Economie
Télétravail : Laëtitia, ambitieuse malgré la deuxième vague
[Nos vies de bureau confinées, saison 2, épisode 2/5] Pour Laëtitia, pas question de mettre sa carrière entre parenthèses à cause d’un deuxième confinement. Au printemps dernier, elle a souffert du manque d’échanges avec ces collègues. Cette fois, comment gérer ?
Elsa Fayner
Laëtitia1 a du mal avec le « télétravail forcé », comme elle l’appelle, que le groupe de conseil qu’elle a rejoint début 2020 lui impose depuis huit mois.
Impossible en ce moment de travailler chez les clients, qui privilégient leurs salariés, mais également dans sa propre entreprise, qui n’a rouvert les capacités d’accueil de ses bureaux qu’à 10 % des effectifs. « Travailler chez moi tous les jours, c’est trop » reconnaît la Parisienne. « Les échanges avec les équipes me stimulent, donc là, ils me manquent. On est trop électrons libres. »
Le conjoint de Marie, dans le pays basque, travaille pour un expert-comptable. Il fait le même constat : ce qui lui a le plus manqué pendant le confinement, les échanges avec les collègues. Surtout le midi et à l’apéro. « C’est ma coupure d’avec la maison, » explique le trentenaire. « Ca sert à ça aussi le travail. Appartenir à une équipe, un groupe. Ca aide à s’impliquer, non ? »
Précédemment dans Nos vies de bureau confinées :
Saison 2, épisode 1/5 : Marie, naufragée de la première vague
Elle n’a pas supporté le mauvais management de son supérieur lors de la première vague de télétravail. Marie, comme d’autres, reste marquée par le confinement de mars. Comment les entreprises se sont-elles organisées pour affronter la deuxième vague, et limiter cette fois les naufrages ?
« On parle beaucoup de risque d’isolement des télétravailleurs, au sens de solitude. Mais on peut aussi être isolé au bureau. De la même manière, il est possible d’entretenir des liens réguliers à distance » analyse Jean-Christophe Berthod, spécialiste du télétravail pour le cabinet Secafi. « En revanche, l’isolement, au sens de détachement par rapport à l’entreprise, à ses valeurs, me paraît être le principal risque du télétravail. » Surtout pour les nouvelles recrues. Mais pas seulement.
« Pour démarrer dans un emploi, mieux vaut être au bureau, pour pouvoir poser toutes les questions qui viennent » poursuit le consultant. Observer, comprendre quels sont les codes de l’entreprise, quel est l’organigramme formel, et l’informel aussi (ce ne sont pas forcément ceux qui ont le grade qui exercent le pouvoir et ont l’autorité). Le salarié plus expérimenté dans l’entreprise saura, même à distance, qui contacter en cas de besoin, quel levier actionner pour arriver à ses fins. Les nouveaux arrivants sont privés de ces interactions et de cette transmission des savoirs.
« Il est plus difficile d’avoir accès à certaines informations à distance »Christelle Maintenant
consultante chez Secafi
Le conjoint de Marie l’a observé : dans son entreprise, une jeune collègue recrutée en février 2020 dans son cabinet d’expertise-comptable s’est trouvée en pleine période fiscale, pendant le confinement, à s’occuper des déclarations de revenus de ses clients. « Elle s’est démenée mais c’était dur, elle n’avait pas les connaissances, elle ne savait pas qui pouvait l’aider » raconte le trentenaire. Résultat : cet été, la direction lui a proposé une rupture conventionnelle. « Elle est tombée des nues. Elle pensait qu’on allait pouvoir la former maintenant. »
Où est passée la créativité ?
Dans les accords sur le télétravail négociés avant la crise sanitaire, parmi les critères d’éligibilité des salariés figure l’ancienneté : de 6 mois à un an au minimum, précise Christelle Maintenant, chez Secafi. Les plus anciens ne sont pas pour autant immunisés contre le risque de décrochage. « Il est plus difficile d’avoir accès à certaines informations à distance » explique la consultante. « On peut appeler un collègue qu’on connaît peu pour lui demander une information précise mais pas pour prendre des nouvelles, discuter, comme on le fait à la machine à café. Or c’est dans ces moments-là que des informations — sur les clients, les projets, les collègues — circulent. Ces moments d’échange informels permettent aussi de créer des liens qui permettront ensuite de développer l’entraide au sein des collectifs de travail. Les réunions ne suffisent pas. Chacun y incarne une fonction. La posture y est différente, plus formelle. »
Difficile de rester créatif, force de proposition, mais aussi de se distinguer, quand on travaille au loin. « Les télétravailleurs passent à côté d’informations importantes pour postuler à un poste qui se libère et évoluer dans leur carrière » constate Emilie Vayre, professeur de psychologie du travail et des organisations à l’université Lyon 2. Certains se surinvestissent : « Puisque ce n’est plus la présence physique qui marque le temps de travail, ils doivent se connecter le soir, le week-end, répondre vite pour montrer qu’ils sont actifs. » D’autres finissent par décrocher. « Les plus anciens peuvent prendre peu à peu de la distance par rapport à l’entreprise, perdre de l’enthousiasme, de l’implication » observe Jean-Christophe Berthod. « D’autant plus qu’à distance, le tutorat n’est pas possible or c’est motivant de transmettre. »
Anciens et nouveaux se retrouvent dans le même bateau. « Surtout si leur manager est très dans le contrôle » note le consultant. « L’autonomie bien menée est le meilleur facteur d’engagement. » A quoi cette « autonomie bien menée » peut-elle bien ressembler ?
1. Les prénoms ont été modifiés.
Série | Nos vies de bureau confinées
En mars dernier, vous avez été nombreux à suivre les cinq épisodes de la série « Nos vies de bureau confinées ». Alors, pour vous accompagner dans cette deuxième vague, Pour l’Eco a décidé de confier à nouveau la plume à Elsa Fayner. Face aux déconvenues du dernier confinement, elle interroge cette fois les retours d’expérience et envisage les solutions pour un télétravail sain et durable. Les illustrations sont signées Simon Bournel.
Retrouvez chaque dimanche un nouvel épisode. Ce 15 novembre, saison 2 épisode 3 : Christophe, patron flexible, n’a pas attendu les confinements
Se détacher de son égo et accepter de ne pas tout contrôler. Voilà les décisions qu’a prises Christophe en 2013 en optant pour le télétravail flexible pour ses employés. Sept ans plus tard, il en apprécie encore les bénéfices.
Séance de rattrapage ! Relire la saison 1 :
1er épisode : Hiérarchie, autonomie, engagement : les petites régressions du télétravail
2e épisode : « On ne gagne pas une négociation en caleçon ». Tenue de télétravail exigée
3e épisode : Sauver la pause-café à l’heure de la « distanciation sociale »
4e épisode : Le télétravail va-t-il supprimer la rêverie, socle de la créativité ?
5e épisode : Le télétravail confiné, un booster de burn-out ?
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