Plus de la moitié de la forêt française pourrait voir son visage modifié d’ici à 50 ans, selon l’Office national des forêts (ONF). La cause principale : le dérèglement climatique. Depuis 2018, plus de 300 000 hectares de forêts publiques ont vu leurs arbres dépérir. La région Grand Est est particulièrement touchée avec la disparition de ses épicéas en plaine, attaqués par des insectes ravageurs tels que le scolyte.
L’ONF a donc monté le programme FuturForEst dans le but de compenser ces pertes. « C’est un test grandeur nature qui consiste à installer 75 îlots de deux hectares répartis sur l’ensemble de la région Grand Est. Chaque îlot contiendra plusieurs plants d’une seule nouvelle essence afin d’observer son adaptation sur plusieurs années et de les comparer », explique Hubert Loye, responsable Projets complexes à l’ONF Grand Est.

Le pari de la régénération naturelle
Une dizaine d’essences aux noms bien exotiques pour la région ont été sélectionnées, comme le noisetier de Byzance, le copalme d’Amérique, le sapin de Cilicie ou encore le pin de Macédoine. Elles ont été choisies pour leur capacité à résister à de fortes variations de températures et aux sécheresses, ainsi que pour leur capacité à produire du bois d’œuvre (au mieux dans 50 ans pour les plus rapides ! ).
En Chiffres
25 milliards
C'est en euros la valeur ajoutée de la filière française de bois.
Mis en place entre 2019 et 2023, le programme FuturForEst est financé à hauteur de deux millions d’euros par la Région et le Fonds européen agricole pour le développement rural. Si les tests sont concluants, ces essences pourront être mélangées et servir à la reforestation.
À lire L’agroécologie, comment ça marche ?
Toutefois, même si le projet est inédit par son ampleur, « les espèces plantées ne pourront remplacer qu’une partie des pertes. Et encore cela reste à vérifier », assure Hubert Loye. L’ONF ne mise donc pas tout sur cette expérimentation, la régénération naturelle doit rester le mode de renouvellement principal des forêts en France.
La forêt française, vaste mais pas assez diverse
Selon la définition officielle, une forêt se caractérise principalement par une superficie minimum de 50 ares (5 000 m2), la présence d’arbres pouvant atteindre une hauteur supérieure à 5 mètres à maturité in situ et une utilisation qui n’est ni agricole ni urbaine. En France métropolitaine, la superficie des forêts ne cesse d’augmenter depuis 1985, passant de 14,1 millions d’hectares à 17 millions aujourd’hui.
Les trois quarts de ces surfaces sont privées, elles représentent également le troisième stock de bois européen, derrière l’Allemagne et la Suède. Avec 138 essences d’arbres, la forêt française métropolitaine compte près de 75 % des essences présentes en Europe.
Toutefois, la moitié de la forêt française est constituée de peuplements monospécifiques, c’est-à-dire qu’une seule essence représente plus des trois quarts du couvert d’arbres d’un peuplement. Ce manque de diversité est souvent pointé du doigt par les défenseurs de l’environnement, qui estiment que cela encourage la propagation de parasites ou d’incendie, par exemple.
Il y a urgence. En 2020, les bois dépérissants (en raison de diverses maladies) ont représenté plus du quart de la récolte en forêt publique de l’Hexagone. Une situation à laquelle s’ajoute une crise économique et sanitaire qui a poussé l’État à lancer un Plan forêt de 200 millions d’euros, dont 150 millions seront alloués au reboisement des forêts publiques et privées.

