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Climat : l’essence à deux euros le litre, une fatalité ?
Environnement
Climat : l’essence à deux euros le litre, une fatalité ?
Sélection abonnésUne hausse sensible, prolongée sur des années et anticipée par tous des prix de l’essence est sans doute un mal nécessaire dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais avec l’invasion russe en Ukraine, la brutalité de la hausse dépasse tout ce qui avait pu être envisagé en termes de fiscalité environnementale.
Clément Rouget
© Jean Claude MOSCHETTI/REA
[Propos recueillis en septembre 2020 après les débats politiques sur la fiscalité carbone sur l’essence. Mise à jour le 07 mars 2022 après la hausse brutale des prix du carburant suite à l’invasion russe en Ukraine. Les propos sur la fiscalité carbone et les effets des hausses de prix sur les comportements des consommateurs restent d’actualité.]
« L’essence pollue et nous met en danger. Oui, il faut que son prix augmente. » À l’inverse de nombreux décideurs politiques extrêmement prudents, Sandrine Rousseau, n’avait pas craint en septembre 2020 d’assumer sur RMC une hausse conséquente des prix du carburant.
Au nom de la lutte contre le dérèglement climatique, l’ex-candidate à la primaire d’Europe Écologie-Les Verts pour la présidentielle souhaitait voir grimper chaque année le prix de l’essence de l’ordre de 6 à 10 centimes par litre, grâce à une fiscalité écologique élevée.
La fiscalité climatique hors de cause dans les hausses actuelles
[Propos recueillis en septembre 2020 après les débats politiques sur la fiscalité carbone sur l’essence. Mise à jour le 07 mars 2022 après la hausse brutale des prix du carburant suite à l’invasion russe en Ukraine. Les propos sur la fiscalité carbone et les effets des hausses de prix sur les comportements des consommateurs restent d’actualité.]
« L’essence pollue et nous met en danger. Oui, il faut que son prix augmente. » À l’inverse de nombreux décideurs politiques extrêmement prudents, Sandrine Rousseau, n’avait pas craint en septembre 2020 d’assumer sur RMC une hausse conséquente des prix du carburant.
Au nom de la lutte contre le dérèglement climatique, l’ex-candidate à la primaire d’Europe Écologie-Les Verts pour la présidentielle souhaitait voir grimper chaque année le prix de l’essence de l’ordre de 6 à 10 centimes par litre, grâce à une fiscalité écologique élevée.
La fiscalité climatique hors de cause dans les hausses actuelles
La hausse actuelle du prix de l’essence (1,87 €/l le sans-plomb 95 (E5) pour la première semaine de mars 2022) n’est en tout cas due qu’à une augmentation mondiale du prix du baril, sous la pression d’une demande plus élevée avec la reprise de l’économie mondiale post-Covid et surtout depuis 15 jours du conflit en Ukraine.
La fiscalité écologique française sur l’essence ne peut être mise sur le banc des accusés. Elle est gelée depuis 2018 et jusqu’à la fin du quinquennat, suite à une décision du gouvernement d’Édouard Philippe sous la pression du mouvement des « gilets jaunes ».
12 centimes le litre
Coût par litre de gazole de la fiscalité écologique aujourd’hui, avec une taxe carbone française gelée à 44,60 euros par tonne de CO².
« Du point de vue des fondamentaux du marché du pétrole, il n’y a pas de raison d’avoir un litre d’essence à 2 euros d’ici à la fin du prochain quinquennat, explique le professeur d’économie de l’environnement à MINES Paristech Matthieu Glachant. Il n’y a pas d’épuisement de la ressource en vue à moyen terme, qui en créant un phénomène de rareté entraînerait une hausse inexorable du prix du baril. En revanche, ce prix peut connaître des variations brutales de court terme à l’image de ce que nous vivons aujourd’hui. Cette volatilité a toujours existé. On l’oublie ainsi facilement mais, en 2012, le prix de l’essence était également très élevé (autant qu’à l’automne 2021). Et nous étions comme aujourd’hui en pleine campagne pour les présidentielles suscitant des débats très agités. »
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Atteindre deux euros le litre ne sera le résultat qu’un alourdissement de la fiscalité environnementale. « Si hausse structurelle du prix il y a dans les années à venir, cela ne pourra être que le résultat de politiques publiques qui, à travers la fiscalité sur les carburants, déterminent une grande part du prix payé à la pompe. »
(N.D.L.R. : Ce dernier paragraphe a très mal vieilli sous l’effet des décisions de Vladimir Poutine)
Source : Carbu.com
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Deux mécanismes de fiscalité écologique soutenus par des décideurs politiques peuvent en effet structurellement – hors évènements imprévus de type conflit armé donc – amener dans les années à venir de l’essence à dépasser les deux euros le litre d’ici 2027 : une reprise et une accélération de la hausse de la taxe carbone à l’échelle nationale – souhaité par Sandrine Rousseau –, ou un élargissement du marché du carbone européen au transport routier et au logement – souhaité par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans son plan Fit for 55 (Paré pour 55).
