Economie
Dauphins, Brexit, « plan casse »… Les pêcheurs constatent le déclin de leur filière
Les pêcheurs organisent deux « journées mortes » les 30 et 31 mars, dans les ports français. Ils considèrent que l’État abandonne l’industrie.
Cathy Dogon
© Xavier POPY/REA
L'essentiel :
- Des centaines de pêcheurs restent à terre ces 30 et 31 mars.
- Ils protestent contre la conjoncture difficile et une série de mesures politiques fragilisant le secteur : la baisse des quotas de pêche suite au Brexit, la récente interdiction de la pêche de fond dans les aires marines protégées d’ici à 2030, le prix du gazole, la fermeture de certaines zones de pêche en Atlantique suite à la mort de plusieurs centaines de dauphins à cause des chalutiers et, enfin, ce qu’ils perçoivent comme un « désengagement » de l’État.
- À l’heure du changement climatique et des tensions avec la Grande Bretagne, les pêcheurs français s’inquiètent du déclin de leur filière.
Pourquoi lui ? Pascal Le Floc’h est économiste, directeur adjoint du centre de recherche AMURE (Aménagement des Usages des Ressources et des Espaces marins et littoraux), spécialiste du développement durable des activités maritimes et directeur de l’IUT de Quimper.
Pour l’Éco. Avec le Brexit, les pêcheurs européens voient leur espace de travail, et donc l'accès à leur matière première, se réduire. Comment fonctionnent les totaux admissibles de capture (TAC) ?
Pascal Le Floc’h. C’est un quota global sur une zone de pêche et sur une espèce de poisson, réparti en parts individuelles attribuées à des pays. Cet instrument européen a été mis en place en 1983. Lors des négociations de 1976, les Britanniques en ont obtenu la part la plus importante. Depuis, alors que le changement climatique et la géopolitique ont évidemment modifié les proportions de la ressource disponible, ces quotas n’ont pas été modifiés.
Au 1er janvier 2021, avec le Brexit, la Zone économique exclusive (ZEE) de l’Union européenne (UE) s’est fortement réduite puisque les Britanniques ont retrouvé la souveraineté sur leurs eaux et donc sur leurs poissons. Mais il a été négocié que les bateaux européens pourraient continuer de pêcher dans les eaux britanniques jusqu’en 2026. Ensuite, ils disposeront de 25 % des quotas en moins sur ce territoire.
Les Britanniques disposent donc d’un clair avantage comparatif dans ce secteur. L’exploitent-ils au maximum ?
Les Britanniques ont d’importantes ressources marines en poissons. Mais si on prend justement la théorie de Ricardo, renouvelée par Samuelson, pour jouir d’un avantage comparatif, il faut du capital et du travail.
Lire aussi > Le portrait de Ricardo
Le capital naturel, ils l’ont de fait : ils sont propriétaires de leurs eaux, donc du poisson, mais le travail est ici la ressource la plus rare : la pêche, à cause des conditions de travail difficiles notamment, est une activité peu attractive pour la population “résidente” et donc les Britanniques -comme les Français d’ailleurs- font appel à une main-d’œuvre étrangère, d’Afrique du Nord ou d’Europe de l’Est. Cela crée des contraintes administratives assez lourdes qui rendent difficile l’exploitation.
À terme, les Britanniques pourraient être amenés à faire ce qu’ils ont réalisé dans les années 1990-1994 : sous-traiter l’exploitation de leurs eaux à des compagnies étrangères sous pavillon de complaisance : le bateau de pêche aura toujours le pavillon britannique, mais serait sous-traité à une entreprise étrangère (à des Russes, à des Chinois, etc.).
Éco-mots
Chaque pays a intérêt à se spécialiser dans les secteurs d’activité où son avantage comparatif en termes de coûts relatifs est le plus élevé, ou bien là où son désavantage est le plus faible.
La France dispose-t-elle d'un tel « capital naturel » ?
Les eaux françaises, avec l’Atlantique, le golfe de Gascogne, la Manche, et la mer du Nord, sont relativement poissonneuses, mais ce n’est pas suffisant pour alimenter ce qu’on appelle la pêche hauturière (les bateaux de plus de 20 mètres), raison pour laquelle ces bateaux se dirigent plutôt vers les eaux britanniques.
Au début des années 1990, le Canada a décidé un moratoire sur la pêche industrielle à la morue, ce pays a fait prendre conscience à tous les autres États de la surexploitation des stocks. C’est aussi à ce moment-là qu’un « plan casse » est établi pour retirer de la flotte française les navires hauturiers et ajuster les capacités de production à la quantité de poissons à pêcher.
Sur ce point, les pêcheurs tiennent un double discours, ravivé par le Brexit : le sentiment, collectif, d’un abandon par l’État de la filière pêche, et un point de vue plus individuel, celui de l’homo economicus, qui accepte une compensation financière généreuse pour quitter le secteur.
Même en diminution, les navires hauturiers continuent à faire des ravages, notamment sur les dauphins du golfe de Gascogne. Pourquoi ne pas accélérer le « plan casse » ?
Il y a beaucoup de symboliques des deux côtés, qui entrent en confrontation. D'un côté l’image sympathique de Flipper le dauphin reste ancrée dans les esprits, bien que les stocks de cet espèce ne soient pas forcément en danger par rapport à d’autres espèces qui ne bénéficient pas de la même tendresse du public, comme les requins ou le concombre de mer, pourtant exploité à l'échelle mondiale.
De l'autre, le pêcheur conserve aussi une cote symbolique très élevée. Il suffit d’un seul pêcheur dans un port de plaisance pour qu’il ait un poids politique très fort et soit protégé localement.
L’UE sait être drastique face aux Britanniques, mais pas pour protéger des dauphins ou le concombre de mer. Pourquoi ?
Ma réponse sera plus sèche : l’intérêt économique l’emporte sur l’intérêt écologique. Il y a de très importants rapports de force au Parlement européen. Le sujet était déjà à l’ordre du jour en 2015, mais les discussions ont abouti en faveur de la poursuite du chalutage en eau profonde.
Finalement, c’est le marché qui a donné la réponse : quelques mois plus tard, grâce au travail de l’ONG de défense des océans Bloom et à la forte pression des consommateurs, la Scapêche, première flotte de pêche française appartenant au groupe Intermarché, a annoncé renoncer à la pêche d’espèces d’eau profonde (grenadier, sabre et lingue bleue) à l’horizon 2025.
Le rapport de force, ou plutôt la décision finale, ne se situe pas forcément du côté politique. Sur ces questions d’agriculture et de pêche, les consommateurs, qui sont maintenant bien organisés sur la question du bien-être animal par exemple, ont le pouvoir de faire advenir des méthodes considérées comme plus acceptables.
- Accueil
- Environnement
- Agriculture et Alimentation
Dauphins, Brexit, « plan casse »… Les pêcheurs constatent le déclin de leur filière