Economie
Entreprise - climat, le facteur jeune
Les acteurs de l'économie face aux revendications environnementales de la nouvelle génération
Sélection abonnésChevilles ouvrières de la croissance et donc tenues pour responsables de ses effets climatiques négatifs, les grandes entreprises sont critiquées par les Etats et les citoyens qui les exhortent à changer leur façon de produire. Et si la jeune génération arrivait à infléchir leur position ?
Clément Rouget
© Pour l'Eco
“La ligne directrice de toute entreprise doit être son impact sur l’environnement et le bien-être de ses salariés. Est-ce qu’elles sont clean ou est-ce qu’elles veulent faire un maximum de fric ?” Hugo n’est pas au quotidien un grand vindicatif. Alors qu’il défile avec sa copine Pauline, cet étudiant de 18 ans affiche pourtant une détermination à toute épreuve.
Comme eux, une partie de la jeunesse mondiale bat le pavé, vendredi après vendredi, avec l’espoir, encore vif, de modifier le sort climatique de la planète. Pour ces milliers de jeunes mobilisés en ce 15 mars 2019 dans les rues parisiennes, il faut une véritable “révolution économique” - le mot d’ordre du jour - pour éviter le chaos environnemental.
Le constat est si limpide qu’il commence à irriguer la sphère citoyenne : l’activité économique n’est pas sans impact pour la planète. La croissance, dans sa forme actuelle, épuise le capital naturel en détruisant des ressources non renouvelables comme les matières premières, les sources d’énergies. Elle dégrade les écosystèmes, appauvrit la biodiversité et perturbe le climat.
“La ligne directrice de toute entreprise doit être son impact sur l’environnement et le bien-être de ses salariés. Est-ce qu’elles sont clean ou est-ce qu’elles veulent faire un maximum de fric ?” Hugo n’est pas au quotidien un grand vindicatif. Alors qu’il défile avec sa copine Pauline, cet étudiant de 18 ans affiche pourtant une détermination à toute épreuve.
Comme eux, une partie de la jeunesse mondiale bat le pavé, vendredi après vendredi, avec l’espoir, encore vif, de modifier le sort climatique de la planète. Pour ces milliers de jeunes mobilisés en ce 15 mars 2019 dans les rues parisiennes, il faut une véritable “révolution économique” - le mot d’ordre du jour - pour éviter le chaos environnemental.
Le constat est si limpide qu’il commence à irriguer la sphère citoyenne : l’activité économique n’est pas sans impact pour la planète. La croissance, dans sa forme actuelle, épuise le capital naturel en détruisant des ressources non renouvelables comme les matières premières, les sources d’énergies. Elle dégrade les écosystèmes, appauvrit la biodiversité et perturbe le climat.
Hier symboles de progrès et de développement, les secteurs traditionnels, fer de lance des Trente glorieuses, voient leur impact sur l’environnement être aujourd'hui scruté de près.
Cheville ouvrière de cette croissance, les entreprises sont aussi dans la ligne de mire des Etats et des citoyens. 90 seraient même responsables, à elles seules, de 63% des émissions de CO2 et de méthane dans l’atmosphère, selon la revue universitaire Climatic Change. Leur activité provoque ce que l’on nomme des externalités, le plus souvent négatives.
Éco-mots
Situation dans laquelle un agent économique provoque, par son activité, des effets négatifs sur la société.
Un outil dévoyé, la RSE
Pour réduire les effets néfastes sur l’environnement, les grands groupes français ont longtemps proposé des engagements à travers la Responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises (RSE) : un concept dans lequel les acteurs économiques intègrent les préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et suggèrent des initiatives pour en limiter les conséquences négatives.
C'est quoi la RSE ?
Ce dispositif, imposé par la loi en 2001, a entraîné une progressive prise de conscience chez les entreprises : en 2017, 83 % d’entre elles veulent réduire leur empreinte carbone. Mais seulement...38 % atteignent leurs objectifs.
La RSE reste donc un outil imparfait peu compris des salariés et… critiqué.
Un anglicisme lui est parfois accolé : le greenwashing, une stratégie marketing adoptée par des entreprises. Elle consiste à mettre en avant des arguments écologiques pour construire, auprès du public, une image verte, alors que la réalité des faits ne correspond pas aux éléments de langage de la communication.
Pour preuve, plusieurs rapports dénoncent le décalage entre les engagements des grandes entreprises et les objectifs climatiques. Il suffit de consulter le “Fossil Fuel Finance Report Card 2019”, qui révèle des chiffres préoccupants.
1 688 milliards d’euros
Soit les financements accordés par les 33 principales banques mondiales aux énergies fossiles depuis la COP21 de Paris en 2015, plus que le PIB d’un pays comme l’Espagne.
Urgence climatique - urgence stratégique
L’enjeu climatique est pourtant aujourd’hui crucial pour une entreprise. Ce défi du siècle bouscule leur modèle économique. L’urgence climatique devient, pour ces acteurs économiques, une urgence stratégique.
