Economie

Verdir l’entreprise : le parcours du combattant

Pour un dirigeant, mettre son entreprise au vert impose des changements concrets. Les coûts sont immédiats et les bénéfices plus lointains.

Lucile Chevalier
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Illustration de l'article Verdir l’entreprise : <span class="highlighted">le parcours du combattant</span>

© Pixabay

Sébastien dirige une entreprise qui emploie une centaine de salariés fabriquant tondeuses et autres outils de jardinage. Ce matin, dans sa voiture, il a écouté à la radio un brasseur allemand qui racontait comment il avait "verdi" ses usines. Des reportages comme ça ne manquent pas. Et maintenant, une question titille Sébastien : doit-il lui aussi engager la transition écologique de son entreprise ? Est-ce possible sans risquer le dépôt de bilan ?

À la radio, la journaliste explique que le brasseur allemand a dépensé des millions d’euros pour équiper ses usines africaines en panneaux photovoltaïques et chaudières à biomasse. Mais Sébastien n’a pas des millions d’euros. Arnaud Doré, directeur associé d’ÉcoAct, une association qui accompagne les entreprises dans leur projet de décarbonisation, le rassure : « Il y a des actions simples, rapides et moins coûteuses à engager, par exemple changer de fournisseur d’énergie ou de prestataire logistique. »

Greenwashing et bad buzz

15 000 euros. C’est l’amende décrétée le 6 octobre 2009 contre les dirigeants de Monsanto pour publicité mensongère. Leur herbicide Roundup était présenté comme « biodégradable » et laissant le "sol propre".

Un dénouement rare, voire unique. Le Grenelle de l’Environnement, en 2007, s’était pourtant penché sur le sujet du greenwashing – repeindre en vert – évoquant même la possibilité d’en faire un délit. Les lobbies de la pub avaient fait valoir que l’« autorégulation » avait plus de vertu que le bâton. Ils l’ont emporté.

En 2008, une nouvelle instance est créée : le Jury de déontologie publicitaire. Tout particulier, toute association de défense de l’environnement, peut le saisir s’il estime qu’une campagne publicitaire ne respecte pas les règles de la profession. Cela s’est produit quand le groupe Volkswagen-Audi a présenté dans une pub l’achat d’une Audi A3 E-Tron comme le moyen d’allier « sensibilité environnementale et plaisir de la conduite ».

Le jury étudie le dossier et décide ou non de sanctionner. Pas trop fort quand même. Le JDP peut demander de faire modifier ou cesser la campagne. Si elle est achevée, il peut demander solennellement de ne pas recommencer. Le JDP n’a pas de pouvoir judiciaire mais il peut publier ses décisions sur son site et créer un bad buzz pour l’entreprise. Avec le risque, comme le JDP est peu connu en dehors du milieu publicitaire, que le bad buzz fasse « pschitt ! ».

Investir, d’abord

Pour l’énergie, c’est vrai, c’est rapide et simple. Les comparateurs d’offres abondent sur le web. Mais il y a un coût. Aujourd’hui, l’électricité produite par les énergies renouvelables reste de 10 à 15 % plus chère que celle qui sort des centrales nucléaires. Côté prestataire logistique, en revanche, la facture ne s’alourdira pas. Le secteur étant très concurrentiel, les prix restent attractifs.

Encore faut-il trouver un transporteur vert. Ils sont nombreux à avoir verdi leur flotte pour s’adapter aux politiques des grandes agglomérations ayant interdit leur accès aux véhicules les plus polluants. Mais en zone rurale, par exemple, il est difficile de trouver des entreprises équipées de camions roulant au gaz naturel. Pas de quoi décourager Sébastien.

Il peut s’inspirer d’un exemple devenu emblématique, cité en décembre 2001 dans la MIT Sloan Management Review : l’entreprise américaine Xerox, qui avait lancé en 1998 Document Centre 265, un photocopieur contenant moins de pièces, recyclable à 97 % et réusinable à 90 %. Dès la première année, Xerox a économisé 250 millions de dollars.

