Economie
TF1/M6 : Pourquoi ils ne pourront jamais concurrencer Netflix
Sélection abonnésL’éventuel mariage TF1/M6 pourrait-il permettre de créer un champion capable de défier les grandes plateformes de streaming américaines comme Netflix et Amazon Prime ?
Stéphanie Bascou
© Laurent GRANDGUILLOT/REA
Article publié pour la première fois en mai 2021, au moment de l’annonce d’une possible fusion. Mise à jour en septembre 2022 au moment des discussions avec l’Autorité de la concurrence.
Devenir plus gros pour ne pas disparaître : après l’union des groupes de média WarnerMedia et Discovery aux Etats-Unis, c’est au tour des groupes audiovisuels français TF1 et M6 ont annoncé en 2021, leur envie de mariage. Leur objectif, avancent-ils, est de créer un champion français capable de faire face aux services de streaming comme Netflix, Amazon Prime ou Disney +, précise leur communiqué commun. Pas si vite, leur a répondu en substance l’Autorité de la concurrence. À un mois de son verdict, l’institution semble toujours défavorable au projet.
Quoi qu’il en soit, cette nouvelle entité pourrait-elle vraiment, comme le prétendent les deux chaînes, concurrencer ces titans aux millions d’abonnés, sans portefeuille de contenus diffusables à l’international, et sans investir massivement dans leur future plateforme de vidéo à la demande ?
Article publié pour la première fois en mai 2021, au moment de l’annonce d’une possible fusion. Mise à jour en septembre 2022 au moment des discussions avec l’Autorité de la concurrence.
Devenir plus gros pour ne pas disparaître : après l’union des groupes de média WarnerMedia et Discovery aux Etats-Unis, c’est au tour des groupes audiovisuels français TF1 et M6 ont annoncé en 2021, leur envie de mariage. Leur objectif, avancent-ils, est de créer un champion français capable de faire face aux services de streaming comme Netflix, Amazon Prime ou Disney +, précise leur communiqué commun. Pas si vite, leur a répondu en substance l’Autorité de la concurrence. À un mois de son verdict, l’institution semble toujours défavorable au projet.
Quoi qu’il en soit, cette nouvelle entité pourrait-elle vraiment, comme le prétendent les deux chaînes, concurrencer ces titans aux millions d’abonnés, sans portefeuille de contenus diffusables à l’international, et sans investir massivement dans leur future plateforme de vidéo à la demande ?
Une communication faite pour rassurer les investisseurs
Si l’union entre TF1 et M6 est finalisée, un nouveau géant de la télévision serait créé, avec un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros et un résultat opérationnel de 461 millions d’euros.
Mais “TF1 et M6 ne seront jamais des concurrents directs de Netflix”, tranche Grégoire Bideau, chercheur associé à la Chaire Pluralisme culturel et éthique numérique hébergée par la fondation Panthéon-Sorbonne.
Ces diffuseurs de contenus ne jouent pas dans la même catégorie. La valorisation boursière de Netflix, de 200 milliards de dollars, est 40 fois supérieure à celle de TF1 et M6 réunis.
“Le fait de dire : nous allons concurrencer Netflix et Amazon, c’est seulement de la communication faite pour rassurer les investisseurs, et se donner une image d’empire médiatique de nouvelle génération”, estime le chercheur.
TF1 et M6, trop à perdre pour devenir un service de vidéo à la demande à 100 %
En théorie, que devraient faire, alors, ces chaînes de télévision pour concurrencer les plateformes de streaming ? Elles partent d’abord avec un certain nombre de “contraintes”, explique Bideau : “elles ont un modèle économique historique (elles vivent de recettes publicitaires en diffusant des contenus en clair), des grilles de programmes, des formats, des tranches horaires”.
Or, pour vraiment devenir des concurrents, ces groupes audiovisuels doivent opérer un changement radical, et “se transformer en 100 % service de vidéo à la demande (SVOD) : c’est le seul moyen de concurrencer Netflix à un niveau local”, estime ce spécialiste.
Une seule société, jusqu’à présent, est parvenue à pivoter : Nent, un groupe audiovisuel suédois avec son service de streaming scandinave Viaplay, avance le chercheur. Avec 3 millions d’abonnés, cette plateforme propose à ses abonnés un mélange de sport premium et de divertissement original. Et c’est un succès : Nent affirme générer plus de revenus que Netflix en Scandinavie, au Danemark, en Norvège, en Suède et en Finlande, rapportait en février 2021 un article du quotidien britannique le Financial Times.
