Géopolitique
COP27 : Cinq réglages climatiques pour le commerce international
Sélection abonnésDu 6 au 18 novembre 2022, les représentants de plus de 190 pays se retrouvent à Charm el-Cheikh en Égypte pour la COP27. Tous reconnaissent la nécessité vitale de mener une politique mondiale de lutte contre le réchauffement climatique. Mais dans les faits, chacun continue à échanger avec les autres dans des logiques économiques court-termistes. Le commerce et le climat seront-ils un jour compatibles ?
Cathy Dogon
© Rea
Début novembre, le monde a assisté à deux événements très contradictoires. Olaf Scholz, chancelier d’Allemagne, pays ultra-dépendant du gaz russe, s’est rendu en Chine pour signer de nouveaux contrats avec la deuxième économie de la planète, également première émettrice de CO₂ au monde. Dans le même temps s’ouvrait la COP 27, avec de très hautes exigences en matière de climat. Entente commerciale bilatérale d’un côté, multilatéralisme climatique de l’autre. Comment les réconcilier ?
Le réchauffement climatique dépend fortement du commerce international : de l’avocat aux baskets ou à l’acier en passant par les smartphones et les céréales, nous consommons aujourd’hui beaucoup de biens et services qui ne sont pas produits sur nos territoires.
Leur fabrication multilocalisée, puis leur échange à l’échelle mondiale émettent des tonnes et des tonnes de gaz à effet de serre. Ces échanges pourraient toutefois faire un jour partie de la solution, car chaque étape de ces échanges offre des opportunités de pratiquer un commerce plus vert. Passons-les en revue.
Début novembre, le monde a assisté à deux événements très contradictoires. Olaf Scholz, chancelier d’Allemagne, pays ultra-dépendant du gaz russe, s’est rendu en Chine pour signer de nouveaux contrats avec la deuxième économie de la planète, également première émettrice de CO₂ au monde. Dans le même temps s’ouvrait la COP 27, avec de très hautes exigences en matière de climat. Entente commerciale bilatérale d’un côté, multilatéralisme climatique de l’autre. Comment les réconcilier ?
Le réchauffement climatique dépend fortement du commerce international : de l’avocat aux baskets ou à l’acier en passant par les smartphones et les céréales, nous consommons aujourd’hui beaucoup de biens et services qui ne sont pas produits sur nos territoires.
Leur fabrication multilocalisée, puis leur échange à l’échelle mondiale émettent des tonnes et des tonnes de gaz à effet de serre. Ces échanges pourraient toutefois faire un jour partie de la solution, car chaque étape de ces échanges offre des opportunités de pratiquer un commerce plus vert. Passons-les en revue.
1. Négocier
« Nous devons réinventer nos politiques commerciales pour qu’elles soient cohérentes avec nos politiques climatiques, avec nos politiques de biodiversité, c’est une nécessité » déclarait Emmanuel Macron, en septembre 2021. Le président français s’affichait contre l’accord du Mercosur, surnommé « cows for cars » (des vaches contre des voitures).
Signer une telle alliance commerciale revenait à approuver la déforestation de l’Amazonie pour en faire des pâturages et livrer sur le marché européen du bœuf sud-américain bon marché. Le président français percevait dans ce bras de fer l’occasion de faire plier Jair Bolsonaro, à l’époque président brésilien, sur son atteinte à la plus grande forêt primaire du monde.
Dans ce genre de décision, la France peut peser lourd, parce qu’elle importe pour 585,6 milliards d’euros (2021). Imaginez que chacun de ces euros soit conditionné à des pratiques environnementales plus vertueuses ! « Généralement, une norme technique de production est produite par un secteur ou une industrie », explique Mehdi Abbas, maître de conférences en économie politique à l’Université de Grenoble-Alpes et chercheur au sein du laboratoire Pacte du CNRS, « puis par économie de coûts et convergence d’intérêts, ces normes deviennent nationales et, enfin, sont reconnues dans des accords bilatéraux. Cette reconnaissance mutuelle a été appliquée pour le Tafta ou le CETA, par exemple. » À défaut d’avoir des institutions mondiales pour établir ces normes, leur adoption résulte des accords commerciaux bilatéraux.
Taxes, normes et quotas : l’arsenal de la transformation
Une taxe environnementale envoie un signal prix aux agents économiques pour les inciter à réduire leurs atteintes à l’environnement. Par la fiscalité verte, l’État oblige ainsi les entreprises à internaliser le coût des externalités négatives : en augmentant, le prix peut dissuader les consommateurs finaux d’acheter ce produit ou ce service. Coûteuse, cette taxe peut aussi inciter les entreprises à investir pour innover et limiter la pollution qu’elles émettent.