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« Cette hausse me semble très incertaine, juge Matthieu Glachant. La taxe carbone a du plomb dans l’aile depuis les mouvements comme les gilets jaunes. Les politiques sont devenus très prudents là-dessus. Et quand ils proposent de l’augmenter, ils évoquent tout de suite des compensations, preuve de la sensibilité très forte de l’opinion. »
L’économiste ne parierait pas non plus sur un élargissement rapide aux transports du marché carbone européen. « Le gouvernement français actuel et de nombreux candidat à la présidentielle ont une réticence très forte vis-à-vis de cette proposition car la France possède déjà une taxe carbone. Les Allemands, qui ont vraiment poussé en faveur de cet élargissement, n’en ont pas encore. Chez eux, c’est un substitut à la taxe carbone. Chez nous, il viendrait s’additionner à la taxe. »
Il est donc logique que l’engouement et le volontarisme politique en faveur de la mesure soit bien plus fort outre-Rhin, où la fiscalité du carbone est encore inexistante, qu’en France, où elle existe déjà. De quoi complexifier les négociations européennes à venir sur le sujet.
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La fiscalité écologique, douloureuse mais inévitable ?
Au vu de l’incertitude politique, il n’est pas du tout certain que le prix de l’essence atteigne - dans un monde pacifié - au cours des prochaines années un prix moyen de 2 euros le litre. Si les consommateurs peuvent sans doute se réjouir, l’échec dans la lutte contre le dérèglement climatique sera patent et irrattrapable. En France, le transport routier constitue l’activité la plus émettrice de CO2, avec 127 millions de tonnes équivalent C02.
Source : INSEE, chiffres clés, mars 2021. Émissions de gaz à effet de serre par activité.
Données annuelles de 1990 à 2019
« Si on ne fait pas ça, il faudra acter qu’on ne tiendra pas nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, constate sans appel Matthieu Glachant. Le chemin vers la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ne se fera pas uniquement avec des subventions aux véhicules électriques ou des normes. En moyenne de long terme et en euros constants, le prix de l’essence n’a pas augmenté depuis des décennies. Comment imaginer une transition réussie avec un prix qui resterait celui des années 1970 ? Il va bien falloir faire quelque chose à un moment donné pour l’augmenter. »
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Politiquement, le sujet est si inflammable que même la convention citoyenne pour le climat, qui a pourtant porté un certain nombre de réformes ambitieuses, a renoncé à imposer davantage de taxes pour réduire la consommation d’énergie fossile.
La hausse des prix réduit bien la consommation
C’est malgré tout la solution la plus efficace pour réduire la consommation, même pour les ménages pauvres et/ou ruraux. Selon une étude de l’Insee parue en 2012, « une hausse des prix du carburant de 10 % entraîne une baisse de la consommation de carburant de 2,5 à 3,5 % à court terme et de 6 à 7 % à long terme. D’un point de vue environnemental, une hausse des prix du carburant serait donc bénéfique ».
Et contrairement aux idées reçues, l’elasticité-prix reste importante sur le long terme, même pour les ménages les plus modestes.
Éco-mots
Élasticité-prix
Mesure la sensibilité de la demande à la variation du prix et aide à anticiper la réaction de la demande en réponse aux fluctuations du prix. Partant du principe que la demande diminue lorsque le prix d’un bien augmente, ce ratio est généralement négatif.
« À court terme, une hausse du prix du carburant devrait les pénaliser plus fortement que les autres, leurs capacités d’adaptation étant restreintes et coûteuses, écrivent les auteurs de l’étude, Lucie Calvet et François Marical. Ces ménages disposent de peu de substitut en raison de la faible densité de transports en commun dans leur voisinage. Dans un premier temps, la seule manière pour eux de restreindre leur consommation de carburant consiste à réduire leur nombre de kilomètres parcourus. En revanche, à long terme, leurs capacités d’adaptation sont plus grandes, notamment en changeant de véhicule. »
Les auteurs n’identifient aucune sous-population qui serait dans l’incapacité à long terme d’adapter sa consommation de carburant, même les ménages ruraux. « Confrontés à une hausse des prix du carburant, les ménages [ruraux] sont capables de réduire, à long terme, leur consommation de carburant (et par là même leurs émissions de CO2) même s’ils font a priori partie de catégories pour lesquelles la consommation de carburant semble peu compressible. »
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En revanche, l’étude n’élude pas les conséquences de cette hausse des prix sur le bien-être de ces populations et la question de l’équité sociale. Des recherches du Conseil d’analyse économique parues en 2019 ont confirmé que les taxes sur l’essence se trouvaient parmi les plus régressives socialement, avec celles sur le tabac.