“Voilà un acteur qui est à 100 % VOD, qui passe du sport, et qui a vraiment investi dans une stratégie non linéaire”, constate Bideau. Mais est-ce donné à tout le monde ?
En 2014, lorsque le groupe scandinave se lance dans le streaming, il n’a que peu de parts de marché. Changer de modèle économique, en passant de celui de la télévision en clair diffusée sans abonnement mais avec publicité, à celui des plateformes, sans publicité mais avec abonnement, a été “une décision évidente”, expliquait alors son directeur général Anders Jensen.
"Si 99,9 % de vos revenus proviennent de la publicité, déclarait-il, il faut beaucoup de courage pour passer à un service de VOD par abonnement à bas prix”. Le pari est envisageable pour des acteurs qui ont peu à perdre, comme cette société scandinave. Mais ce n’est pas le cas de TF1 et de M6, dans le top 3 du paysage audiovisuel français.
Leur mariage donnerait en effet naissance à un nouveau titan de la télévision française qui règnerait en maître dans le paysage audiovisuel français. La nouvelle entité aurait alors 42 % de part d’audience et représenterait les trois quarts du marché publicitaire à la télévision.
Rendre le modèle économique de la télévision claire plus rentable
Si ce n’est pas pour concurrencer Netflix, quelle est alors la raison de l’union de ces deux groupes ? Il faut aller au 5ème point du communiqué pour le découvrir. Le mariage permettrait “des synergies annuelles estimées à 250-350 millions d’euros”, comprenez : des économies d’échelle en unifiant leurs services et en supprimant les doublons, mais pas seulement.
Éco-mots
Synergie
Créer une synergie signifie créer une action coordonnée de plusieurs éléments, ou entre différents services d’une ou de plusieurs entreprises, qui peut aboutir à une économie de moyens.
“Ces groupes vont rendre le modèle économique de la télévision claire plus efficace et plus rentable. Le partage du paysage audiovisuel en France s’est décidé il y a 40 ans. Il est maintenant complètement différent”, résume Olivier Bomsel, économiste et directeur du Cerna, le laboratoire d’économie industrielle de l’École des Mines.
TF1 et M6 sont aujourd’hui concurrents. En travaillant main dans la main, ils pourront “coordonner leurs programmes et devenir complémentaires, grouper leurs achats de contenus pour peser plus lourds dans leurs négociations avec leurs fournisseurs, y compris avec les studios américains, et surtout, mieux exploiter leur système publicitaire”, détaille le professeur d’économie.
Car depuis plusieurs années, les revenus issus de la publicité ont été massivement aspirés par ceux qui proposent de la publicité en ligne, à savoir les GAFAM. En 2020, la publicité numérique a conquis, pour la première fois, plus de la moitié du marché publicitaire français (55,2 %) du marché. Les revenus tirés de cette publicité en ligne sont accaparés par Facebook et Google, qui représentent à eux deux 80 % des dépenses de publicité en ligne.
Conséquence pour les chaînes de télévision : les annonceurs investissent de plus en plus dans la publicité numérique, au détriment de la publicité diffusée à la télévision. “Nos concurrents directs, ce sont Google et Facebook”, estiment d’ailleurs TF1 et M6 qui militent pour que l’appréciation de l’autorité de la concurrence, qui évalue leur fusion, englobe le marché de la publicité numérique.
Une union incertaine qui doit être approuvée par l’autorité de la concurrence
L’autorité de la concurrence veille à ce que les mariages entre sociétés ne créent pas de superpuissances qui dominent trop un marché, et qui seraient en situation de monopole - dans le cas de ces groupes audiovisuels, un acteur tout puissant pourrait mettre à mal le pluralisme et l’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique et d’acteurs privés.
Depuis 1994, un groupe ne peut pas détenir plus de sept chaînes diffusées sur les ondes hertziennes. Or, le groupe M6 en possède 5 (M6, W9, 6TER, Gulli et Paris 1ère), quand TF1 en détient 5 (TF1, TMC, LCI, TFX et TF1 Cinéma Séries) : il faudrait que la future société se sépare de 3 chaînes pour respecter cette limitation.
