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Climat, une dépendance coupable au charbon
Environnement
Climat, une dépendance coupable au charbon
SÉRIE - Malgré la signature de l’Accord de Paris sur le Climat et l’engagement d’une majorité d’États à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, l’exploitation du charbon, technique de production d'électricité la plus polluante, a encore quelques années devant elle. Si l’Occident lève le pied, l’Asie, elle, appuie encore sur l’accélérateur. ["Accros au charbon", épisode 1/4]
Marius Rivière, Illustration d'Émilie Seto
© Emilie Seto
Les coups de grisou et les gueules noires de Germinal sont-ils vraiment de lointains souvenirs ? Près de deux siècles après la fin de la Révolution Industrielle, aucun doute possible : le monde est toujours accro au charbon.
Minerai formé par la dégradation de matières végétales durant des millions d’années, le charbon est présent partout sur Terre, de la Chine au Canada, du Pays de Galles à l’Australie, de l’Allemagne au Maroc : le monde entier l’exploite.
Peu cher à extraire, le minerai est toujours, en 2021, le premier moyen de générer de l’électricité dans le monde. Pensez un peu : 38% de l’énergie mondiale est produite grâce au charbon. Une proportion qui ne bouge pas ou peu depuis 30 ans, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
C’est à peine si son exploitation a (légèrement) diminué en 2015 avant de remonter à nouveau les années suivantes. Et l’AIE estime même que cette hausse va se poursuivre jusqu’en 2023.
“On estime que les réserves de charbon mondiale pourraient encore être exploitées pendant un siècle et demi”, détaille Diana Cooper-Richet, historienne du charbon et chercheuse à l’université de Versailles. À elle seule, la Chine consomme plus de la moitié du charbon du globe (51%), suivie par l’Inde (12%) et les Etats-Unis (7%).
Si produire de l’électricité grâce au charbon est rentable financièrement, il en est tout autrement pour la planète. Extraire et brûler du charbon rejette dans l’atmosphère un cocktail de CO2, de gaz soufrés, d’oxydes d’azote et tout un tas de particules fines. Le minerai noir est de (très) loin la technique de production d'électricité la plus génératrice d’émissions de gaz à effet de serre.
44 %
Part des émissions de CO2 mondiales dues à l'exploitation du charbon
En 2018, l’exploitation du charbon représentait 44% de l’ensemble des émissions de C02… Permettez-nous d’insister : presque la moitié du CO2 émis dans le monde l’est en raison du charbon.
L’équation est simple : si l’on veut empêcher un emballement climatique irréversible pour la planète, il faut en finir avec le minerai noir. Et vite.
Baisse en Occident, hausse en Orient
Selon qu’on se place d’un côté ou de l’autre de la planète, l’accoutumance au charbon n’est pas exactement la même. En fait, le monde est comme coupé en deux : d’un côté, l’Europe et les Etats-Unis où la baisse de l’exploitation du charbon est réelle, de l’autre, l’Asie où se concentre la majorité des centrales à charbon encore en activité.
“Les besoins en électricité dans les pays en voie de développement sont considérables et le moyen le plus simple pour eux d’en produire, c’est le charbon”, décrypte Patrick Criqui, directeur de recherche émérite au CNRS à l’Université Grenoble Alpes.
En Europe, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal, l’Angleterre ou l’Italie ont acté la fin quasi totale de l’exploitation du charbon d’ici à 2030 maximum. L’Allemagne, malgré la réouverture de plusieurs centrales, s’est engagée à en finir avec le charbon d'ici 2038, voire 2035.
Sur le Vieux-Continent, la Pologne est le seul État à rester extrêmement dépendant au charbon. Après avoir rechigné à toute entrave au charbon, le gouvernement polonais s’est finalement engagé à réduire son utilisation jusqu’à s’en débarasser complètement d’ici à... 2050. Il faut dire que plus de 75% de son électricité est encore produite grâce à la houille et le secteur emploie encore près de 80 000 mineurs.
Aux Etats-Unis, malgré les promesses incessantes de relance du secteur par Donald Trump durant ses quatre ans de mandat, le pays n’a jamais aussi peu exploité de charbon. Une cinquantaine de centrales ont été fermées en quelques années, le pays retrouvant son niveau d’exploitation de 1975. Nouvelle ambition écologique ? Pas exactement. Cette désaffection s’est surtout faite au profit du gaz de schiste, disponible en abondance mais dont l’extraction cause, là aussi, des dégâts écologiques désastreux.
L’Asie du Sud-Est de son côté, et la Chine en particulier, vit une situation paradoxale. Première consommatrice de charbon au monde, elle est aussi le premier État à investir dans les énergies renouvelables.
