Orientation
Le médecin du travail, l'expert des maladies professionnelles
Analyste des conditions de travail du salarié, le médecin du travail identifie ce qui peut être amélioré pour préserver sa santé. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas un métier routinier.
Lucile Chevalier
© Getty Images/iStockphoto
En 2014, Benoît Atgé, 24 ans, étudiant en sixième année de médecine, choisit sa spécialité, la décision cruciale qui détermine l’avenir professionnel de tous les médecins : « Je ne me voyais pas me spécialiser sur un organe, ni travailler seul – j’aime bien réfléchir en groupe –, ni avoir tous les inconvénients d’une activité en libéral : gérer la paperasse et les recrutements qu’impose la gestion d’un cabinet. » Ce sera donc la médecine du travail.
Le médecin du travail est salarié dans un service de santé au travail, ce service est soit propre à une entreprise, soit partagé par plusieurs entreprises adhérentes, on parle alors de service interentreprises. Il (elle) travaille avec une équipe d’infirmiers et des intervenants en prévention des risques professionnels : psychologues, ergonomes et ingénieurs en sécurité.
Benoît, à l’époque, connaît mal cette spécialité médicale, car elle a été peu abordée au cours de ses six premières années d’études. En conséquence, la médecine du travail fait partie des spécialités les moins prisées par les étudiants en médecine, ce qui accentue la pénurie de candidats. Ils sont actuellement 4 275 médecins du travail pour accompagner plus de 19 millions de salariés du privé. Pire, la méconnaissance du métier, qui n’a pas les faveurs des films et des séries, fait le lit de tout un tas de préjugés nuisibles aux vocations.
Lire aussi > Entre pénibilité et santé, les lents progrès du travail
Préjugé n° 1 : un médecin, c’est fait pour soigner
L’image est si enracinée dans les mentalités en France qu’il est difficile de comprendre à quoi sert un médecin du travail. Il ne prescrit pas de médicaments, ne met jamais les pieds dans un bloc opératoire, et ses patients ne sont même pas malades.
« Le médecin du travail est un acteur de la prévention. Son rôle, avec l’équipe pluridisciplinaire du service de santé, est de conseiller les employeurs, les salariés et leurs représentants pour éviter que la santé des actifs ne soit altérée en raison de leur travail », explique le Dr Camille Carles, maître de conférences et praticien hospitalier en médecine du travail à l’université et au CHU de Bordeaux.
Cette mission est loin d’être facile, tant les occasions de se blesser, de s’éreinter, de s’épuiser au travail sont nombreuses. « Depuis dix ans, je travaille de nuit en réa et j’ai l’impression d’avoir soixante ans alors que je n’ai que trente-sept ans », confie ainsi un infirmier à ses pairs sur Infirmiers.com.
Pour les caissières, passer sa journée à répéter les mêmes gestes use les articulations au bout de quelques années, provoquant tendinites ou syndrome du canal carpien. Pour ceux qui portent des charges lourdes dans les entrepôts, attention au lumbago ! Travail dans les champs, attention aux pesticides !
Préjugé n° 2 : Médecin du travail, c’est un job « plan-plan »
Le médecin du travail consacre au moins un tiers de son temps à l’analyse des conditions de travail dans les entreprises. Une mission « terrain » du métier qu’apprécie le désormais Dr Benoît Atgé, nommé médecin du travail dans un service interentreprises à Bordeaux. « C’est une médecine ancrée dans la réalité. J’analyse les conditions de travail du patient, je vais voir son environnement professionnel. J’identifie ce que l’on peut changer (adaptation du poste, achat de matériel, organisation du travail) dans sa vie quotidienne pour préserver sa santé », explique-t-il.
Les consultations, obligatoires ou à l’initiative du salarié, permettent au médecin du travail d’alerter les entreprises sur des situations à risque et de proposer des solutions. C’était le cas à l’aube des années 2020 : des médecins du travail ont signalé la recrudescence de cas de silicose chez des artisans et ouvriers employés par des fabricants de cuisine et de salle de bains.
