Dans le port de Dunkerque, au milieu des étendues sablonneuses, une usine large de 150 hectares – plus de 200 terrains de football – va voir le jour. Verkor s’est lancée il y a trois ans à peine, mais devrait produire, dans cette « gigafactory », des batteries pour 300 000 automobiles, dès 2024, avant de tripler sa production en 2030.
Il faut dire que la situation est critique : la Chine produisait 79 % des batteries lithium-ion, les plus courantes, en 2021. Soucieuse de cette dépendance, l’Union européenne a lancé en 2019 un Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) pour autoriser les subventions à des acteurs locaux, dont Verkor. But affiché : 30 % de batteries « made in UE » en 2030.
Une filière industrielle doit donc naître et partir de zéro. Verkor a levé 350 millions d’euros, et attend un milliard en 2024. Mais son destin est lié à celui de la chaîne de valeur – raffineurs de minerais, producteurs de cellules, et assembleurs de « blocs » batteries. « Il faut maîtriser toute la chaîne : si l’assemblage des cellules se fait ailleurs, il y a un risque que la production de batteries finisse par se faire ailleurs », appuie Anaïs Voy-Gillis, directrice associée du cabinet de conseil June Partners.
Tout manque encore, à commencer par la main-d’œuvre : Verkor, qui veut créer 1 200 emplois, vient de lancer sa propre école. « À court terme, il faudra aller chercher des employés en Asie. On ne peut pas trouver des gens qui ont 10 à 15 ans d’expérience en France », concède Gilles Moreau, cofondateur et directeur de l’innovation.
Source : Agence internationale de l'energie
Une industrie très gourmande
La main-d’œuvre n’est pas le seul casse-tête de Verkor : produire des batteries requiert beaucoup d’énergie et une grande quantité de métaux critiques. « Les matières premières font grimper les prix des batteries et la réalité du risque financier est encore floue », souligne Claude Chanson, directeur général de l’association Recharge. Des pénuries conjoncturelles sont à prévoir : selon le Boston Consulting Group, en 2030, la demande en lithium le cœur de la plupart des batteries) dépassera l’offre disponible de 4 %.
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Concernant l’énergie, c’est la hausse récente des prix qui inquiète. Plusieurs fabricants européens ont baissé pavillon ou menacent de partir aux États-Unis. « Le véritable enjeu pour les fabricants de batteries, c’est l’énergie bas carbone, confirme Anaïs Voy-Gillis. Différentes stratégies cohabitent dans l’UE : les Allemands sortent du nucléaire, alors que la France obtenait encore récemment une énergie propre très compétitive grâce à ses centrales. »
Cédric Philibert, chercheur associé à l’IFRI, estime que la question est industrielle avant d’être financière. « On peut faire tourner l’industrie à des prix corrects avec le solaire et le vent. Le problème ardu, c’est la transition des industriels hors du fossile », décrit-il. Verkor a trouvé sa formule : le nucléaire, mais aussi la chaleur « fatale » émise par l’industrie sidérurgique dans les Hauts-de-France, lors de la fabrication d’acier. Une source de chaleur et d’énergie précieuse et habituellement perdue.
Dépendance au secteur automobile
Dans sa course aux métaux, Verkor aura un autre atout dans sa manche : un partenariat commercial signé en avril avec Renault, auprès duquel il s’engage à fournir 12 GWh de batteries, soit les trois quarts de sa production initiale. « Le soutien de Renault permet d’avoir un bon pouvoir de négociation et de travailler avec des partenaires locaux pour le raffinage », souligne Gilles Moreau. La présence de constructeurs rassure les miniers, qui peuvent se lancer dans de lourds et longs investissements. L’ouverture d’une mine de lithium peut prendre 10 ans !
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Constructeurs de voitures et fabricants de batteries sont aujourd’hui codépendants : Verkor a beau avoir signé avec Plastic Omnium (stockage d’énergie) et Startec (mobilités légères), l’automobile représente encore 75 % de ses débouchés possibles. Et si la décision de l’Union européenne d’interdire la vente de véhicules neufs thermiques en 2035 rend inéluctable le passage à l’électrique, le virage s’annonce serré. « L’incertitude porte sur la vitesse à laquelle le véhicule électrique va s’imposer : la transition crée une incertitude sur les volumes produits », appuie Claude Chanson.
Source : Bloomberg
Si la demande est forte, les fabricants trouveront des clients et ce sont les constructeurs qui devront rivaliser. Renault et Stellantis soutiennent déjà leurs champions – Verkor et le Chinois Envision pour le premier, Automotive Cells Company (ACC), une coentreprise avec Saft, filiale batteries de TotalEnergies, pour le second. « Dans l’automobile, l’expérience de la pénurie de semi-conducteurs a servi de leçon : on s’occupe au plus près des approvisionnements », explique Laurent Perron, chef de projet pour l’automobile au sein de Shift Project.
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Il n’y a pas que le prix
En revanche, si la transition vers l’électrique prend plus de temps, ce sera à Verkor de se démarquer au sein d’une concurrence qui s’annonce féroce : les Chinois produisent leurs batteries pour moins cher et les Américains subventionnent largement, via l’Inflation Reduction Act (IRA), un plan d’incitations fiscales à destination des industries vertes.
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Gilles Moreau admet un surcoût, mais veut croire que Verkor peut suivre la cadence. « Les batteries sont des matériaux dangereux, qui coûtent cher au transport : faire proche et propre évite des risques logistiques importants, du même ordre de grandeur financier que le surcoût lié aux salaires, par exemple. » Retour, donc, au choix stratégique de Dunkerque et de sa proximité avec les usines automobiles.
La bataille des batteries ne se jouera pas que sur les prix. « Les Européens auront du mal à être compétitifs sur le prix : le défi est d’imposer des critères environnementaux et sociaux », soutient Laurent Perron. Verkor défend par exemple une batterie quatre fois moins polluante que les batteries chinoises, grâce à des procédés sobres, à l’utilisation d’électricité nucléaire décarbonée et au choix de matériaux traçables.
