« Double digit ». Pour des constructeurs automobiles généralistes comme Renault ou Volkswagen, afficher une marge opérationnelle à deux chiffres relevait hier encore du rêve. Le groupe franco-italo-américain Stellantis y est pourtant parvenu en 2021, avec une marge de 11,8 %, peu ou prou équivalente à celle que réalisait une marque comme Porsche jusqu’en 2020.
Les bénéfices nets de Stellantis ont été à l’avenant : 13,4 milliards d’euros, soit quasiment le triple du résultat de 2020. Les dividendes à verser ont atteint 3,3 milliards d’euros, de quoi satisfaire les actionnaires du groupe. Les résultats financiers annuels de Volkswagen ont été tout aussi excellents. La marge opérationnelle a grimpé de 3,2 points pour se fixer à 8 % en 2021 et le groupe allemand a pointé le fait que le chiffre d’affaires a progressé de 12 % « malgré une baisse de 6 % des volumes de vente ».
À peine les résultats dévoilés, le directeur financier accordait un long entretien au Financial Times : « Volkswagen va abandonner une douzaine de modèles pour se concentrer sur la rentabilité, a prévenu Arno Antlitz, nous visons plus la qualité et les marges que les volumes et les parts de marché. » Et de révéler pourquoi au quotidien britannique de la finance : « Nous avons abaissé nos coûts fixes, donc nous sommes moins dépendants des volumes et de leur croissance. »
À lire aussi > Renault : pour survivre, le constructeur automobile veut vendre… moins
Fini les rabais à l’achat
Covid-19, crise des semi-conducteurs et même guerre en Ukraine ont permis aux constructeurs de gonfler leurs marges. Ils ont préféré octroyer les puces électroniques dont ils disposaient à la fabrication de leurs modèles les plus onéreux, qui sont les plus rentables. D’autre part, profitant de la pénurie mondiale de véhicules neufs, les marques ont fermé le robinet des rabais à l’achat.

Les prix de vente des voitures neuves ont ainsi explosé : 46 000 dollars en moyenne à l’heure actuelle aux États-Unis, soit +12 % sur un an. En France, le prix de vente moyen serait aux alentours de 27 000 euros à ce jour, en forte hausse lui aussi.
Une nouvelle ère s’ouvre-t-elle pour l’industrie automobile ? « Attention, à force d’user et d’abuser du combiné augmentation des prix/réduction des moyens commerciaux, on commence à perdre le client » fait observer Marc Bruschet, le président de la branche Concessionnaires de Mobilians (syndicat des professionnels de l’auto).
À lire aussi > Comment la voiture devient peu à peu un produit de luxe
Il ajoute : « Si la situation actuelle persiste, l’automobile va devenir un produit de luxe porté par les constructeurs premium. Pour les généralistes, la baisse des volumes sera drastique et les véhicules seront très standardisés, afin de demeurer rentables », analyse-t-il. Une telle politique mènerait in fine à la disparition de la voiture populaire, dont une immense majorité de citoyens a toujours besoin pour aller travailler.
Marques asiatiques en embuscade
Une situation, impensable hier, qui « inquiète » le directeur du Groupe d’étude et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (Gerpisa, rattaché à l’ENS Paris-Saclay) : « Cette situation ne peut pas durer, estime Tommaso Pardi, les constructeurs seront obligés de revenir à un autre modèle. Ils ont besoin de faire tourner les usines et puis la concurrence va reprendre ».
Une fois la crise des semi-conducteurs terminée, Tommaso Pardi parie sur le retour d’une saine émulation basée sur les prix.
Abandonner le segment de la voiture populaire ouvrirait une voie royale à l’arrivée en masse des constructeurs venus d’Asie. Quatre nouvelles marques ont déjà fait leur entrée sur le marché français en un peu plus de deux ans.

À prestations équivalentes, un SUV chinois est aujourd’hui environ 17 % moins cher que son alter ego fabriqué par une marque française.
À l’heure où la « relocalisation » est une priorité dans l’Hexagone, il serait donc paradoxal de mener une politique privilégiant uniquement la marge unitaire et de laisser s’implanter à domicile des marques dont les produits sont fabriqués dans des usines très lointaines : « Il y aura toujours une place pour des solutions de type Dacia », note Marc Bruschet, de Mobilians.
La voiture bon marché, inventée par Renault en 2005 et produite partout sauf en France, n’a en effet jamais vu son succès se démentir. Citroën l’a d’ailleurs bien compris, et promet désormais une voiture électrique future sous la barre des 20 000 euros, sachant que le prix d’appel actuel du groupe est de 33 950 euros et en dépit du fait que le chef Carlos Tavares a fixé un objectif de marge opérationnelle « double digit ».
Enfin, GM et Honda ont annoncé s’être une nouvelle fois alliés aux États-Unis pour mettre au point un SUV électrique de segment « C » (celui du Peugeot 3008, par exemple) à prix abordable. Le fruit de leurs efforts devrait être sur le marché en 2027.
Et que se passerait-il si les constructeurs délaissaient tout de même le concept de l’auto populaire ? « Les populations seront exclues de l’accès à un véhicule neuf et même de l’accès à une occasion récente. Dans plusieurs pays, ce seront autant de crises de type “gilets jaunes” qui s’annonceront », prévient Tommaso Pardi.