L’essentiel.
- Le gouvernement a fait le choix de compter sur la responsabilité individuelle des Français plutôt que sur la contrainte pour passer au mieux l’hiver.
- réglementer, réguler, inciter… Les options en termes de politiques publiques sont nombreuses pour motiver les agents économiques à changer leur comportement. Mais aucune n’est parfaite.
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« Des économies choisies plutôt que des coupures subies. » Le 6 octobre 2022, Élisabeth Borne et le gouvernement ont présenté leur plan de sobriété énergétique. Son but ? Réduire de 10 % la consommation énergétique en France d’ici à 2024 et de 40 % d’ici 2050.
Ses principales recommandations ? Diminuer les températures de chauffe des bâtiments publics et des foyers, réduire l’éclairage public, ainsi qu’à inciter les agents économiques au covoiturage et au télétravail.
En effet, face à l’urgence provoquée par les difficultés d’approvisionnement énergétique liées à la guerre en Ukraine et à l’explosion des coûts de l’énergie, se pose la question suivante : comment parvenir à modifier rapidement et efficacement le comportement de 60 millions de Français ?
L’essentiel.
- Le gouvernement a fait le choix de compter sur la responsabilité individuelle des Français plutôt que sur la contrainte pour passer au mieux l’hiver.
- réglementer, réguler, inciter… Les options en termes de politiques publiques sont nombreuses pour motiver les agents économiques à changer leur comportement. Mais aucune n’est parfaite.
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« Des économies choisies plutôt que des coupures subies. » Le 6 octobre 2022, Élisabeth Borne et le gouvernement ont présenté leur plan de sobriété énergétique. Son but ? Réduire de 10 % la consommation énergétique en France d’ici à 2024 et de 40 % d’ici 2050.
Ses principales recommandations ? Diminuer les températures de chauffe des bâtiments publics et des foyers, réduire l’éclairage public, ainsi qu’à inciter les agents économiques au covoiturage et au télétravail.
En effet, face à l’urgence provoquée par les difficultés d’approvisionnement énergétique liées à la guerre en Ukraine et à l’explosion des coûts de l’énergie, se pose la question suivante : comment parvenir à modifier rapidement et efficacement le comportement de 60 millions de Français ?
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Réglementation ou régulation ?
Il y a d’abord l’option de la contrainte par le biais de la réglementation : Il s’agit d’instaurer des règles de droit obligatoires assorties à des sanctions en cas de non-respect.
Toutefois, cette mesure présente l’inconvénient pour l’État de devoir ériger des dispositifs de contrôle coûteux pour s’assurer de la bonne application de ces règles. En outre, dans un contexte de mouvements sociaux généralisés, une telle politique interventionniste de l’État au sein des foyers français serait très difficilement acceptée par les agents économiques. Il reste alors la possibilité d’inciter les ménages de manière non contrainte : Il s’agit de la régulation.
Éco-mots
Incitations
Tentative de modification de comportement d’un agent économique vers un comportement jugé plus souhaitable à l’aide d’une politique adaptée. Il en existe plusieurs sortes. Il existe des politiques d’incitations monétaires : Elles permettent, à l’aide de politiques fiscales, de subventions de primes ou d’amendes, de rendre une action plus profitable pour maximiser l’utilité de l'homo-œconomicus. C’est par exemple la taxe tabac, qui renchérit le prix des cigarettes pour tenter de diminuer la consommation. Et des politiques d’incitations non monétaires : Ces politiques sont majoritairement issues des avancées de l’économie comportementale. Ce courant remplace dans ses modèles l'homo-œconomicus par un être non rationnel soumis à des facteurs psychologiques dans sa prise de décisions.
Le gouvernement a choisi de faire appel à la responsabilité individuelle des Français, plutôt que de communiquer largement sur un système de primes ou de subventions pour les agents économiques les plus vertueux. Mais alors pourquoi une telle stratégie ? La réponse peut être surprenante mais les incitations monétaires ne sont pas toujours les incitations les plus efficaces en économie pour modifier les comportements d’individus.
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Les incitations monétaires peuvent tout à fait, d’un point de vue microéconomique, avoir des impacts sur le comportement des agents. Toutefois, la somme des intérêts individuels ne concourt pas toujours à l’intérêt collectif. À titre d’exemple, offrir des primes à un joueur de football en fonction des buts marqués par saison ou encore des primes aux forces de l’ordre en fonction du nombre d’arrestations a également pour effet respectivement de les détourner du jeu collectif dans le premier cas et de les détourner des efforts de prévention dans le second.