Les normes sont des instruments réglementaires et reposent sur la contrainte. Un cahier des charges interdit certains comportements. S’il n’est pas respecté, les agents économiques risquent des sanctions.
Le marché des quotas d’émission autorise l’émission d’une certaine quantité de pollution. Au-delà de cette quantité, l’entreprise doit acheter des droits à polluer à une autre entreprise qui, elle, n’aurait pas pollué autant que prévu. Cette confrontation entre offre et demande de quotas d’émission fixe un prix, encadré par les autorités.
« Depuis 2011, les accords de libre-échange signés par l’Union européenne doivent inclure un chapitre spécifique contenant des directives sur le commerce et le développement durable », précise Dimitri Senny, spécialiste en sciences de la population et du développement à l’Université de Louvain, en Belgique. « Ces accords dits de “nouvelle génération”, visent non seulement une réduction des barrières tarifaires au commerce international, mais également des non tarifaires. Au travers de ces traités, l’Union européenne veut étendre ses normes sanitaires, sociales et environnementales. »
Source : Environmental database, Organisation mondiale du commerce
2. Produire
Par le biais de la négociation, on peut donc infléchir les méthodes de production à l’étranger. C’est essentiel, parce qu’aucun pays ne peut véritablement fermer ses frontières et imaginer produire tout ce dont il a besoin localement. Aucun ne dispose de toutes les ressources naturelles ou de toutes les compétences. Il doit faire jouer ses propres avantages comparatifs et profiter de ceux des autres pays. C'est ce qu'on appelle l'effet de composition de la mondialisation sur l'environnement.
Chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle il est le meilleur (coûts de production moindres, contraintes faibles, etc.). En théorie, le libre-échange prend ici tout son sens. Dans les faits, l’avantage comparatif des pays en développement se situe dans la production de matières premières. « Si ces avantages sont dans des secteurs polluants, alors l’impact sur l’environnement sera négatif » résume Cecilia Bellora, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).
En 2023, le Sénégal va par exemple commencer à exploiter le pétrole et le gaz récemment sous sol, alors que les pays occidentaux tentent de limiter leurs recours aux énergies fossiles. « N’étant pas les plus grands pollueurs puisque n’étant pas industrialisés, il serait injuste dans la recherche de solution [au réchauffement] qu’on veuille interdire à l’Afrique d’utiliser les ressources naturelles qui sont dans son sous-sol » déclarait le président sénégalais Macky Sall en mai 2022.
Source : Climate Watch
« La dégradation de l’environnement causée par les accords de libre-échange est associée à la structure de nature extractiviste des relations économiques entre pays du Nord et pays en développement » analyse Dimitri Senny. « L’extractivisme est un régime d’accumulation de richesse reposant sur l’extraction de ressources naturelles, agricoles ou minières par exemple, en des proportions et à un rythme qui empêche leur renouvellement, pas ou peu transformées sur place et essentiellement destinées à l’exportation. L’extractivisme est donc, en quelque sorte, l’outil de la détérioration des termes de l’échange ».
« Au contraire, continue Cecilia Bellora, si les avantages sont dans des secteurs peu polluants, l’impact sera positif ». L’avantage comparatif des pays occidentaux se trouve, lui, dans les biens industriels ou transformés.
3. Transformer
Certains pays se sont donc spécialisés dans la transformation, souvent grâce à un avantage comparatif : la main-d’œuvre bon marché, dont les conditions de travail et les normes environnementales ne correspondent pas aux standards de l’Union européenne, par exemple.
« En Europe, on ne blanchit plus de jeans avec du sable, qui expose les travailleurs à des maladies, et le sable traité chimiquement n’est plus déversé dans des bacs au gré des vents », illustre Mehdi Abbas. Mais cette pratique continue ailleurs.
La transformation à l’étranger pose donc des questions de traçabilité, de qualité, de gâchis et d’obsolescence programmée. Autant d’enjeux qui relèveraient de la responsabilité des entreprises ? « Objectivement, rien ne les oblige, continue le chercheur de l’Université de Grenoble. Au contraire, elles n’ont pas le droit de dire à une entreprise fournisseuse comment faire sinon celle-ci pourrait exiger un transfert de technologie. Et quand bien même, les entreprises disent qu’elles font le boulot en mettant des enquêteurs sur le terrain, c’est souvent un simple affichage. »
Source : Maîtriser l’empreinte carbone de la France, Haut Conseil pour le climat, 2020, page 19.
« Les économistes libéraux voient dans le libre-échange la source de la croissance économique mondiale, dans un partenariat mutuellement bénéfique aux pays participants, synthétise Dimitri Senny. C’est aussi ce que pense la Commission européenne : diminution des prix pour les consommateurs européens, création d’emplois dans l’industrie, secteur pour lequel l’UE possède un avantage comparatif, augmentation des exportations, et au final, croissance économique ».
