières se feront en mars – avril, soit trois mois de retard. « C’est long, mais cela aurait pu être bien pire ». « On aurait pu ne pas lancer Réjeanne », confirme Alexandra Rychner.
Suivre son instinct
Avec le recul, elles estiment avoir commis cette erreur car « on n’était pas du milieu, pas du tout expertes en couture, reconnaît Alexandra Rychner, on n’avait pas l’expérience » pour jauger la vitesse de confection. Au-delà de cela, Wye Morter estime qu’« on ne s’est pas fait confiance. On doutait, mais il avait commencé à dire ‘ça fait des dizaines d’années que je fais ce métier, je sais ce que je fais, laissez-moi faire’ ».
Pour Alexandra Rychner, « la leçon qu’on en a vraiment tirée, c’est que les gens racontent beaucoup de choses mais qu’il faut toujours suivre son instinct, surtout quand ce qu’on nous dit ne correspond pas à la réalité de ce qu’on voit ». Selon Wye Morter, « l’idée n’est pas de croire ou pas mais vérifier ce qu’on nous dit. Je pense qu’il avait très envie de le faire mais ce n’est pas pour cela qu’il a réussi ». Elles assurent que désormais, « si l’une pense que quelque chose ne fonctionne pas, l’autre ne dit pas ‘non, ça va aller' mais ‘OK, tu ne le sens pas, pourquoi ?’ et on creuse ».