Cette maladie professionnelle attaquant hier les poumons des mineurs, tailleurs de pierre et ouvriers de carrière, avait disparu en France. Le coupable, c’est le quartz artificiel. En le fabriquant ou en le découpant pour faire des comptoirs de cuisine et de salle de bains, les ouvriers respirent des poussières cristallines qui endommagent les poumons.
Lire aussi > Santé au travail : pas tous égaux face à une retraite à 65 ans
Préjugé n° 3 : le médecin du travail est vendu au patron
Le Code de la santé publique préserve l’indépendance du médecin même s’il est employé par une ou plusieurs entreprises. « Pour un médecin, le fait d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat à un organisme privé n’enlève rien à ses devoirs professionnels, à ses obligations concernant le secret professionnel et à l’indépendance de ses décisions », stipule l’article R. 4127-5. L’employeur ne peut pas lui interdire l’accès à son entreprise. Et s’il n’est pas obligé de suivre les préconisations du médecin du travail, il devra motiver son refus par écrit.
Quelles formations ?
Deux chemins mènent au métier. Autant prévenir, ils sont longs tous les deux. Le premier, ce sont les études de médecine. Il faut compter 10 ans. Après 6 ans de médecine générale, les étudiants passent le concours d’internat, à l’issue duquel ils choisissent une spécialité. Premiers classés, premiers servis. La spécialité dure 4 ans et débouche sur un diplôme d’études spécialisées.
Autre voie : un médecin généraliste ou spécialiste ayant au moins 5 ans d’exercice peut se reconvertir en médecin du travail. Pour ce faire, il (elle) doit suivre pendant 4 ans une formation faite de cours théoriques et de pratique sous la supervision d’un tuteur.
Quand Henri IV offrait les soins aux mineurs
La médecine du travail existait des milliers d’années avant sa naissance officielle. Elle est en effet née publiquement avec la loi du 11 octobre 1946. Cette loi rend obligatoire le service de médecine du travail pour toutes les entreprises privées. Suite à son embauche, puis régulièrement, ou après un arrêt maladie long, chaque salarié doit passer une visite médicale, aux frais de l’employeur. Cet examen sert à déterminer l’aptitude ou l’inaptitude médicale du salarié à exercer son travail.
Dès l’Antiquité, on surveillait la santé des travailleurs. Un papyrus égyptien datant de 2500 av. J.-C. décrit ainsi un lumbago attrapé au travail par un ouvrier œuvrant à la construction d’une pyramide.
Dans la Grèce antique, le père de la médecine, Hippocrate, met quant à lui le doigt sur les maladies professionnelles. Il observe que certaines professions, comme les tailleurs, les pêcheurs et les métallurgistes sont plus sujets que d’autres à certaines maladies comme l’asthme ou la colique du plomb. Le travail altère bien la santé.
Et cela devient particulièrement préoccupant au XVe siècle pour les mineurs de fond qui y laissent leur vie. Pour redonner un peu d’attractivité à cette profession au taux de mortalité élevé, Henri IV, dans l’Édit du 14 mai 1604, prévoit que les mineurs puissent bénéficier de soins gratuits. Une partie des profits des mines doit être employée à rémunérer un chirurgien et à acheter des médicaments.
Salaires
Des internes en médecine : de 18 473 € brut par an (interne en 1re année) à 27 080 € brut par an (5e année) (Source : arrêté du 11 septembre 2020 suite au Ségur de la Santé)
Médecin du travail 0 à 2 ans d’expérience : 60 000 à 70 000€ brut par an. De 2 à 5 ans d’expérience 70 000 à 110 000 brut par an. (Source : Page Group)
Notes
Insertion : 5/5
Technique : 5/5
Environnement : 4/5
Pour aller plus loin
Vidéo « À quoi sert la médecine du travail ? », réalisée par Dr Thierry Bonjour, médecin du travail au CHU de Nîmes.
- Accueil
- Entreprise
- Travail
Le médecin du travail, l'expert des maladies professionnelles