Carole Hercend n’est pas une DRH comme les autres. Elle est « augmentée ». En 2017, son employeur, le fabricant d’imprimantes Brother France, a équipé son service d’un Système d’information spécifique pour les ressources humaines (SIRH).
Premier effet visible de l’arrivée de ce robot assistant : fini les montagnes de feuilles volantes qui débordaient des placards. Bulletins de paie, catalogues de formation, règlement intérieur ont été numérisés et rassemblés dans un même endroit.
C’est déjà en soi une révolution dans un service longtemps asservi par les tâches administratives et étouffé par le papier. « Avant l’arrivée des outils digitaux, même un sujet aussi stratégique pour l’entreprise que la formation, c’était de la paperasse », se souvient Caroline Diard.
Ressources humaines
Division d’une entreprise qui s’occupe de la gestion du personnel. Le terme s’est imposé à partir des années 1970. Avant la Seconde Guerre mondiale, le service n’existait pas. Le patron s’occupait lui-même du versement des salaires, des recrutements et des départs. Après la guerre, la fonction s’organise, se bureaucratise en « administration du personnel ». Il a fallu attendre les travaux du psychologue Elton Mayo sur les relations humaines au travail pour que l’on parle de « ressources humaines ».
Avant de devenir enseignante-chercheuse spécialisée en management des RH à l’EDC Paris Business School, elle a exercé dans les années 1990 dans des fonctions RH au sein de groupes et de PME : « À l’époque, pour réaliser un plan de formation, je récupérais les dossiers des collaborateurs, je faisais une fiche de synthèse, j’identifiais dans la pile des catalogues les formations répondant aux objectifs de la direction, je faisais des photocopies et je les rangeais dans un dossier. »
À lire Quand l’intelligence artificielle s’invite dans le recrutement des entreprises
Les DRH choisissent leur métier pour sa dimension humaine, pour accompagner collaborateurs et managers. Malheureusement, une fois en poste, ils voient un quart de leur temps vampirisé par des tâches rébarbatives qui les clouent à leur bureau — ce que leur reprochent d’ailleurs 49 % des salariés, d'après un sondage réalisé en 2017 par le site d’emplois Qapa.
À lire Peut-on faire carrière sans jamais manager ?
Avec la numérisation, plus de feuilles volantes ni de temps perdu à les chercher. L’autre avantage du SIRH : il automatise la gestion de la paie et des temps de travail. Le logiciel récolte les données sur les salaires, applique les taux d’imposition et les différentes cotisations, génère automatiquement un bulletin et transmet les déclarations sociales aux organismes et administrations concernées. Pour les congés, le collaborateur, depuis son compte, sait combien de jours il lui reste à poser et il effectue ses demandes sur le système.
Innover grâce au temps gagné
« Grâce au temps gagné, nous avons pu déployer des projets restés jusque-là dans les cartons, comme un système de primes individuelles pour motiver les salariés, une cartographie des métiers et compétences dans l’entreprise ou des enquêtes sur le bien-être des collaborateurs », affirme la DRH augmentée de Brother France. Autrement dit, Carole et ses employés peuvent se recentrer sur ce qui en théorie est le cœur du métier.
Le rôle du DRH est stratégique. Il contribue à la performance et à la rentabilité de l’entreprise en développant le capital humain.
Emmanuel Baudouin,directeur du master 2 Management digital des RH à l’Institut Mines-Télécom Business School.
« Le rôle du DRH est stratégique. Il contribue à la performance et à la rentabilité de l’entreprise en développant le capital humain. Cela suppose d’attirer les talents, de les garder, de garantir la qualité du climat social, de communiquer les informations économiques et sociales sur l’entreprise ou encore de rappeler au dirigeant dans quel cadre réglementaire doivent être mises en œuvre ces décisions », rappelle Emmanuel Baudouin, directeur du master 2 Management digital des RH à l’Institut Mines-Télécom Business School.
Chez Brother France, le robot assistant s’occupe aussi de collecter et centraliser de multiples données sociales (taux d’absentéisme, turnover, dates des fins de période d’essai, dépenses en formation) dans un dashboard (tableau de bord) intelligent.
Si une période d’essai arrive à son terme, une alerte apparaît. Carole ou une de ses trois assistantes contacte alors le manager du salarié concerné. Pour suivre et contrôler le budget, un simple clic et les dépassements apparaissent. « Avec cet outil, nos missions changent, nous ne sommes plus seulement dans l’exécution laborieuse, mais dans l’analyse et la stratégie », juge la DRH.
Cela pourrait même modifier le regard porté sur cette fonction support. Bien que, depuis une quinzaine d’années, le DRH siège souvent au comité de direction, il a parfois du mal à se faire entendre. La faute à « une fonction perçue comme centrée sur l’humain, dont les actions, avant le numérique, étaient difficilement quantifiables », juge Caroline Diard de l’EDC Business School.
« Or le langage de la direction, c’est celui de la rentabilité, des chiffres. Un DRH augmenté dispose des données et informations pour d’une part estimer ce que coûtent à l’entreprise le turnover et les arrêts de travail, et d’autre part mesurer les gains résultant des mesures mises en place. Ces chiffres crédibilisent son discours et ses actions », estime Philippe Spach, enseignant-chercheur et responsable de la spécialité Digital RH au sein de l’école de management Léonard de Vinci.
RH digitalisées : le grand retard français
Depuis le milieu des années 2010, le marché de la digitalisation des RH grossit en moyenne de 7 % par an, selon les études du bureau d’études Markess. En 2021, en France, les logiciels RH, SIRH et autres applications mobiles spécialisées sur l’onboarding (accueil et intégration du nouveau salarié) ou la gestion des notes de frais devraient générer 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Certes, il existe depuis les années 1980 des solutions informatisant la gestion de la paie. Et les grands acteurs spécialisés dans l’édition de solutions numériques pour les RH qui dominent aujourd’hui le marché ont des décennies de service au compteur. Cegedim a ainsi été créé en 1969, Oracle en 1977 et Cornerstone en 1999.
Toutefois, il faut du temps pour que ces outils entrent dans l’entreprise, viennent équiper les services RH et changer les habitudes. Surtout en France. Selon le Cegid, en 2019, la dématérialisation du bulletin de paie était une réalité dans 20 % des entreprises françaises, contre 95 % pour l’Allemagne et 73 % pour la Grande-Bretagne. Autant dire que la digitalisation de la fonction est loin d’être achevée.
Markess veut croire que la crise sanitaire, avec l’obligation de travailler à distance, a provoqué un déclic. De nombreuses startups sont aussi convaincues du caractère irréversible de cette transformation.
Depuis le début des années 2010, 600 de ces petites structures se sont positionnées sur le marché en proposant des applications mobiles pour, par exemple, recruter sans discriminer, gérer les mobilités ou améliorer la santé et la qualité de vie au travail avec des séances de coaching et de fitness à distance.