Les besoins en électricité dans les pays en voie de développement sont considérables et le moyen le plus simple pour eux d’en produire, c’est le charbon.Patrick Criqui,
Directeur de recherche émérite au CNRS à l’Université Grenoble Alpes
Il faut dire que la plupart des grandes villes du pays sont dans le brouillard la moitié de l’année, l’air surchargé de particules fines. Les épisodes de smog, de plus en plus nombreux, ont poussé les autorités chinoises à plafonner leur utilisation du charbon. En novembre 2020, Pékin s’est même engagé à réduire ses émissions de CO2 “avant 2030” et à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2060.
Reste que les industriels chinois exportent leur savoir-faire : en Inde, aux Philippines, au Pakistan ou encore en Afrique, des ingénieurs chinois construisent chaque année de nouvelles centrales à charbon. Autant de tonnes de CO2 à venir.
La fin du charbon français
Ce tour du monde effectué, revenons-en à la situation française. L’Hexagone, comme l’ensemble des 27 pays européens, s’est engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport au niveau de 1990.
Le pays, hors territoires d’outre-mer, ne compte plus que 4 centrales à charbon dont la fermeture définitive est prévue d’ici au 1er janvier 2022, une promesse présidentielle.
Même si l’Etat semble finalement décidé à poursuivre l’activité de la centrale de Cordemais (Loire-Atlantique) au-delà de cette date. D'après le ministère de la Transition écologique, ces quatre centrales émettent chaque année autant de CO2 que 4 millions de voitures…
Ce qui représente 35% des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la production électrique.... Alors que le secteur ne pesait en 2018 qu’un peu plus d’1% de l’ensemble du mix énergétique français, ça fait beaucoup.
Pour mesurer l’importance de la page qui se tourne, un retour en arrière s’impose.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le général de Gaulle, avec l’appui de ses ministres issus du Parti Communiste, en appelle à la mobilisation générale des mineurs. Le pays doit se reconstruire, et vite. Jusqu’à 300 000 mineurs creusent alors dans les mines du Pas-de-Calais, de Lorraine, du Gard, des Bouches-du-Rhône ou du bassin de la Loire. Objectif national : 100 000 tonnes de charbon extrait chaque jour.
Pour ça, les mineurs triment dans des conditions épouvantables. “On souffrait beaucoup de la chaleur. Dans les chantiers en cul-de-sac, il faisait entre 35 et 40 degrés. Avec un taux d’humidité proche de 100%, on était trempé de la tête au pied. Certains bossaient en slip, d’autres carrément nus”, se remémore Didier Veratti, mineur pendant presque trente ans dans les mines de Gardanne (Bouches-du-Rhône).
Loués pour leur courage et leur détermination, ils deviennent le visage du prolétariat, le modèle du travailleur français déterminé à faire renaître le pays. Le charbon français est alors à son apogée.
2003
Date de la fermeture de la mine de charbon de Gardanne.
Il entame aussitôt le lent déclin dont on vit aujourd’hui l’aboutissement. “En 1982, on était encore 1200 à descendre au fond. En 2000, 2001, on était plus que 350...”, détaille l’ancien mineur. Entre-temps, la France s’est reconstruite et s’est tournée vers une autre énergie que l’on dit d’avenir : le nucléaire. Résultat, en 2021, la France est toujours le pays le plus nucléarisé au monde avec 71% de notre électricité produite grâce à l’atome.
Reste que les dernières mines de charbon de France ont fermé il y a moins de 20 ans. À Gardanne, la mine ferme en janvier 2003. C’était hier.
“En 1994, ils ont mis en place un plan social. Si vous aviez 20 ans de mine et 40 ans d’âge, vous aviez 80% du salaire et vous pouviez rester à la maison. Soi-disant c'était pour service rendu à la nation. En fait, ils ont acheté la paix sociale...”, se souvient Didier Veratti.
“Partir à la retraite à 40 ou 45 ans, c’est extrêmement perturbant. Il y a eu des problèmes d’alcoolisme, de divorce, ça a été terrible pour la ville”, ajoute-t-il.
Le désastre de la fermeture des mines plane aujourd’hui comme un spectre autour des dernières centrales à charbon encore en activité.
Épisode 2 - Écologie versus Emploi
Retrouvez notre prochain épisode dès le mardi 27 avril.
Tout le monde est d’accord pour sortir du charbon, mais concrètement, comment procéder ? Quel avenir pour les centrales à charbon qui doivent fermer et les salariés qui y travaillent ? Reportage à Gardanne où écologie et emplois n’ont jamais semblé aussi inconciliables.