C’est en effet tout un secteur économique qui est menacé : la filière bois, c’est 25 milliards d’euros de valeur ajoutée (1,10 % du PIB français) et près de 400 000 emplois directs (source : Veille économique mutualisée Filière forêt-bois, chiffres 2017).
À lire Jusqu’où privatiser les forêts françaises ?
Qui plus est, les besoins en bois de construction vont sans doute augmenter dans les années à venir, portés par le secteur de la construction écologique, alors que le solde de commerce extérieur de la filière présente déjà un déficit récurrent de près de 6,5 milliards d’euros. Son avenir repose donc en partie sur la capacité d’adaptation des espaces forestiers.
Une forêt urbaine à Nice
Ces enjeux vont bien au-delà des forêts. En ville aussi, « la question de l’adaptation des arbres se pose », affirme Annabel Porté, chercheuse en écologie forestière à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) à Bordeaux.
En Chiffres
75,6 millions
D'euros seront investis d'ici à 2025 par la ville de Nice pour créer une « forêt urbaine » en centre-ville.
« Il est même vital de comprendre comment l’arbre va résister – ou non – aux changements climatiques pour savoir quelle essence privilégier afin d’assurer un certain nombre de services : fixer le carbone, réguler la circulation de l’eau, rafraîchir, abriter la biodiversité, le bien-être humain, etc. » Autant d’enjeux désormais intégrés dans les politiques de la ville.
À Nice, par exemple, un budget (pour l’instant indicatif) de 75,6 millions d’euros a été annoncé pour la création en centre-ville d’une « forêt urbaine » d’ici fin 2025, dans le prolongement de l’actuelle coulée verte, soit huit hectares de végétation en plus. La métropole de Lyon prévoit, elle, de planter trois micro-forêts cette année sur son territoire, et d’autres pourraient encore voir le jour dans les années à venir.
Nous sommes engagés dans une course contre la montre. Les nouvelles connaissances acquises sur les arbres et leurs évolutions arrivent quasiment en même temps que le changement climatique.
Annabel Porté,chercheuse en écologie forestière à l'Inrae.
L’objectif pour ces grandes villes : apporter de la biodiversité dans l’aire urbaine et de la fraîcheur pour rester attractives pour ses habitants, malgré la hausse des températures.

« À la campagne, en ville et en forêt, nous sommes engagés dans une course contre la montre. Les nouvelles connaissances acquises sur les arbres et leurs évolutions arrivent quasiment en même temps que le changement climatique », souligne Annabel Porté. Ce qui pousse à agir et à expérimenter, sans être capable de mesurer toutes les conséquences futures des actions entreprises aujourd’hui.
Ramener la forêt en ville : débat autour de la méthode Miyawaki
Planter trois arbres au mètre carré sur une petite surface abandonnée, en ville ou aux abords et arroser un peu… En trois ans, une forêt sera née, fonctionnant sans que l’humain n’ait à intervenir. Telle est la promesse de la méthode Miyawaki, du nom du botaniste japonais qui l’a inventée, et que de nombreuses villes françaises tentent d’appliquer.
À Mulhouse, ce sont 25 000 arbres qui ont été plantés sur 8 000 m2 en bordure d’autoroute sur une ancienne friche située en zone humide et en pleine « renaturalisation ». Cette initiative s’inscrit dans le cadre du projet Mulhouse Diagonales, qui a pour but de remettre en valeur les rivières et canaux qui traversent la ville.
Dans cette optique, « l’arbre est l’acteur central pour rafraîchir nos villes aujourd’hui, lutter contre les îlots de chaleur et favoriser le bien-être humain », explique Catherine Rapp, adjointe au maire déléguée à la nature en ville.
Cette idée de planter une micro-forêt à Mulhouse a été suggérée puis concrétisée par l’entreprise Trees-Everywhere. Créée en avril 2020, cette société propose aux entreprises qui cherchent à compenser leur empreinte carbone de financer et de planter des arbres.
« Nous travaillons avec des scientifiques afin de connaître l’efficacité exacte d’une forêt inspirée de la méthode Myiawaki. En général, nous estimons qu’il faut planter deux à trois arbres par tonne de CO2 à compenser. De cette façon, l’entreprise réduit l’impact de son activité sur l’environnement et améliore son image auprès de ses clients », détaille Sophie Grenier, présidente fondatrice de Trees-Everywhere. À Mulhouse, ce sont donc une dizaine d’entreprises qui ont financé la micro-forêt à hauteur de 200 000 euros.