Economie

Salaires indexés sur l’inflation : la Belgique persiste et signe

Depuis 1920, les salaires belges grimpent au rythme de l’inflation, automatiquement. Le pays est l’un des derniers a pratiquer ce mécanisme qui crispe les entreprises. En France, la gauche réclame son instauration.

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L’open space est clairsemé en ce début d’après-midi. Seules quelques voix s’élèvent depuis les longs plans de travail blancs ou depuis les banquettes rouge et mauve des « espaces détentes ». Dans cette mutuelle bruxelloise, l’ambiance est détendue. Aborder devant un journaliste la question de la revalorisation automatique de leur salaire a quelque chose d’un peu surprenant pour les employés, qui se prêtent pourtant volontiers au jeu. « Je gagnais 6 500 euros brut et, ce mois-ci, avec l’indexation automatique, mon salaire a pris 11,8 %, soit une hausse d’environ 750 euros », confie Samuel, 40 ans, qui travaille depuis deux ans dans cette mutuelle. Même bonne nouvelle pour Damien, qui perçoit désormais 5 000 euros ou pour Maxime et sa nouvelle paie de 2 300 euros brut. En Belgique, l’indexation automatique des salaires sur l’inflation « existe depuis 1920 », souligne Christophe Ernaelsteen, conseiller au Centre de compétence Économie et conjoncture de la Fédération des entreprises belges (FEB). « Elle est calculée à partir de ce que l’on appelle “l’indice santé lissé”, soit l’indice des prix à la consommation, moins l’indice de produits comme l’alcool, le tabac ou encore certains carburants, explique le conseiller. Cet indice sert de base aux commissions paritaires, qui regroupent les patrons et les syndicats, pour fixer leur régime d’indexation. Il en existe autant qu’il existe de commissions sectorielles (environ 200). Seul impératif dans chaque secteur : revaloriser les salaires au moins une fois par an. »

Rattrapage, mais pas complet

Le système ne fonctionne donc pas de la même façon pour tous : comme à la mutuelle, de nombreux travailleurs belges voient leur salaire augmenter automatiquement une fois par an. Pour d’autres, la hausse se fait par petites touches, plusieurs fois dans l’année. Et pour les fonctionnaires et les allocataires de prestations sociales, le salaire brut est revalorisé de 2 % dès que l’indice santé atteint 2 %. « C’est vraiment un bon système, car cela permet aux travailleurs belges de maintenir leur pouvoir d’achat », nous indique Damien, à la mutuelle. « C’est pratique, surtout quand je vois ma facture d’énergie qui a été multipliée par 2,5 cette année », complète Samuel. Mais l’ajustement n’est pas toujours suffisant, nuance l’économiste belge Philippe Defeyt : « Tout ce qui a été perdu en pouvoir d’achat en 2022 n’est pas rattrapé. L’indice retire de son calcul le prix de certains carburants. Or, l’année dernière, la hausse de ces derniers a été forte, mais n’a pas été prise en compte dans le calcul de l’indexation. »

Pour les petits commerces, le risque de faillite

Qu’en est-il des entreprises belges ? La FEB considère que cette indexation automatique les fragilise : « En 2022, le coût du travail en Belgique sera 2,9 % plus important que chez nos voisins allemands, français ou néerlandais ! Et en 2023, 5,7 % ! Les entreprises vont devoir répercuter ce coût sur leurs marges ou sur les prix. Il existe un risque de faillites pour les petits commerces et un risque de désinvestissement et de délocalisation pour les entreprises intégrées dans le marché international », alerte Christophe Ernaelsteen.

C’est le cas pour Guillaume, patron du bar le 1030, à Bruxelles. Avec une indexation automatique de 11 % sur le salaire de ses employés, le gérant est inquiet pour les prochains mois. « Nous n’avons pas prévu de licencier, en revanche, à contrecœur nous allons avoir recours à davantage de contrats étudiants et à de “flexi-jobistes” pour lesquels les cotisations patronales sont moins élevées. Il faut bien faire des économies. » Guillaume indique que pour compenser, il assurera sans doute plus d’heures de service lui-même. En revanche, confirme l’économiste Philippe Defeyt, « beaucoup d’entreprises sont en bonne santé, comme dans l’industrie pharmaceutique, et peuvent donc absorber la hausse ».

Pendant ce temps, à Quiévrain

De l’autre côté de la frontière, en France, le système fait des envieux. À Quiévrain, une commune que traverse la frontière, le débat sur l’indexation automatique des salaires a refait surface ces derniers mois. Des responsables politiques, surtout à gauche, demandent la mise en place de ce mécanisme, arguant une perte de pouvoir d’achat et un désavantage par rapport aux salariés des quartiers belges de la ville : en France, quand les salaires sont revalorisés au sein des accords de branches, la revalorisation est moins importante que l’inflation. Ce ne serait pas la première fois que la France utiliserait cette indexation. « Jusqu’en 1983, les salaires pouvaient être indexés sur l’inflation selon les choix des entreprises ou des branches », rappelle Gilbert Cette, professeur d’économie à l’école de commerce NEOMA Business School et ancien membre du Conseil d’analyse économique (CAE) et de la Banque de France. « Mais le gouvernement de l’époque a mis fin à ce système à cause d’un contexte similaire à celui que nous connaissons aujourd’hui, à savoir une forte augmentation des prix de l’énergie en France. L’économie du pays était engagée dans une boucle prix-salaire assez violente. » Aujourd’hui, ajoute l’économiste, « hormis quelques entreprises, dans l’énergie ou le transport maritime, qui font des profits, la situation économique des entreprises ne leur permettrait pas d’indexer les salaires sur l’inflation. Le faire aurait des effets néfastes sur l’investissement et la mobilité du capital ».

Éco-mots

Spirale inflationniste ?

Si les salariés obtiennent une revalorisation de leurs salaires, les profits des entreprises vont diminuer, les incitant à augmenter le prix de leurs produits. C’est la boucle salaires-prix. Toutefois, une étude de novembre 2022 d’économistes du Fonds monétaire international (FMI) relativise ce mécanisme, imputant aux périodes d’inflation des causes diverses et pas seulement la hausse conjointe des salaires et des prix.

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