“Aucune entreprise ne peut ignorer l’intérêt général, et donc le sort de la planète. La prise de conscience est vraiment en marche, appuie Muriel Barnéoud, directrice de l’engagement sociétal à La Poste. “Elles ne peuvent plus seulement 'communiquer' sur leur impact climat”, appuie Meike Fink, responsable transition climatique juste au sein de l’association Réseau Action Climat.
Cette exigence, c'est aussi celle de jeunes talents qui imposent une concurrence intense entre les employeurs qui recrutent, en choisissant les plus éthiques.
Dans un manifeste “pour un réveil écologique” signé par plus de 30 000 étudiants de grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, en novembre 2018, des futurs diplômés demandent aux grandes entreprises de "placer les logiques écologiques au cœur de leur organisation et de leurs activités".
Nous, futurs travailleurs, sommes prêts à questionner notre zone de confort pour que la société change profondément.Les étudiants du collectif Pour un réveil écologique
Pénurie de talent
‘‘Les employeurs sont extrêmement inquiets, assure Muriel Barnéoud, de La Poste. De grandes marques qui recrutaient jusque-là facilement des jeunes à haut potentiel voient ces mêmes profils partir au bout de six mois. Certains changent totalement de voie, optant même pour la permaculture. C’est du jamais vu.”
La question du sens s’invite même avant les premiers pas professionnels. Elle se joue parfois au lycée, au moment du choix des études, bien avant l'insertion sur le marché du travail.
Pauline et Hugo ont par exemple renoncé à des parcours prestigieux - fac de droit et Sciences Po - pour s'inscrire en licence Sciences, écologie et société, plus conforme à leurs aspirations. “Cette cause me tient à cœur, indique Pauline. J’ai envie de lier mon engagement et mon avenir professionnel.”
Hugo, lui, rêve de travailler dans une structure responsable. “Le film Après demain met en lumière une scierie où chaque employé joue un rôle pour le climat, où chaque salarié exprime sa voix, sans hiérarchie. Est-ce que ce modèle est transposable aux grandes entreprises ?”, s'interroge le lycéen.
Le jeune homme pourrait se poser une autre question complémentaire : la transition écologique pourrait-elle être perçue comme une opportunité économique et une source de solution au défi climatique ?
Les grandes entreprises, un levier d'innovation
La Poste, 250 000 employés en 2018 dans le monde, incarne ce challenge. “Les facteurs, détaille Muriel Barnéoud, parcourent quotidiennement l’équivalent de 50 fois le tour de la Terre”.
Aussi, pour réduire son empreinte carbone, l’entreprise publique a développé la plus grande flotte de véhicules électriques au monde.
La Poste a contribué au développement des véhicules électriques sur le marché français.
“En 2009, il existait uniquement des voitures utilitaires électriques à des prix de Lamborghini, estime Muriel Barnéoud. On a réuni autour de nous plus de 20 entreprises, parfois concurrentes, afin de centraliser un niveau de commandes suffisant pour que les industriels puissent lancer des chaînes de production.”
Une stratégie de “filière” qui a permis à l’entreprise de réduire ses émissions de C02 et à un secteur de se déployer, et ainsi de créer des emplois.
S'engouffrer dans de nouveaux marchés issus de la transition énergétique n'est pas le privilège des grands groupes. La start-up Plast’if, une entreprise qui recycle du plastique, a fait de ces mutations le coeur de son modèle d'affaires.
A la rencontre de Plast'if, l'entreprise qui transforme le plastique.
Investir sur le temps long
La mutation des grands groupes n'est toutefois pas si simple. Des freins internes et organisationnels existent.
“Il y a des stratégies 'climat' dans chaque entreprise du CAC 40, portées par des personnes motivées et compétentes, relève Meike Fink, de Réseau Action Climat. Mais ce département “transition écologique” se heurte aux objectifs globaux de l’entreprise. Des tensions naissent au sein des organisations.”
La responsable de La Poste ajoute : "Oui, le département RSE d’une entreprise n’a pas le monopole du cœur et de la pensée généreuse. Il doit convaincre”.
Les entreprises sont particulièrement confrontées à la dualité court-terme/long-terme. Les prises de décisions "climatiques", et c’est toute la difficulté, ne donnent pas des résultats immédiats. “C’est un investissement, alors qu'il y a une exigence partagée de résultats immédiats : actionnaires, clients, citoyens. Le défi est de convaincre tous les acteurs qu’une telle stratégie portera ses fruits dans 5 ans, 10 ans”, assure Muriel Barnéoud.
Nous voyons monter les critères de responsabilités sociales et sociétales de l’entreprise [...]. Je suis tout à fait en phase avec cela, mais attention à ne pas se tromper sur l’essentiel. A la fin du mois, je paie les salaires en euro. Comment réagiront les collaborateurs si nous remplissons 100 % de nos objectifs RSE et que nous tombons en faillite ?Carlos Tavares
PDG de PSA (Peugeot-Citroën) dans une interview aux Echos le 29 mars 2019.
Vers une croissance verte ?
Les jeunes mobilisés sur le bitume parisien rejettent, pour la majorité, cette “dualité”. Ils fustigent plutôt des blocages systémiques.
