Si la plupart des entreprises - les plus petites notamment - sont réticentes à voir leurs salariés travailler à distance, d’autres y voient bien leur intérêt, surtout en période de crise économique. Nous assistons actuellement à une accélération sans précédent du développement du télétravail en termes de jours accordés : avant 2020, les accords octroyaient 1,6 jour en moyenne par semaine et 0,8 quand le télétravail était annualisé, observe Christelle Maintenant, du cabinet Secafi, qui ausculte un panel de 125 accords d’entreprises sur le sujet.
Actuellement, deux à trois jours par semaine sont autorisés en moyenne. C’est le principal effet de la crise sanitaire. Un autre s’y ajoute : avant le confinement, 42% des entreprises ayant signé un accord indemnisant les télétravailleurs, à des niveaux très variés : de 3 à 80 euros par mois, et de 50 à 500 euros en une seule fois, observe la consultante qui, aujourd’hui, a l’impression que « les entreprises veulent encore moins indemniser. » La priorité étant de faire des économies. Et d’abord de mètres carrés.
Le télétravail, prolongé après la crise ?
Le groupe de conseil international qui emploie Laëtitia1 n’a pas rouvert ses bureaux depuis le confinement. Les salariés ont la possibilité de passer dans les locaux à condition de remplir un formulaire pour justifier leur besoin : une « urgence client » par exemple. Dans ces cas-là, une salle est réservée, raconte la jeune femme. « Les open space restent vides depuis huit mois ».
La salariée craint, qu’au-delà des mesures de distanciation nécessaires, la possibilité de venir au bureau reste très encadrée par la suite. Car les cabinets de conseil internationaux comme d’autres grandes entreprises n’ont pas attendu la Covid pour réduire leurs espaces.
Précédemment dans Nos vies de bureau confinées :
Saison 2, épisode 3/5 : Christophe, patron flexible avant les confinements

Se détacher de son égo et accepter de ne pas tout contrôler. Voilà les décisions qu’a prises Christophe en 2013 en optant pour le télétravail flexible pour ses employés. Sept ans plus tard, il en apprécie encore les bénéfices.
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Depuis une dizaine d’années, le mouvement du « flex office » est amorcé : les salariés n’ont plus de bureau attitré, les entreprises ayant constaté que les postes n’étaient jamais tous occupés. Chacun s’installe là où il y a de la place et se déplace avec un ordinateur et un téléphone portables pour tout bagage. Des salles pour s’isoler, des lieux de réunion sont à disposition.
C’est la fin de l’open space pour tous et toutes les activités. Résultat : un gain de surface dans les bureaux, les parkings, la cantine, mais également d’électricité, de chauffage, etc.
La transformation s’effectue souvent au moment d’un déménagement du centre d’une ville vers sa périphérie.
7 bureaux pour 10 salariés
Tentant, mais pas sans risque. Dans certaines entreprises, l’expérimentation a dû être abandonnée. Quelques repères ont été réintroduits, qui se veulent familiers, dans d’autres. Des « places de village », des « agora », des « quartiers » se sont multipliés dans ces grands groupes aux bureaux partagés, qui se trouvent en difficulté dans leur modèle en cette période de distanciation sociale.
Certains ont ré-attribué les bureaux à la rentrée et accueillent les salariés par vagues. D’autres ferment les open space, comme chez Laëtitia, qui vit et travaille avec son compagnon dans 30m2.

Flex office et télétravail vont en effet de pair dans ce modèle. Et, en moyenne, ces entreprises comptent 7 bureaux pour 10 salariés, observe Christelle Maintenant. Soit un « taux de foisonnement » de 0,7 : 70% des effectifs peuvent être présents en même temps. Mais, actuellement, « certaines entreprises commencent les négociations en disant qu’elles doivent restituer un quart de leur surface dans deux mois, que 60% des effectifs seulement peuvent être présents à la fois, » constate la consultante, qui accompagne ces négociations en Ile-de-France.
