L’Essentiel
- Au printemps, les Espagnols ont fait reconnaître leur manque d’interconnexions avec le reste du réseau électrique européen pour avoir l'autorisation de plafonner les prix du gaz
- Isolée, l’Espagne a dû renforcer son indépendance énergétique et ses approvisionnements
- La situation géographique du pays n’a pas que des désavantages : son fort ensoleillement permet au pays d’être un des leaders européens de la production d’électricité renouvelable.
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L’Espagne est-elle le modèle de transition énergétique à suivre ? En septembre, ce pays d’Europe du sud a été félicité par l’organisation non gouvernementale Climate Group, dans un rapport publié en marge de la Semaine du climat de New York. Pour l’ONG, l’Espagne mène « l’une des plus ambitieuses politiques de production d’énergie renouvelable au sein de l’Union européenne ».
En 2020, le renouvelable représentait 21,2 % de la consommation finale d’énergie du pays, selon les données les plus récentes du ministère espagnol de la Transition écologique. Même si elle reste dépendante des combustibles fossiles, l’Espagne veut doubler ce pourcentage d’ici 2030 et le faire monter à 97 % en 2050, année où elle prévoit d’atteindre la neutralité carbone.
Pour la production d’électricité, les Espagnols utilisaient 46,7 % d'énergies renouvelables en 2021, selon le gestionnaire du réseau électrique Red Eléctrica.
L’Espagne s’appuie en particulier sur deux avantages comparatifs : l’éolien (23,3 % de l’électricité produite en 2021) et le solaire (8,1 % pour le photovoltaïque et 1,8 % pour le thermique, dans un pays qui bénéficie d’environ 3 000 heures d’ensoleillement par an).
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Un écosystème propice au renouvelable
Depuis les années 1990, les secteurs de l’énergie solaire et éolienne ont bénéficié « d’entreprises très puissantes, de techniciens et de savoir-faire en la matière », observe Gonzalo Escribano, directeur du programme Énergie et Climat à l’institut Real Elcano de Madrid. « Cet écosystème est propice au développement du renouvelable », complète le chercheur.
La coalition gouvernementale de gauche au pouvoir encourage l’autoconsommation d’électricité chez les particuliers et les entreprises. Pour preuve, le ministère de la Transition écologique a adopté en octobre un nouveau plan visant notamment à favoriser l’installation de panneaux solaires dans les immeubles et les résidences.
Mais face au boom du photovoltaïque, gare à ne pas reproduire les erreurs du passé, prévient Sara Pizzinato, en charge des énergies renouvelables à Greenpeace España.
Elle se souvient du « désastre » de « l’impôt sur le soleil », une mesure adoptée en 2015 par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy (Premier ministre de 2011 à 2018) qui taxait les Espagnols bénéficiant d’une installation photovoltaïque pour s’auto-alimenter en électricité. Accusée de faire le jeu du lobby de l’énergie, cette taxe avait été supprimée en 2018.
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« Île énergétique »
Malgré l’élaboration de nombreux projets d’énergies renouvelables en Espagne, « leur mise en œuvre est très lente, désordonnée et parfois faite au détriment des consultations publiques et des études d’impact environnemental », regrette Sara Pizzinato, qui appelle à une plus grande responsabilité des entreprises et des promoteurs du secteur.
Sans compter les retards administratifs, souffle Gonzalo Escribano : « En Espagne, vous pouvez construire un parc solaire en six mois quand vous avez toutes les capacités pour le faire, mais vous devez attendre trois ou quatre ans pour obtenir le permis de le faire. »
Si l’Espagne fonce vers l’autosuffisance énergétique, le pays - et son voisin, le Portugal - reste toutefois isolée vis-à-vis du reste du Vieux Continent. Ce n’est pas un hasard si la péninsule ibérique est régulièrement qualifiée d’« île énergétique ».
« Exception ibérique »
« La guerre en Ukraine a eu des effets que l’Espagne a partagés avec ses voisins européens : l’augmentation des prix de l’énergie, associée à une crise en matière d’approvisionnement énergétique », souligne Gonzalo Escribano.
L'Union européenne cherche à se défaire des hydrocarbures russes, et l’Espagne a profité de la crise énergétique pour revendiquer « ses vieilles postures », avance le spécialiste de l’institut Real Elcano.
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Madrid demande depuis des années une réforme profonde du marché de l’électricité de l’UE. Au printemps dernier, Espagnols et Portugais ont invoqué leur manque d’interconnexions avec le reste du réseau électrique européen pour obtenir de la Commission européenne la possibilité de plafonner les prix du gaz pour alléger leurs factures d’électricité. Une manœuvre popularisée par la formule d’« exception ibérique ».
Par ailleurs, l’Espagne attire l’attention des instances européennes pour sa capacité à acheminer du gaz non russe en Europe. Elle possède six usines de regazéification sur son territoire, qui reconditionnent le gaz naturel liquéfié que le pays reçoit par bateau ou par gazoduc en provenance des États-Unis, d’Algérie, du Qatar ou du Nigeria.
L’activité des deux gazoducs que l’Espagne partage avec l’Afrique du nord (le Medgaz et le Maghreb-Europe) est néanmoins perturbée par les tensions diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc.
L’hydrogène vert, solution miracle ou mirage ?
Au nord de la péninsule ibérique, c’est d’abord le gazoduc MidCat qui a monopolisé les débats entre l’Espagne et la France au printemps dernier. Madrid souhaitait déterrer ce projet enfoui depuis 2019, qui prévoyait de connecter la Catalogne et le Midi de la France pour la livraison de gaz.
Paris n’en a finalement pas voulu mais a accepté un compromis avec l’Espagne et le Portugal. Ce sera le BarMar (aussi baptisé H2Med), un pipeline sous-marin qui, de Barcelone à Marseille, ne devrait transporter que de l’hydrogène vert - une énergie à la mode dans les instances européennes puisqu’elle est fabriquée à partir de renouvelable. Il sera opérationnel en 2030 et coûtera environ 2,5 milliards d’euros.
« Il manquait une interconnexion gazière entre la France et l’Espagne du côté méditerranéen », souligne Thibaud Vincendon, spécialiste de l’hydrogène, alors que les deux pays sont déjà reliés par deux gazoducs pyrénéens (au Pays basque et en Navarre).
La mise en œuvre du BarMar s’annonce cependant « très compliquée », notamment parce que le transport de cette molécule « coûte une fortune », poursuit le consultant pour des entreprises du secteur. Mais si, à l’avenir, l’Espagne est capable de produire de l’hydrogène vert en masse, ce sera « une richesse fantastique » pour l’Europe, assure-t-il.
Reste une dernière problématique, celle de l’eau. Nécessaire à la production d’hydrogène, elle devient une denrée rare en Espagne, un pays en proie à une sécheresse chronique.