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Data - Comment le manque de piscines empêche de lutter contre les noyades
Environnement
Data - Comment le manque de piscines empêche de lutter contre les noyades
Dis moi qui tu es, où tu habites et je te dirai si tu pourras apprendre à nager.
Julie Desrousseaux
© DMITRY KOSTYUKOV/NYT-REDUX-REA
30 Septembre. C’est la date à laquelle termine une comptabilité funeste, celle du nombre de personnes victimes de noyade en France. Ce décompte (tri-annuel, effectué par Santé publique France) a de quoi nourrir les inquiétudes puisqu’il montre une explosion du nombre de noyés depuis 2015, notamment chez les jeunes enfants.
Deux fois plus de noyades qu'il y a dix ans
De surcroit, les chiffres montrent que les jeunes enfants sont de plus en plus nombreux parmi les victimes.
De plus en plus de noyés ont moins de 6 ans
Les facteurs qui peuvent conduire à une noyade sont multiples (malaise, manque de surveillance des enfants, suicide, courants forts…), mais une noyade sur sept (14,7%) survenue en 2021 dont la cause est connue s’explique par le fait que la personne ne sait pas nager.
C’est un fait qui surprend, mais un Français sur trois estime ne pas savoir nager plus de dix mètres d’après l’étude la plus récente sur l’aptitude des Français à la nage.
L’étude montre que ne pas savoir nager touche davantage les femmes, mais aussi les catégories socio-professionnelles basses et les niveaux de revenus ou d’études modestes.
Pire chez les jeunes
Encore plus surprenant, la capacité à nager des jeunes se dégrade. Entre 2010 et 2016 — date de la dernière enquête sur le sujet — le nombre d’adolescents et de jeunes adultes déclarant ne pas savoir nager plus de 10 mètres est passé de 12% à 17%.
Face à ces statistiques inquiétantes quant aux noyades d’une part et à l’aptitude à la nage d’autre part, et pour adresser le problème à la racine, le gouvernement lance, en 2019, le plan “Aisance aquatique”, sous l’impulsion de la Ministre des Sports d’alors Roxana Maracineanu. L’objectif: aller chercher le public qui n’est pas à l’aise dans l’eau, pour le former, avec une concentration particulière sur les enfants de 4 à 6 ans.
Sur son volet apprentissage, le plan Aisance aquatique vise à ce que les enfants puissent entrer dans l’eau par la tête, nager 10 mètres en autonomie, sortir de l’eau seuls au terme d’un cours de natation quotidien et gratuit pendant deux semaines.
« À Paris, se souvient Franck Guilluy, chef du service des piscines et baignades à la Direction jeunesse et sport de la ville de Paris, on a offert ce service a 220 enfants de maternelle et CP dès Septembre 2020. Il a fallu former une douzaine d’enseignants intervenants. L’année suivante, on a augmenté de 100% les effectifs — 24 enseignants et 480 enfants formés — un taux de progression que l’on souhaite maintenir en 2023 et 2024. »
Concurrence féroce pour les créneaux de nage
Moins de 500 jeunes parisiens formés, ce chiffre peut sembler dérisoire au regard des 46,000 enfants scolarisés en maternelle dans la capitale. « Mais ce n’est pas facile de trouver des créneaux pour organiser ces formations », répond Franck Guilluy.
190 000 usagers nagent dans les piscines parisiennes chaque année, alors que ces dernières sont conçues pour en accueillir 120 000 selon les chiffres communiqués par la mairie de Paris, soit un taux de surpopulation de 158%.
« Aujourd’hui, nos piscines sont complètement pleines, confirme Franck Guilluy, qui est devenu maître dans l’art de faire rentrer des publics différents dans un planning au couteau. Pour nous, un créneau, c’est une heure une ligne d’eau ».
Franck en alloue 979 110 chaque année. Avec une priorisation précise. « Nous avons avant tout une mission de service public, donc partout où il y a une piscine, les créneaux entre 8h30 et 11h30 le matin puis entre 13h30 et 16h30 sont réservés au scolaire. Même avec cela on a du mal à offrir plus que les 10 à 12 séances annuelles réglementaires. ».
Le reste des plages d’ouverture est réparti entre le public autonome — qui paye 3,5 euros son entrée à Paris — et l’associatif, puisque les piscines doivent aussi permettre aux clubs d’entrainer les futur.e.s champion.ne.s qui permettront de maintenir la France au plus haut niveau dans les compétitions internationales de natation.