« Nous calculons alors le nombre de jours télétravaillés correspondants, qu’il faut ensuite organiser dans le temps. Mais dans ces projets, il n’y a pas de réflexion de fond sur l’organisation du travail, la charge, l’animation des collectifs. »
Christelle Maintenantdu cabinet Secafi.
Christelle Maintenant se veut optimiste malgré tout : « ça peut être gagnant-gagnant » puisque c’est l’occasion – enfin – de développer massivement le télétravail. Reste à convaincre les entreprises de négocier une indemnisation des frais liés au travail à la maison. « Nous calculons les économies réalisées grâce au télétravail pour leur montrer qu’elles peuvent financer le siège ergonomique, voire l’électricité et le chauffage. »
Quant à réfléchir à l’organisation du travail, aux activités qui nécessitent d’être sur site ou non, pour l’instant, « ce n’est vraiment pas ce qui est fait », constate, plus pessimiste, Jean-Christophe Berthod. Car, pour mener une telle réflexion, il faut du temps. Et, en ce moment, les PSE se multiplient. Certaines entreprises en profitent. D’autres sont aux abois.
Bras de fer avec les syndicats
Reste une question en forme de casse-tête : celle de la réversibilité du télétravail. « C’est une obligation légale, » développe Christelle Maintenant. « Si quelqu’un veut revenir à temps plein au bureau, il doit pouvoir le faire. Mais s’ils sont nombreux à vouloir revenir, comment faire si les surfaces ont diminué ? » Les représentants du personnel restent vigilants à un autre point également.
« Ils craignent qu’on leur explique, plus tard, que ces activités qui ont été facilement télétravaillées peuvent être réalisées ailleurs, par des entreprises prestataires, des indépendants isolés, voire à l’étranger »
Jean-Christophe Berthod.du cabinet Secafi
Le travail qu’effectuait Marie et certaines de ses collègues dans son cabinet d’expert-comptable a été confié à une entreprise sous-traitante depuis leur départ. « Mon patron n’a pas trouvé de candidats pour recruter en interne. Les trois quarts du portefeuille de paie est maintenant externalisé à une entreprise locale qui ne fait que ça », résume l’ancienne responsable d’équipe. « Ca va être plus compliqué pour nos clients, parce qu’ils auront deux interlocuteurs maintenant. »
Mais il existe encore une autre possibilité : dans son entreprise de travail temporaire, Anouk1 raconte que, de plus en plus, les salariés sont remplacés… par des robots dotés d’intelligence artificielle. « Nous faisons toujours des entretiens pour les candidats aux profils qualifiés », précise la manager. « Mais pour les profils sans qualification et les demandes de gros volumes, le robot met en relation une entreprise cliente et les intérimaires, 24h sur 24, 7 jours sur 7 ». Les agences du réseau ferment une à une. « La politique de l’entreprise est à la réduction de la masse salariale depuis une dizaine d’années » constate l’élue CFE-CGC, qui peine actuellement à faire entrer dans la négociation de l’accord sur le télétravail l’indemnisation des télétravailleurs. « Ca a été écrit noir sur blanc, ce sera non ».
1. Les prénoms ont été changés.
Série | Nos vies de bureau confinées
En mars dernier, vous avez été nombreux à suivre les cinq épisodes de la série « Nos vies de bureau confinées ». Alors, pour vous accompagner dans cette deuxième vague, Pour l'Eco a décidé de confier à nouveau la plume à Elsa Fayner. Face aux déconvenues du dernier confinement, elle interroge cette fois les retours d'expérience et envisage les solutions pour un télétravail sain et durable. Les illustrations sont signées Simon Bournel.
Retrouvez chaque dimanche un nouvel épisode. Ce 29 novembre, saison 2 épisode 5 : Madeleine, électron libre, désormais sous surveillance
Comble du confinement, le télétravail a renforcé le contrôle de certains managers sur leurs équipes. Alors qu’elles étaient libres de leurs mouvements et de leurs horaires en présentiel, elles sont désormais obligées de rendre des comptes à leur hiérarchie, malgré l’interdiction de sortir et le manque de loisir.