Il sort calmement de son bureau prestigieux à La Défense. Vêtu d’un costume élégant, il s’approche du vide, pose son porte-documents par terre et saute.
Luigi Casu, trader, n’a jamais travaillé de nuit ni été exposé au bruit, critères reconnus de pénibilité. Mais victime de la pression et se sentant coupable suite à des pertes financières importantes, il a mis fin à ses jours. La scène, inspirée de faits réels, se déroule au début de L’Outsider (2016), un film sur la vie de Jérôme Kerviel, lui aussi trader à la Société générale.
Extension du domaine de la pénibilité
Son cas n’est pas isolé. En France, près de 400 suicides par an seraient liés au travail, soit plus d’un par jour. Ce cas extrême révèle dramatiquement la progression de la pénibilité mentale au travail, soit l’ensemble des pressions psychologiques exercées sur le psychisme du travailleur.
Les origines de ces risques sont variées : intensité du travail, exigences émotionnelles, faible autonomie, rapports sociaux dégradés, conflits de valeurs, insécurité économique et précarité.
Il sort calmement de son bureau prestigieux à La Défense. Vêtu d’un costume élégant, il s’approche du vide, pose son porte-documents par terre et saute.
Luigi Casu, trader, n’a jamais travaillé de nuit ni été exposé au bruit, critères reconnus de pénibilité. Mais victime de la pression et se sentant coupable suite à des pertes financières importantes, il a mis fin à ses jours. La scène, inspirée de faits réels, se déroule au début de L’Outsider (2016), un film sur la vie de Jérôme Kerviel, lui aussi trader à la Société générale.
Extension du domaine de la pénibilité
Son cas n’est pas isolé. En France, près de 400 suicides par an seraient liés au travail, soit plus d’un par jour. Ce cas extrême révèle dramatiquement la progression de la pénibilité mentale au travail, soit l’ensemble des pressions psychologiques exercées sur le psychisme du travailleur.
Les origines de ces risques sont variées : intensité du travail, exigences émotionnelles, faible autonomie, rapports sociaux dégradés, conflits de valeurs, insécurité économique et précarité.
Un coût social élevé
Si l’origine de cette pénibilité est psychologique, elle est loin d’être sans conséquences physiques pour les individus : risque d’obésité, fatigue chronique, états d’anxiété, dépressions… Les salariés les plus susceptibles de souffrir d’épuisement professionnel affichent un risque accru de 79 % de maladies cardiovasculaires1.
L’un des symboles de la progression de la pénibilité psychique est l’explosion du nombre de burn out, syndrome d’épuisement résultant d’un stress chronique au travail. Plus d’un salarié sur trois2 déclare en avoir déjà subi un et une mission parlementaire a révélé qu’il existerait à minima 490 000 cas par an.
Au-delà même de la souffrance des personnes, la société et les entreprises payent cette pénibilité au prix fort. Selon une étude autrichienne, 6 % des salariés du pays sont en arrêt maladie pour des motifs de burn out. En France, le coût du stress (dépenses de soins, absentéisme, cessations d’activité, décès prématurés…) a été estimé à 3 milliards d’euros par an3.
La souffrance psychique, oubliée des lois
En dépit de l’ampleur et du coût social du phénomène, la pénibilité psychique fait face à un quasi-vide législatif et juridique, en France et dans le monde. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a reconnu le burn out comme un phénomène lié au travail qu’en 2019.
En France, au grand étonnement de tous les experts en santé au travail, seuls des critères de pénibilité physique ont été reconnus par les derniers gouvernements.
Marie-Christine Marié,experte au Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT).
« En ne prenant pas en compte la pénibilité psychique, on a reculé de 50 ans en termes de santé au travail ! » Les syndicats patronaux refusent de prendre à leur charge des problèmes qui peuvent aussi relever, selon eux, de la vie personnelle.
Ce discours des entreprises est schizophrène, tant elles ont bénéficié ces dernières années de la porosité grandissante entre vie personnelle et professionnelle, en particulier chez les cadres
Marie-Christine Marié,médecin du travail de formation.
Les cadres, oui, mais pas seulement
Une idée répandue laisse à penser que la pénibilité physique concernerait les ouvriers et la pénibilité psychique les cadres. Les enquêtes contredisent cette simplification. Les cadres, ceux qui encadrent d’autres salariés, ne sont pas surreprésentés dans les données sur la pénibilité psychologique, car ils sont protégés par une large autonomie au travail et une meilleure sécurité financière4.
En revanche, les agriculteurs, par exemple, cumulent presque tous les facteurs de risques : insécurité socio-économique, demande émotionnelle élevée, manque de reconnaissance et de soutien social.

Double charge pour les femmes
La souffrance psychique accable encore plus les femmes : elles y sont deux à trois fois plus exposées que les hommes. Elles cumulent la charge mentale au travail et celle du domicile, sont souvent le pilier des familles monoparentales et la répartition des emplois entre les sexes les amène également à être plus frappées par l’insécurité de l’emploi et le manque de soutien au travail.
Elles occupent aussi des postes (caissières, aides-soignantes…) avec une autonomie plus faible et une moindre capacité à développer de nouvelles compétences, ce qui fait augmenter les risques d’épuisement professionnel.
Nouveau risque : la culpabilité climatique
Autre facteur de risque important de burn out, la culpabilité : injonctions contradictoires et conflits éthiques prennent un sens nouveau pour les salariés dans le contexte de lutte contre le réchauffement climatique. Le fait de travailler dans une entreprise polluante n’est pas sans conséquence sur la santé mentale des employés.
« Lorsque les militants écologistes ont bloqué, en avril 2019, l’accès aux bureaux de Total, au centre d’affaires de La Défense, ils sont tombés sur des employés culpabilisés, raconte Yves Clot, chercheur en psychologie du travail. Et c’est très dommageable pour leur santé. » Faudra-t-il bientôt aller vers un accompagnement psychologique des salariés de l’industrie pétrolière ?
Notes
1. "Burn out et risque de maladie cardiovasculaire", Université de Tel-Aviv, 2013
2. "Parlons travail", Confédération française démocratique du travail (CFDT), 2017
3. "Le stress au travail, une réalité", Institut national de recherche et de sécurité (INRS), 2007
4. "Travail et bien-être psychologique, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 2018.
Autonomie, reconnaissance… la recette anti-burn out !
Des études sur les seniors ont montré que si un employeur accorde une autonomie importante à un salarié, celui-ci se déclarera en meilleure santé. Une autonomie élevée permet aussi de diminuer considérablement le risque de burn out : il est de 6 % pour les salariés avec une liberté de décision élevée, mais de 17 % en cas d’autonomie réduite.
Pour une entreprise, mieux récompenser ses salariés, accorder de la reconnaissance à leur travail, limiter les sources d’inquiétude avec des objectifs clairs et lisibles permet aussi de réduire les risques psychosociaux.
Favoriser la coopération entre salariés est également essentiel : via, par exemple, des réunions d’équipe qui soient des temps d’échange et non de transmission d’ordres.
« Il faut en finir avec les réorganisations permanentes, explique Marie-Christine Marié, experte de la santé au travail. Dans trois entreprises sur quatre où je consulte, il n’y a pas d’organigramme à jour et les salariés sont perdus ! »