Economie
Télétravail : Marie, naufragée de la première vague
[Nos vies de bureau confinées, saison 2, épisode 1/5] Elle n'a pas supporté le mauvais management de son supérieur lors de la première vague de télétravail. Marie, comme d'autres, reste marquée par le confinement de mars. Comment les entreprises se sont-elles organisées pour affronter la deuxième vague, et limiter cette fois les naufrages ?
Elsa Fayner
Marie a rangé la chaise paillée qui lui servait de siège de bureau et le dictionnaire qui faisait office de repose-pied. Elle n’a pas repris le chemin du cabinet d’expert-comptable qui l’employait dans le pays basque : elle l’a quitté, à la rentrée, après un printemps de télétravail confiné qui a exacerbé la volonté de contrôle de son employeur.
« Le télétravail m’a révélé qui était mon employeur »résume Marie, dépitée.
« Il passait son temps à me demander pourquoi j’étais plus lente qu’avant à faire les fiches de paie et les contrats des clients : C’est tout simplement que, comme je travaille en binôme et que rien n’avait été organisé, tout a duré plus longtemps. Mais, pour lui, je tirais au flanc » déplore la responsable d’équipe. En plus, quand elle est revenue au bureau en tremblant, on lui a reproché de ne pas avoir dit qu’elle ne s’en sortait pas et qu’elle faisait des heures supplémentaires.
Du coup, elle a fini par demander une rupture conventionnelle. « Le télétravail m’a révélé qui était mon employeur », résume-t-elle dépitée.
80 %
de cadres « largement satisfaits de leurs nouvelles conditions de travail » au printemps dernier. Source : CFDT.
En France, le télétravail, c’est compliqué. Les salariés qui le pratiquent le plébiscitent. Succès confirmé au printemps dernier : plus de 80 % des cadres interrogés par la CFDT se sont déclarés « largement satisfaits de leurs nouvelles conditions de travail ».
Les trois quarts des travailleurs sollicités par le cabinet Secafi ont déclaré eux aussi vivre le télétravail « plutôt bien ou très bien ». Sans les enfants sur les genoux, bien sûr, et avec un poste de travail adapté, quand même. Et pas tout le temps. D’ailleurs, Marie est prête à télétravailler dans son prochain emploi, deux jours par semaine, « si le responsable fait en sorte que ça se passe bien et me fait confiance. »
En France, 7% des salariés télétravaillaient avant la crise sanitaire, d’après la DARES, contre un quart pendant le confinement, pour revenir à un petit 10% une fois la première vague de l’épidémie retombée, selon un sondage Odoxa.
60%
des DRH s’imaginent que « peu ou pas d’investissements » seront requis pour mener à bien la transformation nécessaire au développement du télétravail/ Source : ANDRH.
En septembre, les entreprises qui ne l’avaient pas fait ont commencé à négocier des accords de télétravail de plus en plus demandés par les organisations syndicales. Christelle Maintenant et Jean-Christophe Berthod accompagnent ces négociations pour le cabinet Secafi, chacun dans une région. Leurs constats se rejoignent : la majorité des entreprises qui font appel à leurs services sont réticentes – ce sont surtout des PME -, tandis que les plus grosses entreprises voient là une opportunité pour économiser des surfaces de bureaux.
Toujours pas de politiques de télétravail
« Rares sont les entreprises qui développent une vraie politique de télétravail » note Jean-Christophe Berthod. La crise économique, l’urgence, rendent la réflexion difficile. Et près de 60% des DRH s’imaginent que « peu ou pas d’investissements » seront requis pour mener à bien la transformation nécessaire au développement du télétravail, selon l’enquête de l’Association nationale des DRH (ANDRH), et du Boston Consulting Group.
Et pourtant, il faut réfléchir au nombre de jours télé travaillés, à l'indemnisation pour les dépenses d’équipement, de chauffage et d'électricité à domicile. Il faut lister les activités qui peuvent être télé travaillées, trouver les outils pour les accompagner, penser les formations adéquates et les consignes à donner aux salariés : « il vaut mieux définir des objectifs de télétravail que des moyens : passer tant d’appels, répondre à tant de clients. Cela implique un changement dans le management, qui ne doit plus être dans le contrôle ni le suivi de l’activité heure par heure, » observe Jean-Christophe Berthod. « Enfin, il faut identifier ce qui ne peut se faire qu’au bureau : conception de projet, créativité, partage d’expérience, transmission de compétences. Et décider si tous les salariés doivent y être le même jour ou par roulement ».
C’était l’objectif des fameux « Retex » - ou « Rex », pour « Retour d’expérience » - prévus cet été. Dans la société de conseil internationale de Laëtitia1, les salariés qui télétravaillent à plein temps depuis huit mois ont reçu « des formulaires pour prendre la température des équipes. Mais il ne s’est pas passé grand chose après. »
La vingtenaire attend toujours l’avenant à son contrat de télétravail, qui doit rembourser en partie l’équipement acheté pour travailler dans ses 30m2 parisiens. « Nous l’avons réclamé mais les réponses restent floues. » Dans le cabinet d’expertise-comptable de Marie, c’est plus clair : « Notre patron nous a expliqué que, dans l’entreprise idéale, c’est aux salariés de se manifester si quelque chose ne va pas » Six des dix salariés ont quitté le cabinet depuis l’été.
1. Les prénoms ont été modifiés.
Ensuite dans Nos vies de bureau confinées :
Pour Laëtitia, pas question de mettre sa carrière entre parenthèses à cause d’un deuxième confinement. Au printemps dernier, elle a souffert du manque d’échanges avec ces collègues. Quelles leçons tirer cette fois du dernier isolement ?
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Série | Nos vies de bureau confinées
En mars dernier, vous avez été nombreux à suivre les cinq épisodes de la série « Nos vies de bureau confinées ». Alors, pour vous accompagner dans cette deuxième vague, Pour l'Eco a décidé de confier à nouveau la plume à Elsa Fayner. Face aux déconvenues du dernier confinement, elle interroge cette fois les retours d'expérience et envisage les solutions pour un télétravail sain et durable. Les illustrations sont signées Simon Bournel.
Retrouvez chaque dimanche un nouvel épisode. Ce 8 novembre, saison 2 épisode 2 : Comment concilier confinement et carrière ?
Pourtant pleine d'énergie, Laëtitia se sent démunie face au confinement. Le manque d'échanges avec ses collègues freine sa créativité. Et les spécialistes le concèdent : difficile de concilier télétravail avec évolution de carrière. Cette période constitue-t-elle un frein à nos ambitions ?
1er épisode : Hiérarchie, autonomie, engagement : les petites régressions du télétravail
2e épisode : « On ne gagne pas une négociation en caleçon ». Tenue de télétravail exigée
3e épisode : Sauver la pause-café à l’heure de la « distanciation sociale »
4e épisode : Le télétravail va-t-il supprimer la rêverie, socle de la créativité ?
5e épisode : Le télétravail confiné, un booster de burn-out ?
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Télétravail : Marie, naufragée de la première vague