Pour mesurer la taille d’une future société qui en fusionne plusieurs, l’autorité de la concurrence se place sur un marché déterminé. Jusqu’à présent, cette dernière se plaçait sur le marché de la télévision - mais pour TF1 et M6, il faut au contraire se placer sur le marché de la télévision et du numérique, car leurs vrais concurrents, argumentent-ils, sont Google et Facebook qui s’accaparent 80 % du marché publicitaire en ligne.
Si l’on se place sur le seul marché de la télévision : la future société serait en situation de monopole. Dans l’autre cas, non. L’autorité de la concurrence tranchera dans les prochains mois.
C’était donc vital, pour ces groupes audiovisuels, de se concentrer, analyse l’économiste de l’audiovisuel Kira Kitsopanidou. “Les grandes chaînes de télévision font moins de recettes publicitaires (accaparées par Google et Facebook) et doivent réduire leurs coûts/échelles. Cette concentration est un passage obligé.”
Dans tous les cas, “l’opération devrait profiter à tous les acteurs de la télévision”, estime Olivier Bomsel. “Le fait de fusionner leur régie publicitaire va leur permettre de vendre des espaces publicitaires plus chers, donc de remonter le prix de la publicité à la télévision, ce dont profiteront leurs concurrents même s’ils pèsent moins lourds (de la hausse des prix).”
Autre point : ils vont pouvoir se partager le coût de développement, qu’ils supportent jusqu’à présent seuls, de la mise en place de la publicité ciblée, un développement coûteux, analyse Grégoire Bideau. Or, “proposer un service de publicité ciblée sur les 2 plus grandes chaînes sera très attractif pour les annonceurs”.
Publicité ciblée ou segmentée
Ce type de publicité, qu’on appelle publicité ciblée ou segmentée, est personnalisée. Elle permet d’adapter un spot publicitaire au profil du téléspectateur ou de l’internaute. Pour les annonceurs, cette publicité présente l’immense avantage de toucher directement l’audience visée par un produit.
Elle a longtemps été l’apanage du monde numérique, qui se base sur l’historique de navigation pour adapter la publicité diffusée, en partie pour des raisons techniques. Tant que la diffusion passait par voie hertzienne, les chaînes nationales ne pouvaient diffuser qu’un seul contenu, à savoir le programme de la chaîne, sans avoir accès à des données des téléspectateurs.
Mais depuis que la télévision passe par internet, il est maintenant possible techniquement de diffuser des contenus différents, en exploitant les données détenues par les fournisseurs, comme la ville dans laquelle se trouve le téléspectateur, ou le nombre d’enfants dans le foyer.
Depuis un décret du 5 août 2020, les chaînes de télévision peuvent diffuser de la publicité ciblée, à condition qu’elles aient passé des accords avec les opérateurs de télécom.
TF1 et M6 n’ont pas de séries phares comme Game of Thrones ou de franchise type Marvel
Ce qui manque, pour le moment, à TF1 et M6, c’est aussi un “contenu capable d’attirer de nombreux abonnés”, précise Grégoire Bideau, chercheur associé à la Chaire PcEn, comme la franchise de Marvel ou de Star Wars.
C’est précisément ce que cherche à créer le mariage conclu entre WarnerMedia et Discovery, qui disposent toutes deux de leurs propres plateformes de streaming (HBO Max et Discovery +). Les deux groupes pourront “investir davantage dans leurs contenus pour les services de streaming”, précisent-ils dans leur communiqué. Et mettre en commun leur immense catalogue, allant de Casablanca et Citizen Kane à Friends et Game of Thrones.
“Toutes les grandes plateformes de streaming ont des titres à forte valeur ajoutée. M6 et TF1 n’ont, pour l’instant, rien de tout ça”, analyse Grégoire Bideau.
Les plateformes de streaming se livrent d’ailleurs une guerre des contenus pour racheter les meilleurs catalogues de films. Dernier épisode en date : le rache par Amazon du catalogue de Metro-Goldwyn-Mayer, le studio à l’origine des films de James Bond, pour 9 milliards de dollars.
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Selon Michael Nathanson, un expert du cabinet d’analyse américain MoffettNathanson, dont les propos ont été rapportés par The Economist, “pour être compétitif, un service de streaming a besoin de quatre éléments : une échelle au niveau national, un contenu de haute qualité, un bilan flexible pour le payer et, pour aider à répartir les coûts, la capacité de se développer à l’international”. Et pour le moment, le potentiel futur groupe TF1/M6 ne serait-ce que cocher la première case semble compromis…
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