Alors, combien la PMI de Sébastien pourrait-elle économiser en réduisant la taille de la lame des tondeuses et en choisissant des matériaux recyclables ? Évidemment, il faudra commencer par investir : payer un cabinet de conseil spécialisé en éco-conception, acheter de nouvelles machines, payer l’entreprise de recyclage, former le personnel, recruter de nouvelles compétences.

Où trouver l’argent ? Une première réponse est apportée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) à travers son programme « TPE & PME gagnantes sur tous les coûts ». Elle accompagne les entreprises dans la mise en place d’un plan d’action pour réduire le gaspillage d’énergie, de matière et de déchets. Elle règle la note et se rembourse ensuite sur une partie des économies réalisées.

La vigilance du militant

Selon une étude d’Accenture Strategy, deux consommateurs sur trois déclarent privilégier les produits les moins nocifs pour l’environnement… ou du moins ceux qui en ont l’air. Il suffit parfois d’un arbre sur l’emballage, d’un faux « label » ou d’une campagne de publicité vantant les engagements en développement durable d’une entreprise, pour que le consommateur trop naïf soit séduit. Pourtant, il existe des indices qui lui permettent de ne pas se laisser duper.

Exemple. Le 23 août dernier, 30 industries du textile, représentant 147 marques (dont Adidas, Carrefour, Chanel, H & M, Prada, Gucci) ont présenté à l’Élysée leur fashion pact. Les objectifs sont nobles et ambitieux pour ce secteur qui, selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur, émet chaque année 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre (c’est plus que les transports aérien et maritime réunis).

Il est également responsable de 35 % des rejets plastiques dans l’océan. Après la culture du riz et du blé, c’est le troisième secteur le plus consommateur d’eau. Les signataires s’engagent à atteindre une neutralité carbone en 2050 et à passer à 100 % d’énergies renouvelables sur leur chaîne d’approvisionnement d’ici 2030.

Premier défaut qui peut heurter le consommateur militant : aucune contrainte. Les entreprises sont libres de choisir la stratégie et les actions, aucun contrôle n’est prévu. « C’est un projet flou, sans aucune lisibilité, et dans lequel aucun des acteurs ne rend de compte » critique Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace sur les questions climatiques.

Second défaut : le business model ne change qu’à la marge. Les vêtements en matière synthétique relâchent, quand on les lave, des microfibres plastiques qui polluent les océans. Le fashion pact évacue ce sujet et ne traite pas non plus celui du vêtement vite consommé, vite jeté.

Les ventes de vêtements et accessoires ont doublé en 15 ans pour atteindre 100 milliards de dollars par an. « S’il s’agit de vendre toujours plus en utilisant des énergies renouvelables, ça ne suffira pas. Il faut revoir le modèle, réduire la production, faire des vêtements utilisables plus longtemps et qui n’émettent pas de microplastiques quand on les lave », recommande Pierre Cannet, responsable climat de WWF France.

Anticiper sur l’inévitable

Les clients seront-ils prêts à payer plus cher pour un produit de meilleure qualité, plus écologique ? La mésaventure de Noteo, application mobile évaluant l’impact environnemental de produits de grande consommation qui a déposé le bilan en 2016 après seulement quatre ans d’existence, pourrait en faire douter.

« L’argument écologique ne suffit pas", explique Aurélien Acquier, professeur de stratégie & développement durable et responsable de la filière “Économie circulaire et business models durables” à l’ESCP. Le consommateur doit y voir son intérêt. Il est prêt à acheter une friteuse SEB plus chère, parce que le groupe s’engage à lui fournir pendant 10 ans des pièces de rechange et donc à faire durer plus longtemps le produit. Les arguments écologiques sur la lutte contre le gaspillage viennent ensuite, en plus ».

