Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d'achat. À retrouver en kiosque et sur notre boutique en ligne.
Que diriez-vous d’une boutique qui commercialiserait des guirlandes électriques défectueuses, des peluches si fragiles qu’un enfant pourrait s’étouffer en les portant à sa bouche ou des produits qui ne correspondent pas à la description du vendeur ? Qu’elle doit fermer, sans doute.
La Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF), en obtenant, en novembre dernier, le déréférencement de Wish des moteurs de recherche et des magasins d’applications, a lancé un sévère coup de semonce à la plateforme américaine d’e-commerce.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Wish, dont le chiffre d’affaires a décuplé en cinq ans, reste une des success-stories de ces dernières années.
Son principe : mettre directement en relation des commerçants chinois avec une clientèle majoritairement nord-américaine et européenne. À chaque transaction, le site empoche une commission. Son atout, ce sont les prix, parfois si attractifs que l’on peut se permettre d’être déçu. Comme quand on joue au Loto.
Ainsi, pour 4,26 euros, dont 0,89 euro de frais de port, ce foulard à motif Burberry – une contrefaçon, bien sûr. Pour 6,62 euros, dont 1,90 euro de frais de port, une montre de plongée. Ou pour 101,35 euros, dont 20,58 euros de frais de port, cet i12 ressemblant à un iPhone sans en être un.
Qu’importe si l’expression « acheté sur Wish » est devenue synonyme de « camelote » dans le langage familier et que les déballages mi-ironiques, mi-rageurs de colis Wish aient tant de vues sur YouTube.
« C’est quoi ce bazar ? »
Ce titre en Une de 60 Millions de consommateurs, en 2018, évoquait précisément l’effet recherché par Peter Szulczewski, l’ancien ingénieur de chez Google qui a fondé l’entreprise, en 2010.
On ne va pas sur Wish avec une idée précise. On y va comme sur un marché à l’ancienne, pour profiter du spectacle et des odeurs appétissantes.
À l’heure du Big data, la plateforme accumule les informations sur ses visiteurs et modifie sa page d’accueil pour mettre en avant les produits auxquels ils se sont intéressés. Elle leur propose alors des réductions personnalisées et un programme de fidélité : 70 % des achats ont lieu grâce à ses suggestions, sans que le visiteur ait à utiliser son moteur de recherche.
Par ailleurs, 90 % des ventes sont faites à partir de l’application mobile, qui rend l’achat plus simple et spontané. L’intuition de Peter Szulczewski a été de s’adresser aux ménages modestes, pour lesquels le prix est le critère déterminant : « 41 % des ménages américains n’ont même pas 400 dollars devant eux », expliquait-il à la revue Forbes, en 2019. Wish, c’est l’Amazon du pauvre.
Aujourd’hui, la plateforme conteste son déréférencement et veut faire appel devant le Conseil d’État.
Quel danger court Wish ? Pour le moment, les clients français peuvent continuer à y faire leurs emplettes. Avec les États-Unis et l’Italie, l’Hexagone est un de ses trois marchés principaux, selon une des lettres de l’entreprise aux actionnaires.

Si les infractions constatées par la DGCCRF persistent, l’administration peut lui interdire toute activité sur le territoire : « Son pouvoir sur les plateformes en ligne a été augmenté ces derniers temps », explique Elsa Raitberger, avocate spécialisée en droit de la consommation. Le revers serait donc très sérieux.
Le problème le plus immédiat pour Wish, c’est que ses déboires en France s’inscrivent dans une année 2021 catastrophique. Première cause, la fin des confinements dus au Covid-19.
En reprenant une vie « normale », ses clients habituels ont fait moins d’achats compulsifs que lorsqu’ils étaient cloîtrés chez eux. Au troisième trimestre, le nombre des visiteurs mensuels était passé de 100 millions à 60 millions sur un an et les revenus de la place de marché avaient baissé de 55 %.
Seconde cause, des problèmes de qualité si récurrents que malgré tous ses efforts, le site peine à fidéliser ses clients. Dès le deuxième trimestre, Wish se donnait pour objectif de mieux sélectionner les marchands afin de redorer son blason.
Une action en chute de 90 %
En Bourse, c’est la débâcle. Depuis son introduction, en décembre 2020, l’action a perdu près de 90 % de sa valeur. Alors que l’entreprise n’a toujours pas fait de bénéfices.

Résultat : début novembre, Wish annonçait que son fondateur prenait du recul. En février 2022, Peter Szulczewski doit céder son poste de P.-D.G. Il restera au conseil d’administration. « Le modèle est remis en cause, il faut amener du sang neuf », commente Grégory Bressolles, professeur de marketing à Kedge Business School.
Wish a sans doute grandi trop vite. Pour améliorer la qualité de l’offre, ses dirigeants veulent ouvrir la plateforme aux e-commerçants européens et américains.
C’est également une façon de raccourcir les délais de livraison, qui peuvent être de plusieurs semaines quand les colis viennent d’Asie. Mais la fréquentation va continuer de baisser, car les investissements promotionnels ont été réduits – en 2018, l’entreprise avait dépensé des millions de dollars pour vanter ses services sur Facebook et YouTube.
Cela profite à un autre acteur : « AliExpress est en train d’écraser Wish », remarque Julien Fontaine, expert indépendant du e-commerce. Selon Médiamétrie, Wish occupait la sixième place des sites d’e-commerce les plus visités en France fin 2020. Il avait disparu du classement au troisième trimestre 2021. Tandis qu’AliExpress, la filiale du géant chinois Alibaba, passait de la quinzième à la huitième place. Comme quoi, les colis bon marché ont toujours la cote.