Lõu. Yetu, est une marque de bijoux fantaisie créée en 2015 par Camille Riou, 26 ans à l’époque. Elle fabrique des bijoux depuis ses 20 ans. « Elle les vend chez elle ou sur les marchés, jusqu’à ce qu’elle quitte son job pour se consacrer à sa passion » rapporte Le Parisien.
Maniant habilement Instagram – le réseau social préféré des marques – et surfant sur le made in France, elle connaît rapidement le succès. « Certaines pièces s’arrachent en quelques heures », note L’Obs et la marque est suivie sur Instagram par 620 000 abonnés.
Mais un autre visage de la dirigeante apparaît sur Balance ta start-up. « On ne comptait pas nos horaires, la fondatrice nous sollicitait le soir, le week-end, pendant nos congés. » « Elle fixait des objectifs intenables aux vendeuses, comme vendre 10 000 bijoux en deux jours. L’une des employées en boutique se mettait à trembler dès qu’elle était là, elle faisait des malaises et a fini en burn-out », peut-on lire.
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Une fois l’affaire rendue publique, les clientes fuient. En 48 heures, le compte Instagram de la marque perd 25 000 abonnés, selon les données de Social Blade.
Ni cadre, ni relais, ni alerte
Après Lõu. Yetu, la tempête s’abat sur Lydia (paiement mobile), Meero (plateforme de travail pour photographes), Swile (émetteur de titres-restaurants) et Doctolib. En à peine deux mois, la vitrine cool et sympathique de 150 jeunes pousses se fissure sous les coups de 1 400 témoignages dénonçant surcharge de travail, « turnover hallucinant », harcèlement moral et petits arrangements avec le droit du travail.
Ces maux ne sont, certes, pas le propre des start-up, ni ne sévissent (heureusement) dans l’ensemble du million de jeunes pousses que compte la France, selon la Direction générale des entreprises. On peut toutefois se demander si cette parole aurait pu s’exprimer hors des réseaux sociaux. Cette catharsis a mis en évidence l’absence de cadre, de relais et d’alerte sur les dérives managériales dans ces petites structures.
« Une start-up est une entreprise en émergence. Elle n’a pas encore de modèle de management bien défini. Une petite équipe fonctionne de manière informelle (tout le monde fait un peu tout) dans une ambiance conviviale et sans une hiérarchie trop pesante », définit Hamid Bouchikhi, professeur de management à l’Essec.
C’est d’ailleurs cette liberté d’organiser leur travail, sans pointeuse pour les horaires, ni costume-cravate, ni intermédiaire pour s’adresser au chef qui attire les candidats. Mais « quand on est plus libres on est aussi souvent moins protégés », souligne Maître Thierry Romand, avocat en droit du travail, associé au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, qui accompagne les entreprises.
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« Dans les start-up, il n’y a pas de véritables contre-pouvoirs, poursuit-il. Il n’y a pas de service RH (ou à l’état embryonnaire) pour expliquer aux managers et à la direction le cadre et les règles en matière d’organisation du travail. Il n’y a pas non plus de représentants du personnel pour faire remonter les conflits. »
L’organisation d’élections de représentants du personnel n’est obligatoire qu’à partir d’un effectif de 11 salariés et selon l’Insee, 95 % des jeunes pousses en comptent moins de 10. L’avocat note également chez les fondateurs et dirigeants une « méconnaissance du droit du travail, lequel n’est pas considéré comme une priorité dans un contexte où les résultats et la volonté de croissance priment ».
L’être ou le bien-être ?
La bande de copains, intéressés directement au succès de leur entreprise, rêve de devenir millionnaire, soit en asseyant leur hégémonie sur un nouveau marché, soit en se faisant racheter pour une belle somme.
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Ce rêve et cette camaraderie rendent difficile en interne l’expression de dissonances. À l’extérieur, ce n’est pas mieux, du moins à visage découvert. Peu vont aux prud’hommes.
« À Nanterre, il faut attendre 45 mois avant d’avoir une audience de jugement pour espérer, au mieux, quelques milliers d’euros. Depuis les ordonnances Macron, les indemnités pour licenciement abusif sont plafonnées à 3,5 mois de salaire pour deux ans d’ancienneté [la moyenne chez les employés de start-up, NDLR] », détaille Élise Fabing, avocate en droit social accompagnant les salariés et associée du cabinet Alkemist Avocats.
Mais cette parole enfin libérée est-elle entendue ? Avec ce #MeToo des start-up, prend-on conscience qu’ « investir sur le bien-être (chief happiness officer, table de ping-pong, séances de massage) au détriment de l’être (autonomie, équilibre entre vies personnelle et professionnelle, expression de dissonances), cela ne marche pas », comme l’affirme Hamid Bouchikhi, de l’Essec.
L’avocate Élise Fabing ayant animé, sur Balance ta start-up, des live sur le droit du travail, confie avoir été contactée par différents patrons pour réaliser des audits et être accompagnés.
Certaines entreprises épinglées, comme Iziwork (interim) ou Stella & Suzie (prêt-à-porter), ont fait leur mea-culpa et annoncé plusieurs mesures : embauche d’une juriste en interne, formation des managers, mise en place d’indicateurs mesurant la charge de travail et le moral des équipes.
Si c’est un coup de com’, cela se saura vite, tant par les clients que par les recrues potentielles. « Les jeunes générations, habituées aux réseaux sociaux, ne se laissent pas duper par les discours », conclut le professeur en management de l’Essec.