L’essentiel
- Rénover les passoires thermiques est indispensable dans la route vers la neutralité carbone. Mais le coût et la pénurie de main-d’œuvre freinent bailleurs et propriétaires.
- 500 000 logements pourraient sortir du parc locatif si les travaux ne sont pas réalisés dans les temps
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« J’ai dû contacter huit électriciens pour en trouver un qui accepte de me faire un devis pour cinq de mes appartements », constate dépité Marcel Crasnier. Inflation, pénurie d’artisan et de matières premières, crise énergétique… C’est peu dire si la période n’est pas propice à la rénovation des logements énergivores. Pour les propriétaires et bailleurs comme lui, il faut pourtant s’y mettre malgré les défis logistiques du moment : la loi va interdire leur location.
En 2025, ce seront d’abord les logements G, puis trois ans plus tard les F. Et enfin, en 2034, les E. Et ce n’est pas un microproblème : il y aurait cinq millions de passoires thermiques en France, selon l’Observatoire national de la rénovation énergétique. Et même sept à huit millions, pour la Fédération nationale des agents immobiliers (FNAIM).
Passoire thermique
Logements très mal isolés, nécessitant beaucoup d’énergie pour se chauffer. Pour savoir si son appartement ou sa maison fait partie de cette catégorie, il faut réaliser un « DPE », diagnostic de performance énergétique, donnant une note de A à G. Si le logement est trop énergivore, il écopera d’un E, F, voire pire, G.
Un coût substantiel pour le bailleur
« Remettre en l’état rapidement est difficile ! Lorsqu’il s’agit d’un appartement, il faut passer par un audit énergétique, ce qui se décide collectivement en copropriété. Les propriétaires occupants, qui ne sont pas concernés par la réforme, peuvent de plus ne pas être d’accord, car l’audit, puis les travaux engagés, sont onéreux. En parallèle, les prix des matériaux flambent et les professionnels de la rénovation sont de plus en plus inaccessibles », explique-t-il.
Pour ses biens pour lesquels il a déjà engagé des travaux énergétiques, afin de passer à la note D, Marcel Crasnier estime le coût entre 500 et 1 000 euros du mètre carré.

Pour le propriétaire, cela signifie donc des frais substantiels. Et même s’il dispose d’aides, et de la possibilité de déduire les travaux de ses impôts à venir sur ses revenus locatifs, il lui faut régler la facture.
« Ces travaux sont en effet lourds, et chers. Même si vous vous contentez du minimum, pour passer de G à D, cela représente des dépenses de plusieurs milliers d’euros pour la personne qui investit. Cela peut aller jusqu’à 60, 70 000 euros, pour les transformations les plus conséquentes. On est loin ici d’un simple changement d’ampoules, ce sont des investissements lourds, que tout le monde ne peut pas se permettre », relève Louis-Gaëtan Giraudet, chercheur à l’Ecole des Ponts et au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement.
Il rappelle que théoriquement, la loi autorise les bailleurs à répercuter le coût des travaux sur le montant des loyers, mais que cette solution est peu connue, et peu utilisée.
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Indispensable pour la neutralité carbone
Le principe de cette réforme, et la nécessité de rénover les biens mal isolés, fait pourtant consensus, du moins en apparence. « Le but de cette loi est de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Or, 45 % de l’énergie consommée en France vient du bâtiment. Chacun voit que le parc français est vieillissant, et qu’il doit être rénové », déclare Gaëlle Audrain-Demey, enseignante-chercheuse en droit de l’environnement à l’Université de Nantes et à l’Ecole supérieure des professions immobilières.
« L’idée est très bonne sur le papier en effet ! Nous avons toujours encouragé les bailleurs à réaliser des travaux, afin de garder leurs locataires et de valoriser leur patrimoine. Le problème est la réalisation. Le calendrier est trop proche, face à une forte inflation, des artisans débordés et des pénuries de matériaux », déplore Christophe Demerson, président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers.
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Un marché du logement en pleine incertitude
Selon la FNAIM, 500 000 logements pourraient ainsi sortir du parc locatif si les travaux ne sont pas réalisés dans les temps, pour des raisons financières ou de calendrier.
« Beaucoup de bailleurs se préparent à l’idée de vendre, car ils n’auront pas forcément les moyens de réaliser les travaux nécessaires pour améliorer le score de leur DPE. En termes de prix, cette loi aura bien sûr un impact : une décote immédiate va se créer sur ces biens. Les passoires énergétiques se vendront moins vite, et surtout moins cher », détaille Myriam Ben Saad, enseignante-chercheuse en économie à l’Ecole supérieure des professions immobilières, qui travaille sur ces questions.
Loi de l’offre et la demande
Théorie qui explique l’interaction entre les vendeurs d’un bien ou d’un service et les acheteurs. Généralement, une offre faible et une demande élevée font augmenter les prix et vice versa.
Ces biens ne pourront ainsi plus être loués, mais pourront être acquis par des primo-accédants, pour y vivre. Un point positif pour ceux qui pourront ainsi accéder à la propriété, grâce à des prix au mètre carré moins élevés.
Pour les locataires, en revanche, la situation pourrait se tendre. « En effet, tout cela peut avoir des effets compliqués pour eux, acquiesce l’économiste Matthieu Glachant, enseignant-chercheur à l’Ecole des Mines de Paris, spécialiste des thématiques d’énergie et d’environnement. Cette offre locative limitée risque de faire mécaniquement augmenter les prix des loyers, pour ceux qui restent locataires, car moins de logements signifie plus de rareté. C’est l’effet symétrique de la baisse des prix des biens non rénovés à l’achat… » Ces impacts seront d’autant plus importants dans les zones les plus tendues, comme à Paris. Selon l’Insee, plus de 500 000 résidences principales y sont classées de E à G.
Économies d’énergie vs effet rebond
Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette réforme, évoquons aussi le positif pour les locataires. Après ces rénovations, les logements seront moins consommateurs d’énergie. Une excellente nouvelle pour l’occupant, comme pour la planète, s’il n’y a pas d’effet rebond. « Rénover la totalité du parc, pourrait permettre d’éviter l’émission de six millions de tonnes de CO2 chaque année. Cela a aussi un poids en termes de santé publique. Et à l’échelle d’un ménage, d’économiser une enveloppe de 500 euros par an pour se chauffer, ce qui n’est pas négligeable ! », détaille Myriam Ben Saad. En particulier si les crises de l’énergie se multiplient tous les hivers…
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Effet rebond (ou paradoxe de Jevons)
Hausse de la consommation de biens et de services résultant de la réduction des contraintes pesant sur l’environnement, obtenue grâce aux progrès technologiques. Par exemple, après des travaux de réhabilitation de logements ou la construction de logements théoriquement très performants, les économies d’énergie attendues ne sont pas systématiquement au rendez-vous car les occupants ont tendance à consommer plus d’énergie puisque leur logement est plus économe.
Dans le programme de SES
Terminale. « Quelle action publique pour l'environnement ? »
Première. « Quelles sont les principales défaillances du marché ? »