Éco-mots
Taxes régressives
Impôt, souvent indirect, un impôt qui tend à augmenter le pourcentage total du revenu versé à ceux qui doivent payer cet impôt. Bien que le montant de l’impôt soit le même, la population à faible revenu porte un fardeau plus lourd que ceux à revenu élevé, car le montant de l’impôt prend un plus grand pourcentage de leur revenu. Exemple, une personne modeste qui utilise une vieille voiture énergivore peut être amenée à consommer plus d’essence et donc à payer une plus grande part de son revenu en taxes sur l’essence, par rapport à une personne en mesure d’acheter une voiture économe en énergie ou hybride.
Il existe aujourd’hui un consensus politique et économique relativement élevé sur le besoin de compenser les ménages les plus défavorisés. Le rapport Tirole indique par exemple que « l’indemnisation à l’échelle nationale et internationale est essentielle à l’acceptabilité des mesures efficaces comme la tarification du carbone ».
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De la difficile compensation verte
En revanche, la répartition des recettes de la fiscalité verte divise les politiques et les économistes. Chèque énergie pour les ménages les plus pauvres, subvention à l’innovation verte (batteries, recharges…) ou même ne pas augmenter la dépense publique du tout et se laisser des marges budgétaires pour réduire la fiscalité ailleurs… Les options sont nombreuses.
« Toute la subtilité de l’exercice est de trouver un mode de compensation qui ne supprime pas toute incitation à économiser de l’énergie, juge François Ecalle, invité dans l’émission Les Experts de BFM Business. Il ne faut pas que le chèque énergie compense exactement le supplément de prix du carburant pour les ménages en question, sinon ils n’auront aucune incitation à changer de comportement. »
Une des orientations principales prise par les pouvoirs publics est de subventionner le « fuel switching », c’est-à-dire de supprimer le chauffage au fioul, en particulier des ménages les plus modestes, en subventionnant l’achat de chauffage électrique en remplacement, l’énergie la plus facilement décarbonable. Mais il est aussi possible d’imaginer des compensations en dehors du secteur énergétique.
« La quasi-totalité de la classe politique s’accorde sur une nécessaire compensation des ménages modestes. Mais comment ? Faut-il distribuer des chèques « énergie » qui rendent l’énergie moins chère ou augmenter la prime pour l’emploi ? se demande Matthieu Glachant. Je n’ai pas de réponse. Autre option, qui était considérée comme très positive, ne pas augmenter la dépense publique et utiliser les recettes de la fiscalité écologique pour diminuer à proportion d’autres prélèvements obligatoires qui posent problème, en particulier ceux qui pèsent sur le travail, favorisant ainsi le chômage. C’est ce qu’on appelait le double dividende environnement/emploi. »
Éco-mots
Double dividende
Se réfère, dans le cas où l’instauration d’une taxe environnementale, à recettes budgétaires inchangées pour l’État, fait apparaître à la fois un bénéfice environnemental et un bénéfice de nature économique
Devant l’inévitabilité d’une augmentation future des prix du carbone dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique, le débat public gagnerait à se concentrer sur cette complexe question de la compensation verte.
« Le point positif avec les propos de Sandrine Rousseau, est que les débats commencent à évoquer le caractère douloureux de la transition écologique. On a longtemps eu tendance à l’occulter, assure Matthieu Glachant. Les écologistes en premier tenaient un discours binaire “si on ne fait rien c’est la catastrophe, c’est l’enfer sur Terre ; si on fait quelque chose c’est le Paradis, on créera des millions d’emplois et tout ira bien…” En réalité, cela va vraiment mal se passer si on ne fait rien, mais faire quelque chose pour l’éviter sera douloureux. »
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Pour aller plus loin :
Fiche Fipeco, Les Taxes sur les carburants, 2021
Pour le climat : une taxe juste, pas juste une taxe, Conseil d’analyse économique, 2020
Les effets de la fiscalité écologique sur le pouvoir d’achat des ménages, simulation de plusieurs scénarios de redistribution, Conseil d’analyse économique, 2020
Les grands défis économiques, par la commission internationale Blanchard-Tirole, 2021