« Le travail, c’est la santé. Rien faire, c’est la conserver. Les prisonniers du boulot n’font pas de vieux os. » Depuis 1965, les fans d’Henri Salvador sont prévenus : le travail use… surtout les ouvriers. Les Troubles musculo-squelettiques (TMS) sont un symbole de ces inégalités. En 1972, ils sont reconnus comme maladie professionnelle.
Et aujourd’hui, avec plus de 40 000 cas déclarés par an, ils sont, de loin, la première maladie liée au travail (87 % des maladies professionnelles reconnues), selon le ministère du Travail.
Les TMS touchent les articulations, les tendons ou les muscles : tendinites, syndrome du canal carpien (un TMS sur trois), lombalgies. « Ils sont provoqués par les gestes répétitifs, le travail statique, les postures tirant sur les articulations, le port des charges lourdes, mais aussi l’accélération des cadences, le manque d’autonomie. Ce type d’activités étant le lot des emplois les moins qualifiés, les ouvriers et employés sont les plus touchés. Comme les plus de 40 ans (81 % des TMS), car ce qui use, ce sont les mêmes pratiques physiques répétées sur des années. Les secteurs employant une grande part de salariés non qualifiés, comme la grande distribution, sont très impactés », explique Julien Tonner, ingénieur conseil au service prévention des risques professionnels à la Caisse régionale d’assurance maladie Île-de-France (Cramif).
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Maladies professionnelles et des accidents du travail
Selon les derniers chiffres du ministère du Travail, 69 % des cas reconnus de TMS en 2016 concernent des ouvriers contre 3,8 % des cadres. Les ouvrières sont aussi plus touchées que leurs homologues masculins : 74 cas de TMS pour 10 millions d’heures rémunérées, contre 24 pour les hommes. Enfin, dans la grande distribution (super et hypermarchés), les TMS sont à l’origine de 98 % des maladies professionnelles et plus de 50 % des accidents du travail, indique la branche Risques professionnels de l’Assurance Maladie.
Cela a un coût. Pour les salariés d’abord, « 47,2 % des inaptitudes prononcées ont pour origine les TMS », avertit Julien Tonner de la Cramif. Pour la société ensuite, le coût moyen de prise en charge (soins et indemnisations) d’un TMS est supérieur à 21 000 euros, indique l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Pour les entreprises enfin, « à travers leurs cotisations “accident du travail et maladies professionnelles”, elles financent le système d’assurance couvrant ces risques. En 2017, les TMS leur ont coûté près de deux milliards d’euros », poursuit Julien Tonner.
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Deux millions de journées perdues
Un chiffre faramineux et pourtant, l’addition ne s’arrête pas là. « Les maladies professionnelles désorganisent profondément l’entreprise. En 2021, rien que dans la grande distribution, les TMS ont entraîné plus de deux millions de jours d’arrêt de travail, soit l’équivalent de plus de 15 000 emplois à temps plein ! », indique Christophe Depogny, contrôleur de sécurité à la Carsat Centre Val-de-Loire, qui aide le magasin Cora de Blois à prévenir et réduire les risques de TMS.
« Cela fait 20 ans que nous accompagnons les entreprises sur le sujet. En 2014, nous avons mis en place une méthode efficace en quatre étapes, TMS Pros. » Huit mille établissements sont ainsi accompagnés, dont 1 127 issus de la grande distribution, pour maintenir leurs salariés le plus longtemps possible à leur poste, prévenir l’usure professionnelle et transformer leur image pour attirer de nouveaux talents.
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Les cartons aplatis, c’est fini
Cora, qui possède 61 magasins en France, a souscrit à la démarche pour 18 magasins. « En se basant sur leurs indicateurs (nombre d’arrêts maladie, accidents du travail, etc.), les Carsat nous ont permis d’identifier les magasins prioritaires », explique le groupe, dont celui de Blois (200 salariés).
Son directeur, Fabien Rivière, et Benoît Pajot, le responsable d’offre saisonnier non alimentaire désigné comme le référent interne TMS Pros, ont été formés pour identifier les facteurs de risques et les solutions, un contrôleur sécurité de la Carsat validant avec eux chaque étape de leur plan d’action. Il se rend également sur place pour vérifier qu’ « entre le déclaratif et le réel, il n’y a pas d’écart », rapporte Christophe Dupony, contrôleur sécurité de la Carsat.
Agir en priorité
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La première étape est un audit sur l’état de santé dans le magasin : nombre d’arrêts maladie et de travail, d’inaptitudes prononcées, turnover, productivité, nombre de réunions abordant le sujet des TMS avec les instances représentatives. La deuxième étape : identifier le métier où il faut agir en priorité.
Pour Cora Blois, ce fut ceux liés à la mise en rayon des produits de consommation. Troisième étape : on agit. « J’ai formé les équipes à adopter les bonnes postures, relate M. Pajot. Nous avons aussi mis en place une nouvelle organisation pour supprimer les gestes inutiles. Avant, les salariés devaient aplatir les cartons pour les mettre dans la benne. On a supprimé ce geste, et on a ajouté une benne. On a aussi créé deux équipes : une qui, à l’aide d’un chariot électrique, emporte les produits au plus près du rayon et une autre qui met en rayon », déroule le directeur.
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Améliorer les conditions de travail
« Pour que cela marche, il faut associer les salariés à la démarche. Leur demander comment ils travaillent, ce qui les gêne et de quoi ils ont besoin. C’est un bénéfice supplémentaire de TMS Pros, cette méthode renforce le dialogue social dans l’entreprise », indique Christophe Dupony. Dernière étape : on suit et on évalue les progrès.
« Quand on parle d’usure, il est impossible d’évaluer à court terme l’impact des actions. Néanmoins, nous observons déjà au bout de trois ans, une amélioration de la cohésion d’équipe et de la productivité. Notre prochain chantier : améliorer les conditions de travail des employés du rayon fruits et légumes amenés à manipuler des charges lourdes », conclut Fabien Rivière.