Dans ce contexte de concurrence féroce pour les créneaux de nage, les cours d’aisance aquatique sont une ambition noble, mais la mise en pratique du programme interministériel se heurte à un problème sérieux de capacité. Alors pourquoi ne pas construire davantage de piscines?
Un gouffre financier
En France, aucune obligation n’incombe aux communes en matière d’équipement sportif (sauf rendre possible l’éducation physique et sportive pour les écoles élémentaires), mais « les communes et intercommunalités sont les premiers financeurs publics du sport en France » d’après le Ministère de la jeunesse et des sports. Ces collectivités décident ainsi d’investir plutôt dans un stade, une piscine, une patinoire… Et les piscines ont toutes les chances de sortir perdantes de cet arbitrage.
Parce qu’à la différence d’un stade ou d’un cours de tennis, une piscine représente un coût d’exploitation considérable. Il faut du personnel pour accueillir, surveiller, prodiguer des leçons de natation, assurer la maintenance des équipements et, pour opérer, une piscine mobilise des fluides (eau, énergie) sans commune mesure avec d’autres types d’équipements.
Les fluides (eau, énergie) représentent près d'un quart du budget d'une piscine
640 000 euros, c’est le déficit moyen des piscines selon la Cour des comptes. En moyenne, les communes propriétaires de piscines attribuent un quart de leur épargne brute « au besoin de financement de ce seul équipement » note l'institution.
À Paris, le déficit opérationnel est de 800 000 euros en moyenne par piscine, ce qui représente un coût net pour la ville de 39 millions d’euros chaque année pour l’ensemble du parc aquatique, d’après les données communiquées par la mairie.
Sans parler des coûts de rénovations. La moitié des piscines ont été construites il y a plus de 40 ans. Or, une vieille piscine peut consommer jusqu’à 300 litres/jour/baigneur, un chiffre qui peut être ramené à 150–200 litres avec certains travaux, selon l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales.
Mais les montants peuvent être rédhibitoires. Par exemple, la cour des comptes note que la rénovation de la piscine de Creil (Oise, 33807 habitants), a coûté 9,9 millions d’euros publics (300€ par habitant) — l’équivalent de deux années d’épargne brute de la commune — pour générer, depuis, un déficit d’exploitation annuel de 750000 euros.
L’équipement du siècle
On l’a compris, les piscines représentent un investissement et un engagement de long terme considérable. De l’autre côté de l’équation, la demande ne faiblit pas, au contraire. 41% des Français qui estiment que le nombre d’installations sportives près de chez eux est insuffisant souhaitent la construction d’une piscine, selon un rapport de la Cour des comptes de 2014 sur la fédération de natation, qui précise qu’une piscine « est incontestablement l’équipement sportif le plus sollicité par les évolutions de la demande sociale », un diagnostic qui s’est renforcé avec les épisodes de forte chaleur estivale.
Résultat, un parc aquatique insuffisant, permettant de « satisfaire 75% seulement du besoin » en 2014 selon la Cour des comptes. Avec des disparités territoriales importantes.
Les quelques 4000 piscines (5863 bassins) présentes en France métropolitaine sont inégalement réparties sur le territoire.
Entre grandes villes aussi, les nageurs et nageuses ne sont pas également dotés. Certaines grandes agglomérations augmentent leur offre en jouant sur les horaires d’ouverture. A Paris par exemple, plusieurs piscines municipales ouvrent jusqu’à 23h ou minuit.
Les nageurs sont mieux servis au Havre qu'à Lille
Piscines roulantes
Face à cette inégale capacité des localités à accueillir des cours d’aisance aquatique, le programme a prévu une enveloppe pour des bassins mobiles.
L’encore Ministre des sports en Novembre 2021 visitait l’un de ces bassins installé à Callac, dans les Côtes d’Armor (Bretagne). Pour apprendre aux jeunes enfants à être à l’aise dans l’eau, « on n’a pas nécessairement besoin d’un grand bassin, mais plutôt de plus petites piscines comme celle-ci, que l’on peut amener vers les gens et vers les plus petites communes en zone rurale » déclarait Roxana Maracineanu au journal régional l’Echo de l’Armor et l’Argoat.
De quoi remédier aux disparités territoriales en matière d’accès à un bassin de piscine? Stéphane Chatenet, directeur de la piscine la Conterie à Chartres-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), était plus nuancé: les bassins mobiles « coûtent moins cher qu’une piscine et offrent réellement une solution pour apprendre la nage dans les écoles où il n’y a pas d’accès aux bassins confiait-il à la gazette des Communes en Avril 2022. Mais, bien sûr, l’idéal pour apprendre à nager, est un bassin de 25 m ».