“La logique économique dans laquelle nous vivons n’est pas viable, explique Pauline. On se sent déconnectés des politiques et des entreprises qui n’ont que le mot croissance ou chiffre d’affaires à la bouche. Il ne peut pas y avoir de croissance infinie avec des ressources finies”, explique la jeune femme aux idées alimentées par celles de la Collapsologie, cette théorie de l'effondrement de la société industrielle.
Un discours partagé dans une certaine mesure par plusieurs Organisations non gouvernementales (ONG) :
L’activité d’une multinationale en soi est assez incompatible avec une transition écologique poursuit Meike Fink de Réseau Action Climat. Il faut utiliser les ressources au plus près du citoyen, développer une vision plus décentralisée. Et il faut limiter les échanges qui n’ont pas de sens".
Concilier performance économique et respect des objectifs environnementaux est-il impossible ? En mai, un rapport de l’association “Entreprises pour l’environnement”, dont la moitié des entreprises du CAC 40 est membre, est venu éclairer le débat public sur l'opportunité d'une croissance verte.
Pour Claire Tutenuit, déléguée générale de l’association, il est possible d’avoir un système libéral, une croissance économique et une France neutre en carbone en 2050, c’est-à-dire qui n’émet pas plus de carbone qu’elle n’en absorbe, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris.
"On ne tombera pas dans la crise économique. Ce n’est pas le miracle espéré par certains, mais ce modèle générera de l’emploi ”, explique-t-elle, en référence à un rapport qui affirme que la transition écologique pourrait créer carrément un million d’emplois.
Pour réussir ce pari, l’urgence est à l’action. Mais aussi à une régulation, avec l’Etat en rôle moteur, estime la responsable. Sans réaction, la justice climatique pourrait se saisir de la question.
La question de la régulation par l’État et de la contrainte pour les entreprises reste malgré tout un sujet qui divise les économistes.
Argument des experts
La loi peut-elle rendre les entreprises plus responsables ?
OUI

Christophe Revelli
Professeur associé de finance responsable et directeur académique du M.Sc Finance de Kedge Business School.
- L’approche de la RSE volontaire n’a pas apporté des résultats probants aux regards des urgences économiques, climatiques et sociales.
- Les entreprises ont pour la plupart géré l’impact social et environnemental de leurs activités dans un objectif de communication (greenwashing).
- Les entreprises doivent créer de la valeur globale, au service de l’intérêt commun et non pas de la richesse au service de quelques intérêts.
NON

Michel Albouy
Professeur senior de finance à Grenoble École de Management, il est également docteur en management (PhD) de l’Université du Texas, à Austin (USA).
- L’État est parfois déconnecté de la réalité des entreprises. Les dispositions votées ne répondent pas aux besoins, ni des citoyens, ni des entreprises.
- La France réglemente déjà beaucoup, un cadre trop contraignant n’est pas le meilleur moyen pour modifier le comportement des entreprises.
- Seule la loi du marché permettra de convaincre les entreprises d’opter pour une stratégie sociale et environnementale de long terme. Le consommateur par, ses choix, oblige à l’entreprise à se responsabiliser.
Et les citoyens-consommateurs dans tout ça ? "En 2050, la majorité de la population française devra vivre comme les citoyens les plus engagés aujourd’hui, en diminuant, par exemple, drastiquement sa consommation de viande", avance la déléguée générale de l’association “Entreprises pour l’environnement.”
"Le citoyen a évidemment une responsabilité. Mais il faut qu’il soit informé afin de ne pas être piégé par la communication des entreprises. Il pourra alors changer les règles du marché”, assure Meike Fink.
C’est cet effort que tente de faire la jeune manifestante Pauline au quotidien, en boycottant certains producteurs. “Je fais attention à ma consommation. Je n’achète aucun produit avec de l’huile de palme, pas d’Oreo, de Nutella.”
Deux tiers des consommateurs achètent des biens ou des services qui correspondent à leurs valeurs, selon une étude de l’entreprise de conseil Accenture. A l’heure où il suffit d’un clic pour commander sur Amazon et d’un scroll pour choisir son menu, consommer mieux apparaît comme une première arme pour infléchir l'attitude des entreprises.
"Si votre génération fait le choix de consommer un produit ou non, les entreprises concernées seront alors obligées de s’adapter"Emmanuel Faber
PDG de Danone, discours au Campus de l'engagement, Autrans, le 3 juillet 2019
[Agir] 10 actions pour enrayer le changement climatique
Mais pour certains, les initiatives individuelles ne suffissent plus. Le 22 avril dernier, de nombreux citoyens ont occupé les sièges sociaux des grandes entreprises, à la Défense, les appelant à changer radicalement leur modèle économique.
Un salarié de Total, dont la tour était occupée, interrogé par Le Figaro, se disait solidaire de cette action : “c’est bien de temps en temps de réveiller les consciences. Avant d’être salarié de cette multinationale, je suis un citoyen comme tout le monde”. Un témoignage qui sonne comme un avertissement et qui doit pousser les entreprises à se transformer. Sous peine de voir la révolte germer - aussi - de l’intérieur.
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