Renault a confirmé ce lundi qu’il vendait ses actifs à l’Etat russe. Le groupe français était l’actionnaire majoritaire (67,69%) d’une coentreprise possédant le constructeur Avtovaz, plus connu sous le nom commercial Lada. Le reste du capital de cette joint-venture (32,31%) appartenait à Alliance Rostec Auto, une entreprise d’Etat qui fait partie des cibles à sanctionner pour les Etats-Unis comme pour l’Europe.
Le 23 mars dernier, Renault avait été tout à fait clair : l’activité de l’usine Renault de Moscou était suspendue sine die en raison du conflit et des sanctions. Mais si Renault était tant exposé en Russie, ce n’est en effet pas seulemement à cause de son usine moscovite.
Le retrait de Russie pèsera sur les résultats 2022. Le groupe français prévoit ainsi une marge opérationnelle pour le groupe « de l’ordre de 3%, contre 4% précédemment » tandis que les liquidités générées par l’activité automobile ont aussi été revues à la baisse.
Le constructeur s’engage simplement sur la génération d’un « free cash-flow opérationnel positif » pour cette année, alors qu’il pariait voilà peu sur un montant de free cash-flow supérieur à un milliard d’euros.
Renault procèdera aussi à une « charge d’ajustement » sur les résultats du premier semestre 2022 « correspondant à la valeur des immobilisations incorporelles, corporelles et goodwill consolidés du groupe en Russie. Celle-ci s’élevait à 2,1 milliards d’euros au 31 décembre 2021 » selon le constructeur. À noter que les actifs russes représentaient presque 10% des actifs corporels et incorporels de l’ensemble du groupe.
Honorer la dette ?
Car Renault est implanté en Russie depuis longtemps. Le premier accord remonte à 1966, mais c’est en 2008 que les choses accélérèrent, lorsque Vladimir Poutine, las de voir les Lada être la risée des automobilistes européens, appelle Renault à l’aide.
Le constructeur français achète alors 25% des parts d’Avtovaz, et ne cessera ensuite de monter au capital du constructeur en épongeant toute une série de dettes. Sans doute est-ce là le premier effet majeur pour Renault : en cas de départ définitif de la Russie, il s’agira en premier lieu d’honorer les créances : « La dette de nos entreprises est locale » a prévenu l’ex-directrice financière du groupe en février dernier, « et elles sont fortement endettées, surtout Avtovaz ». D’après les documents financiers de Renault, Avtovaz était endetté à hauteur de 597 millions d’euros au 31 décembre 2021.
Le coût social d’un éventuel départ est aussi à ne pas négliger. Si l’on ne sait pas précisément combien d’expatriés seront bientôt de retour, les documents financiers de Renault savent combien coûtent ceux qui font vivre la marque : 62,6 millions d’euros de frais de personnel pour Renault Russie en 2021 et 393,1 millions d’euros pour Avtovaz.
Faudra-t-il licencier ? Reclasser ? « La situation de l’entreprise est délicate ; 45 000 salariés pour 500 000 véhicules produits, c’est à peu près pareil qu’en France » signale à nouveau Jean-François Nanda de la CFDT.
Le conflit avec l’Ukraine tombe d'autant plus mal pour Renault que le constructeur commençait à percevoir le prix de ses efforts, ou plutôt de ses investissements. D’après diverses sources, Renault a déjà injecté au moins 2 milliards d’euros dans son aventure russe. Le revenu contributif réalisé par le groupe Renault en Russie en 2021 a été de 4,5 milliards d’euros, « soit 9,9% du revenu total consolidé » d’après les documents financiers du constructeur.
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Avtovaz a généré 247 millions d’euros de marge opérationnelle en 2021, soit presque autant que le reste du groupe Renault, qui a dégagé 260 millions d’euros. La marge opérationnelle du Russe a ainsi été égale à 8,7% l’an passé, celle du Français à 0,6% ! Avec un chiffre d’affaires de 2,85 milliards d’euros en 2021 (+10,4%), Avtovaz était enfin repassé dans le vert, en dégageant un bénéfice net de 166 millions d’euros.
L'ex "marché le plus prometteur d’Europe"
En se privant de Russie et surtout d’Avtovaz, Renault se coupe donc de son deuxième marché après la France. Le groupe a vendu 482 264 autos du côté de Moscou l’an dernier, il y détient 28,8% des parts de marché.
Il n’y a guère qu’au Maroc et en Roumanie que Renault parvient à faire mieux en termes de pénétration. Les Russes sont de surcroît des acheteurs très sûrs : « Tous les futurs clients désireux de payer à crédit sont soumis à des procédures de vérification de leur solvabilité. De plus, le solde des clients est suivi de manière continue » avance un rapport du cabinet d’audit et de conseil KPMG.
Enfin, les Russes sont loin d’avoir atteint leur plafond en matière d’équipement. Selon Autostat.ru, il y avait au 1er janvier dernier 318 voitures pour 1000 habitants sur le territoire. Un chiffre à comparer à celui de la France (482 pour 1000) ou de l’Italie (663 pour 1000) afin d’apprécier le potentiel de développement du marché automobile en Russie.
Jusqu’à la suspension des opérations, Lada constituait en outre l’une des marques favorites du groupe Renault pour partir à la conquête des marchés émergents. Les volumes étaient encore en devenir l’an dernier, avec 34 677 Lada exportées auprès de 17 pays : Biélorussie, Kazakhstan, Egypte, Bolivie, etc.
Mais en mars 2021, Renault avait signé un accord pour produire des Lada au Kazakhstan, ainsi que des véhicules plus luxueux, comme les SUV Kaptur et Arkana : se rapprocher des marchés, concevoir et produire localement avec une main d’œuvre recrutée sur place, telle était la devise du groupe Renault : « Le plan à moyen terme est d’aller chercher des pays au Moyen-Orient ou en Afrique » avait avoué à l’AFP Nicolas Maure en 2018, lors de son premier passage à la tête de Renault Russie.
Un plan qui vole aujourd’hui en éclats : « Des années d’efforts pour être un peu moins européen et un peu plus international, tout cela est remis en cause » observe au micro de TF1 Bernard Jullien, économiste et chercheur spécialiste de l’automobile au sein de l’université de Bordeaux.
Car la Russie ne constitue pas le premier accroc majeur dans la stratégie d’expansion de Renault. En 2018, le constructeur avait été contraint de sortir précipitamment d’Iran, alors frappée par un embargo international décidé par Donald Trump.
Deux ans après, des motifs économiques poussaient Renault à revoir totalement sa présence en Chine. Après de piètres résultats commerciaux (18 607 voitures vendues en 2019 par la coentreprise Dongfeng-Renault), la marque française avait remercié son partenaire local pour se concentrer uniquement sur la fourniture de véhicules électriques et utilitaires.