Entreprise
Tribune. Transition écologique : le grand retour des territoires dans la stratégie des entreprises
Pour Alexandre Asselineau, les territoires ont été longtemps négligés par le monde économiques et traités comme des variables d’ajustements par les grandes entreprises mondialisées : à tort.
Alexandre Asselineau, Directeur de la recherche de Burgundy School of Business (2011-2022)
© Dall-E
Partenaire de Pour l'Éco, l'institut Open Diplomacy organise cet automne, pour la 3ème année consécutive, les Rencontres du Développement Durable, sous l’égide du Ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires, et de France 2030. La septième des huit étapes des RDD se déroulera le 25 novembre sur le Campus dijonnais de Burgundy School of Business, partenaire de l’évènement, sur le thème : « territorialiser la transition ».
Pourquoi lui ?
Ancien Directeur académique, Alexandre Asselineau est Professeur associé de management stratégique à BSB. Il est également chercheur associé à l’ISEOR-Magellan (Université Lyon 3), où il prépare une Habilitation à Diriger des Recherches. Ses thèmes de recherche portent sur les éléments de structuration d’un modèle de management stratégique apte à soutenir la transformation écologique des organisations et des territoires.
Cette tribune est publiée dans le cadre de notre partenariat avec les Rencontres du Développement Durable.
Les territoires au cœur des débats
Pourquoi les territoires ? Parce qu’avec la transition écologique, ils font leur grand retour sur le devant de la scène comme un rouage fondamental des transformations à opérer. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de lire le rapport récemment publié par le Shift Project, destiné aux élus locaux[2], rappelant notamment l’urgence et l’importance de préparer la résilience des territoires.
Il s’agit en priorité de gérer les conséquences des actes passés et d’assurer la protection des habitants face aux menaces à venir. Mais il faut penser bien au-delà : longtemps principalement envisagée sous l’angle du débat délocalisations / relocalisations et des enjeux d’emploi, la dimension territoriale devient également incontournable pour tout projet de développement devant intégrer l’écologie et la protection des ressources naturelles.
Nul ne peut plus affirmer avec certitude que nous parviendrons collectivement, à terme, à combiner un maintien de nos niveaux de vie (occidentaux) actuels avec l’atteinte des objectifs sociaux et environnementaux indispensables à la préservation de la vie sur Terre. Certains jugent que l’idée est une chimère et avancent l’impératif de décroissance. Si leurs arguments interpellent nécessairement, soulignons tout de même le risque, peut-être, de la tentation de passer d’un extrême (le « tout-économique ») à un autre (le « non-économique »), dont on peut craindre les conséquences sociales.
L’ancrage territorial, levier de performance globale
Tenter de concilier développement économique et considérations sociales et environnementales est-il donc dorénavant devenu utopique tant les enjeux, notamment climatiques, sont conséquents ? Avançons une idée : s’il reste possible d’agir (et il faut affirmer que ça l’est), cela passe nécessairement par des bouleversements dans nos manières de penser notre rapport aux territoires et au « local ».
Ceux-ci ont été longtemps négligés par la littérature et le monde économiques, traités comme des variables d’ajustements par les grandes entreprises mondialisées, hors-sol et nomades, mis en compétition sur des questions de minimisation des coûts sociaux et de fiscalité. Ils ont souffert, et souffrent encore de la logique de « métropolarisation » qui consiste à construire d’immenses métropoles de taille mondiale « compétitives », en dépit des difficultés sociales et environnementales qu’elles génèrent, et à laisser dépérir le monde rural.
« La folie est de toujours se comporter de la même manière et d’attendre un résultat différent », disait Albert Einstein. Mais « comment agir ? » est dorénavant la seule question qui compte. Si la réponse est éminemment complexe, l’ancrage territorial durable constitue une dimension centrale de toute réflexion stratégique engagée pleinement dans une démarche « People Planet Profit ».
Les initiatives de citoyens, d’associations, d’entreprises publiques et privées se multiplient partout et prêtent à l’optimisme (relatif) : elles permettent de montrer qu’il est possible d’agir. Les travaux de la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) autour de « l’entreprise régénérative »[3] montrent, au travers des feuilles de routes bâties par les entreprises participantes, qu’un changement significatif est « incroyablement difficile », mais « jouable » (CEC, p. 5).
Performances extra-financières et la coopération
Des travaux de recherche et les expériences d’entreprises engagées le montrent : développer une stratégie d’implantation co-construite avec les parties prenantes locales (élus, associations, habitants, etc.), autour de valeurs et de mots-clés tels que cohérence, confiance, coopération, dialogue, concertation, stabilité, proximité, constitue une source potentielle de performance souvent sous-estimée.
En définissant une « raison d’être » alignée avec l’écosystème et en recomposant les chaînes de valeur, une telle stratégie peut créer un climat propice à des partenariats durables et à la vitalité des réseaux locaux, attirer les capitaux et les investissements publics et privés, redonner du sens au travail et donc favoriser l’engagement et la fidélisation des salariés.
Ces dimensions ont été souvent négligées en raison de leur caractère extra-comptable peu quantifiable. Clairement, à tort, comme le montrent les travaux menés par l’Institut de Socio-économie des Organisations (ISEOR) qui chiffrent depuis 40 ans les coûts-performances cachés et identifient d’importants gisements de potentiels insoupçonnés.
Le chantier, immense, doit être accompagné par les pouvoirs publics par un volontarisme sans faille[3]. Par l’instauration d’une gouvernance et d’un management stratégique de territoire proposant un cap clair, stable, transcendant les questions de « millefeuille », de renouvellement de mandats ou de querelles intestines. Par de l’anticipation, une cohérence des décisions (par exemple sur les questions de transport), et une politique intensive de formation des acteurs des territoires à l’accompagnement au changement et à la coopération public-privé.
Pour aller plus loin
[1]The Shift Project (2022) Climat, crises ; comment transformer nos territoires. https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2022/10/TSP_SRT_Cahiers_brochure_20221010.pdf
[2] Convention des Entreprises pour le Climat, 2022, une grande bascule vers l’entreprise régénérative, rapport final.
[3] Cappelletti L. (Dir.), 2022, Dynamique économique et réindustrialisation des territoires. Quelle action des pouvoirs publics ?, Rapport pour le Haut-Commissariat au Plan, CNAM.
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