En revanche, Sébastien aura intérêt à utiliser l’argument du développement durable auprès des distributeurs. La réglementation intime ces derniers d’être vigilants et de s’assurer que leurs fournisseurs ne font pas peser de risques sur l’environnement. Même s’il faut l’avouer, les peines encourues ne sont pas très lourdes… Néanmoins, cette obligation n’existait pas il y a 10 ans. Et d’autres sont à venir.

En outre, la fiscalité écologique va probablement s’alourdir. La taxe carbone, gelée (mais pas supprimée) suite au mouvement des "gilets jaunes", ne va pas le rester très longtemps. Le Conseil des prélèvements obligatoire et la secrétaire d’État à la transition écologique, Brune Poirson, préconisent son augmentation. Alors, se dit Sébastien, mieux vaut peut-être se préparer aujourd’hui pour moins subir demain.

Sans compter qu’en transformant son entreprise, Sébastien la rend plus attractive. Plus de 30 000 étudiants de grandes écoles, en signant le Manifeste pour un réveil écologique, se sont engagés à choisir pour employeur une entreprise engagée dans la transition écologique. On pourrait leur mentir, faire un peu de greenwashing, mais ces futurs employés sont plus que jamais bien informés.

Entreprises : leurs 4 éco-obligations

1) Informer sur la performance extra-financière (décret du 9 août 2017).

Qui ? Société de plus de 500 salariés, cotée en Bourse, dont le chiffre d’affaires dépasse 40 millions d’euros par an ; société non cotée de plus de 500 salariés au CA annuel supérieur à 100 millions d’euros.

Elle doit : publier sur son site web une « déclaration sur la performance extra-financière », mise à jour annuellement. Elle décrit les risques environnementaux liés à ses activités économiques, les mesures prises en matière de développement durable, et des objectifs pour réduire son empreinte carbone.

Si elle ne le fait pas : le tribunal de commerce, saisi par un tiers, peut l’astreindre à communiquer ces informations. Les frais engendrés par la procédure sont à la charge de l’entreprise.

2) Le devoir de vigilance (loi du 27 mars 2017)

Qui ? Entreprise française de plus de 5000 salariés ; entreprise étrangère employant plus de 10 000 salariés dans l’Hexagone.

Elle doit : publier un plan de vigilance pour prévenir les risques en matière d’environnement de ses activités propres et celles de ses sous-traitants et fournisseurs.

Si elle ne le fait pas : une association de défense de l’environnement puis un juge peuvent l’astreindre à le faire. Si un incident survient, l’entreprise qui n’a pas de plan ou a négligé son exécution, doit prendre à sa charge la réparation du préjudice et indemniser les victimes. L’entreprise Total a dû revoir son plan qui n’abordait pas la question du réchauffement climatique. Sa nouvelle copie ne convient toujours pas au collectif d’associations et d’élus qui envisage de porter plainte.

e Réaliser un audit énergétique tous les quatre ans (applicable depuis le 5 décembre 2015)

Qui ? Entreprise de plus de 250 salariés avec un CA supérieur à 50 millions d’euros par an et n’ayant pas obtenu la certification ISO 50001.

Si elle ne le fait pas : elle risque une amende allant jusqu’à 2 % du CA, jusqu’à 4 % en cas de récidive.

4) Élaborer un plan mobilité (depuis le 1er juin 2019)

Qui ? Entreprise de plus de 50 salariés

Elle doit : prendre les mesures qu’elle juge nécessaire pour réduire l’empreinte carbone des trajets domicile-travail de ses salariés : garage à vélo, télétravail, promotion du covoiturage…

Si elle ne le fait pas : elle ne peut pas bénéficier des aides de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Pour aller plus loin

« Stratégie et responsabilité sociétale des entreprises », chapitre 12 dans Strategor, Dunod, 2019

Rapport d’Accenture Strategy « Global Consumer Pulse Research". Enquête menée auprès de 30 000 consommateurs dans le monde, 2018.

*« Publicité et Environnement », 9e bilan de l’ARPP et l’Ademe, juin 2018

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