Plus de 392 000. C’est le nombre de logements mis en chantier en 2021, selon l’Insee. Parmi eux, une majorité d’immeubles, près de 229.000, contre 163 000 maisons. L’enjeu est énorme : selon le « rapport Rebsamen », dirigé par le maire de Dijon et publié en septembre 2021, il faudrait construire pas moins de 500 000 logements chaque année pour éviter « une crise majeure de l’offre » face à la croissance démographique dans l’Hexagone (+0,3 % à 0,5 % chaque année).
Ralentissement des constructions
Ce rapport n’est pas le seul à brandir l’objectif du demi-million de logements à construire. La Fédération des promoteurs immobiliers, elle aussi, revendique de forts besoins en mises en chantier. Selon son étude publiée en mars, il faudrait 449 000 biens supplémentaires chaque année pendant dix ans pour répondre à la demande. Et pourtant nous n’en sommes qu’à 392 000. En 2020, « seulement » 350 000 ont été lancés. Un peu plus en 2019. En 2018, on dépassait tout juste la barre des 400 000. Bref, nous n’y sommes pas.
Ce ralentissement de la cadence est dû à plusieurs facteurs. En 2020, c’était la crise sanitaire, évidemment. Avant cela, l’annonce de la disparition de la taxe d’habitation avait inquiété les maires. Certains ont mis en pause les constructions, préférant éviter d’attirer trop d’habitants supplémentaires avant de connaître les futures recettes et donc les perspectives d’infrastructures de leur commune. Plus récemment, la forte hausse des prix des matières premières a mis le secteur de la construction en difficulté.
D’autant qu’en parallèle, la demande faiblit. Les ménages peinent à emprunter à des taux qui augmentent, face à des banques réticentes à prêter. Enfin, l’objectif « Zéro artificialisation nette », pour préserver les zones naturelles, limite aussi l’étalement urbain. Résultat de cette conjonction de facteurs : on construit moins.
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Mal-logement ou vacance
Première question : est-ce vraiment un problème ? On serait tenté de répondre oui car le nombre de sans-domicile ne cesse de croître : environ 330.000, selon le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre en début d’année, deux fois plus qu’il y a dix ans. La fondation estime même le nombre de personnes mal logées à plus de quatre millions. Le constat est terrible, la réaction nécessaire.
Mais d’un autre côté, des logements vacants, il y en a beaucoup en France. « Ces dernières années, la vacance a fortement augmenté, notamment en dehors des métropoles. Cela pose la question de la dynamique et de l’hétérogénéité des territoires. Dire que l’on veut construire 500 000 logements ne signifie pas grand-chose. Il faudrait surtout réfléchir aux moyens d’attirer les ménages là où il y a de la disponibilité et alléger la demande dans les zones les plus tendues », souligne Camille Régnier, maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil, spécialiste de l’économie urbaine. Les chiffres de l’Insee le confirment : en 2018, la France comptait plus de trois millions de biens vacants. 54 % de plus qu’en 2005 !
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Choix de société
Deuxième questions : quels logements construire ? Depuis 2010, une tendance s’est inversée : nous construisons désormais plus d’appartements que de maisons individuelles en France et l’écart se creuse. Problème, selon un sondage Ifop publié en 2022, 80% des Français préfèreraient vivre en maison. Ce chiffre grimpe même à 94% dans les communes rurales.
Clara Wolf, chercheuse et directrice des opérations de Datastorm (filiale du Groupe des écoles nationales d’économie et statistique, Genes), fouille ces questions. « Ce n'est pas seulement une question de volume, le vrai enjeu, c'est la société dans laquelle on veut vivre, avec quelle surface par personne ? Et puis la construction neuve n’est pas nécessairement la solution à tout, on peut aussi optimiser le parc existant », estime-t-elle.
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Taux d’occupation et résidences principales
Pour cela, plusieurs solutions existent. Parmi elles : faire grimper le taux d’occupation. « Cela peut passer par des politiques publiques incitant à la mobilité des personnes âgées vers des logements adaptés. Aujourd’hui, une maison sur quatre est habitée par une personne seule », indique la chercheuse. Autre piste : faire croître la part de résidences principales. « Par exemple en augmentant la taxe d’habitation qui concerne encore les résidences secondaires. Nil Caouissin, un élu breton, avait aussi proposé un système de permis de résident, nécessitant d’habiter dans la commune depuis au moins un an pour acheter… », évoque Clara Wolf.
Selon l’Insee, un logement sur dix, soit environ trois millions de biens, est considéré fiscalement comme une résidence secondaire. Subdivisions, répartitions, surévélations, les solutions pour densifier sont nombreuses, sans devoir construire en bonne et due forme de nouvelles bâtisses.
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Un choc d'offre ?
« La solution à la crise du logement ne passera pas uniquement par un choc d’offre positif, relève l’économiste Camille Régnier. Même si on construisait aujourd’hui 500 000 logements, cela ne suffirait pas à résoudre le problème du logement abordable. Il est faux de croire qu’en augmentant le stock, il y aura tout simplement assez d’offre pour satisfaire la demande et faire baisser les prix. La demande, ainsi que l’offre, sont hétérogènes. Le logement est un bien parfaitement différencié, il n’y a pas deux logements exactement pareils : ils varient selon leur taille, leur emplacement, leur qualité, leur prix, etc. … »
Augmenter la cadence ne suffira pas non plus à résoudre les problèmes : il ne suffit pas de construire des logements en général, il faut construire des logements adaptés aux besoins et aux moyens des gens qui cherchent à se loger. Pour le moment, les annonces faites par le gouvernement n’ont pas convaincu les représentants du secteur…