C’est ce que l’on appelle les effets d’échelle : « Avec le commerce, les niveaux agrégés de production et de consommation augmentent, mais avec eux également le niveau de pollution, analyse Cecilia Bellora, la chercheuse du CEPII en charge du programme scientifique Politiques commerciales.
La théorie dit que les inégalités diminuent et que la sensibilité au réchauffement climatique augmente. Mais ce n’est pas toujours le cas, comme le montrent les controverses autour de la courbe environnementale de Kuznets.
L'optimisme excessif de la courbe environnementale de Kuznets
En 1955, l’économiste Simon Kuznets tente de montrer la relation entre le niveau de richesse d’un pays (mesuré en PIB/hab) et son niveau d’inégalité. Dans les premiers stades de développement économique, la croissance est source d’inégalités, car elle profite d’abord à ceux qui épargnent et investissent le plus (malédiction de Kuznets). À partir d’un certain seuil de développement, les inégalités se stabilisent puis diminuent. Grossman et Krueger (Prix Nobel 2008) ont étendu cette théorie à l’environnement en 1994 : les pays ne commencent à se préoccuper de la hausse de la pollution causée par l’industrialisation qu’une fois les besoins primaires de leur population pourvus. C’est à ce moment que la tendance s’inverse : la société a les moyens et la volonté de réduire le niveau de pollution. Cette analyse a, depuis, été contestée : la littérature scientifique a prouvé que la consommation d’énergie, l’exploitation de terres ainsi que l’usage de ressources naturelles ne se réduisent pas avec l’augmentation des revenus.
4. Transporter
Conçu ici, produit là, transformé là-bas pour revenir ici… La relocalisation de la production et ou de la transformation de biens limiterait leurs trajets. Et c’est un enjeu de taille, car le transport mondial de marchandises est responsable de 10 à 15 % des émissions de CO₂ dans le monde, dont près de 3 % pour le seul fret maritime et ses 99 800 navires.
Néanmoins, consommer local ne résoudrait pas tout. L’Ademe écrit dans son rapport Transition 2050 : « Alors que les transports effectués en amont des plateformes et entrepôts de mise en marché des biens de consommation sont relativement massifiés (y compris sur la route), le passage par ces plateformes ainsi que le maillon de transport des derniers kilomètres se caractérisent par un dégroupage des flux, nécessitant d’importants moyens humains et matériels. »
Ces derniers kilomètres peuvent représenter jusqu’à 50 % du coût logistique global, selon une étude de Cushman & Wakefield, et 20 % des gaz à effet de serre du transport total (en 2014, source : strategie.gouv.fr). « La décarbonation de cette partie de la logistique repose sur des leviers à actionner auprès de la demande (les consommateurs) et de l’offre (les transporteurs). Côté transporteurs, il faut optimiser les circuits de livraison, améliorer le taux de remplissage des véhicules, opter pour des modes de transport actifs et décarbonés, réduire les consommations des véhicules ».
Néanmoins, comme on l’a vu, il est difficile de tout produire sur notre territoire, la culture de certains fruits et légumes en France serait plus polluante, à cause des intrants nécessaires ou du chauffage des serres, que leur transport depuis leur zone endémique. Dans ce cas, le circuit court peut se révéler plus polluant.
5. Consommer
Que peut faire le consommateur ? S’il dispose du temps et de l’information nécessaires, chacun individu devrait pouvoir choisir en conscience. Mais certains produits resteront toujours fabriqués à l’autre bout du monde avec des matériaux extraits dans des conditions sociales et environnementales dégradées : c’est le cas de nos téléphones portables, par exemple.
Les pouvoirs publics doivent-ils limiter la consommation de ces biens et services non essentiels ? Ils ont plusieurs moyens à leur disposition. La plus radicale, c’est l’interdiction. L’UE interdit par exemple la vente de voitures thermiques neuves en 2035.
Ensuite, l’incitation. La publicité peut influer sur les désirs des consommateurs. Ou par un signal prix qui intègre le coût des externalités négatives au produit. Cela limite sa consommation, au moins par les moins aisés. Cette stratégie est applicable, soit par secteur plus ou moins polluant, soit par pays de destination, via les droits de douane. C’est ainsi qu’a été pensé le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui entrera en vigueur dès 2023.
Alors, finalement, le commerce est-il l’ennemi du climat ?
Cecilia Bellora est raisonnablement optimiste : « Des analyses récentes tendent à montrer que les effets de composition (liés aux avantages comparatifs) sont faibles, et que les effets techniques (transferts) sont importants et peuvent compenser, surtout dans les pays riches, tout ou partie de l’impact négatif causé par l’effet d’échelle. »
- Accueil
- Environnement
- Agriculture et Alimentation
COP27 : Cinq réglages climatiques pour le commerce international