Economie

Comment la plus grande station d'épuration écossaise est devenue autosuffisante en électricité

Dans une usine d’Édimbourg, les matières organiques extraites des eaux usées émettent du biogaz. Capté, transformé en chaleur, il produit 85 % de l’électricité du site. Les boues deviennent ensuite des engrais.

Lou-Eve Popper
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Il faut se rendre jusqu’à la côte pour l’apercevoir, battu par les vents de la mer du Nord, survolé par des nuées de mouettes. Aujourd’hui, le site de Seafield, la plus grande station d’épuration d’Écosse, traite les eaux usées de toute la population de la capitale et de ses alentours, soit près d’un million de personnes.

Sur place, on aperçoit de gigantesques bassins qui s’étendent à perte de vue, l’équivalent de près de 121 piscines olympiques. À leur gauche siège une structure industrielle dernier cri : un dispositif d’hydrolyse thermique.

Financé en 2013 par le groupe français Veolia pour la modique somme de 14 millions de livres (16 millions d’euros), cet ingénieux système a permis à la station d’épuration de faire sa révolution : elle est devenue quasiment autosuffisante en électricité et elle valorise ses déchets à grande échelle.

Biogaz transformé en chaleur et en électricité

Le principe de ce bijou industriel ? L’hydrolyse thermique fait chauffer les boues d’épuration (les déchets qui proviennent des eaux usées) à 160 °C pour les faire sécher et tuer les bactéries, de la même manière que l’on pasteurise le lait.

Quand on s’approche des réacteurs, on remarque que la structure est agitée de tremblements : « C’est normal, avec la vapeur sous pression que l’on envoie à l’intérieur, ce sont comme de gigantesques cocottes-minute », explique Tracy Byford, l’ancienne cadre opérationnelle du site, désormais chargée d’expliquer au monde comment fonctionne la station d’épuration.

Une fois passées par les autocuiseurs, les boues d’épuration sont conduites vers six digesteurs anaérobies, sortes d’immenses boîtes de conserve arrondies à l’intérieur desquelles elles se décomposent.

Et c’est que là que le miracle scientifique opère : suite à leur fermentation, les matières organiques émettent du biogaz qui est ensuite capté, puis transformé en chaleur et en électricité via un système dit de « cogénération ».

Éco-mots

Cogénération 

Processus qui consiste à produire simultanément deux énergies différentes dans la même centrale. Le cas le plus fréquent est la production conjointe d’électricité et de chaleur.

Cette énergie renouvelable est ensuite utilisée directement sur place et permet de fournir entre 85 et 90 % de l’électricité du site. « Nous produisions déjà du biogaz avec les digesteurs auparavant, mais l’hydrolyse thermique nous permet d’en produire infiniment plus », indique Tracy.

Sans compter que ce procédé permet, par ailleurs, de réduire les émissions carbone. « Nous sommes aujourd’hui l’une des stations d’épuration les plus vertes de tout le Royaume-Uni », parade-t-on chez Veolia, qui gère la station depuis 1999 au nom de Scottish Water, la société nationale d’approvisionnement en eau et assainissement.

Mais il y a plus : une fois sorties des digesteurs, les boues d’épuration sont desséchées pour devenir un formidable engrais naturel. « Auparavant, les digesteurs produisaient déjà des résidus, mais c’est grâce à l’hydrolyse thermique que nous avons pu en faire un vrai fertilisant », explique Tracy. « Aucun produit chimique n’est ajouté. Tous les biosolides introduits dans les terres et l’agriculture sont soumis à des contrôles réglementaires stricts et à des normes d’assurance qualité », précise Natalie Walker, une porte-parole de Scottish Water.

D’après Veolia, « le résultat est un engrais équilibré qui enrichit la terre grâce à ses composants en nitrogène, phosphate et soufre ». Pour l’heure, Seafield en produit près de 30 000 tonnes par an. Dans le hangar où il est stocké, on peut voir des montagnes de ce fertilisant naturel encore chaud, d’où s’échappe une mince fumée. C’est ici que viennent s’alimenter les camions qui livrent plus d’une trentaine d’agriculteurs de la région.

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Un fertilisant durable et économique

John Davidson, un agriculteur de 50 ans installé à Silverburn, un petit village au sud-ouest d’Édimbourg, utilise l’engrais de Seafield depuis cinq ans et il en est ravi. « C’est excellent pour le terrain et ça ne pollue pas les cours d’eau environnants », explique-t-il.

D’après ce fermier, l’avantage de ce produit est qu’il dure plus longtemps que n’importe quel fertilisant industriel : « On en voit les premiers effets au bout de six semaines, mais ensuite, cela dure pendant près de deux ans. Le fertilisant chimique met, certes, moins de temps à agir, mais il faut sans cesse y revenir », affirme-t-il.

Mieux, ce cultivateur de malt, d’orge, de navets et de choux frisés explique qu’il a réalisé des économies significatives depuis qu’il utilise l’engrais de la station d’épuration. Pour un hectare de terrain, l’engrais naturel de Seafield lui coûte 40 livres, soit près de quatre fois moins qu’un engrais chimique.

Face à cette prouesse technologique, John ne peut s’empêcher de sourire : « Avant, les fermiers utilisaient les déchets provenant des sanitaires pour en faire du compost, qu’ils épandaient ensuite sur leurs terres. Finalement, aujourd’hui on fait la même chose, mais à une échelle industrielle. » Un retour aux sources, donc, plus que jamais nécessaire.

Les odeurs se recyclent aussi

La presse locale a relayé les plaintes des habitants concernant des relents désagréables en provenance de Seafield. En arrivant à la station, on se prépare donc à être agressé par des odeurs nauséabondes.

Mais force est de constater que nos narines sont plutôt épargnées. La station d’épuration n’a pas ménagé ses efforts. Entre 2009 et 2011, Scottish Water et Veolia ont investi 20 millions de livres dans un système de captation des nuisances olfactives.

Transporté à l’aide de tuyaux à travers tout le site, l’air malodorant est ensuite traité : « Nous utilisons les techniques standards de l’industrie, lesquelles consistent à désagréger les différents éléments afin de les rendre inertes ou bien de les absorber via un filtre », explique-t-on chez Scottish Water.

L’air pur est ensuite relâché au moyen d’une cheminée. Un nouveau plan de 10 millions de livres est prévu pour améliorer encore la gestion de ces nuisances.

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