Efficacité des motivations intrinsèques et extrinsèques
Aussi, les incitations monétaires peuvent obtenir des résultats inverses aux résultats escomptés en modifiant les raisons profondes des agissements des agents économiques.
On distingue en effet deux types de motivations (Deci et Ryan 1995) : les motivations extrinsèques et intrinsèques. Les premières font référence à une motivation induite par une circonstance extérieure à l’individu qui le pousse à agir d’une certaine façon (punition, récompense, pression sociale). Les secondes, quant à elles, désignent le fait d’agir selon un comportement déterminé uniquement par la satisfaction interne que l’on tire de ce comportement.
L’économiste Titmuss, dans les années 1970, statistiques comparatives à l’appui, a pu ainsi constater qu’aux Etats-Unis, pays qui choisissait de rémunérer les dons du sang afin de les rendre plus incitatifs, le nombre de donneur était proportionnellement beaucoup moins élevé qu’en Grande Bretagne, où le don s’exerçait de manière bénévole.
Aussi, dans les années 2000, les économistes Gneezy et Rustichini ont obtenu des résultats similaires. Au travers une étude comparative empirique de 20 semaines menée sur 10 crèches, les économistes ont pu constater le phénomène suivant : Les 6 crèches ayant choisi d’instaurer une pénalité pour les parents retardataires par une amende, ont vu le nombre de leurs parents en retard…. multiplié par deux.
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Ainsi, les politiques monétaires incitatives peuvent faire basculer des motivations intrinsèques (l’altruisme, le fait de se sentir parent exemplaire) vers des motivations extrinsèques beaucoup moins efficaces et ainsi parfois réduire le niveau global d’incitation des individus. C’est l’effet d’éviction motivationnel (Frey, 1997)
La norme sociale, moyen efficace de changement de comportement
Un autre moyen extrêmement efficace pour modifier le comportement des individus est l’utilisation de la norme sociale. Les expériences de Solomon Ash et de Stanley Milgram ont relevé à quel point les décisions des individus sont soumises à cette pression sociale.
Et en matière climatique, l’utilisation de la norme sociale a déjà démontré son efficacité : le fournisseur d’énergie Opower, en envoyant des courriers « vous consommez 15 % de plus d’énergie que les personnes les plus économes » a permis de réduire de 2 % la consommation d’électricité chez les bénéficiaires.
Ainsi, aussi futile que cela puisse paraître au premier abord, en se présentant devant les Français vêtus de cols roulés et en martelant les nouvelles règles de conduites socialement acceptables le gouvernement pourrait obtenir des résultats plus efficaces que par la contrainte ou des incitations monétaires.
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Les "Nudges", un outil de politique publique efficace
Le port du col roulé par Élisabeth Borne est un bon exemple de Nudge. Le Nudge peut être défini comme un moyen simple et peu coûteux qui offre l’avantage d’influencer le comportement de ses bénéficiaires de façon prévisible, sans instituer de contraintes externes et sans modifier les incitations économiques.
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Ces Nudges exploitent la théorie de Daniel Kahneman selon laquelle, pour chaque prise de décision, le cerveau humain va préférer utiliser un système de choix instinctif et automatique (le système 1) soumis à de nombreux biais psychologiques, plutôt que son système de réflexion, plus lent et coûteux en termes d’efforts (le système 2).
Ainsi, le simple fait de modifier le cadrage, la manière dont l’information est présentée, peut avoir des effets très importants. Dans les cantines scolaires par exemple, lorsque les gâteaux et pâtisseries sont présentés au choix des élèves derrière les fruits, les enfants se mettent à consommer beaucoup plus de fruit. Et, en matière de crise énergétique, des Allemands se sont même amusés à mettre la tête de Vladimir Poutine tout sourire sur leurs radiateurs, de quoi bien réfréner ses envies de pousser le gaz à fond !
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Dans le programme
Terminale SES. « Quelle action publique pour l’environnement ? »
Prépa ECG : Module 1 : « Le comportement des agents et le fonctionnement du marché »
Prépa D1 : 1.2 « Comportements individuels » & 2.4 « Politique économique »