
Environnement
Débat. La France peut-elle encore compter sur son énergie nucléaire ?
Réacteurs à l'arrêt, coûts qui explosent sur les EPR nouvelle génération... la filière nucléaire française fait simultanément face à de nombreux défis.
Oui, car les infrastructures sont surveillées de près
Marie Desbuquois, étudiante à CentraleSupélec, cycle ingénieur
Dans les années 1970, après le premier choc pétrolier, la France favorise l’électricité nucléaire en remplacement de ses centrales thermiques au fioul. En 2021, les 56 réacteurs ont assuré 69 % de la production totale électrique, devant l’hydraulique (12 %), le thermique fossile (7 %), l’éolien (7 %), le solaire (3 %) et le thermique renouvelable (2 %).
Si plusieurs faits d’actualité, en sus des critiques récurrentes sur la sécurité et l’environnement, interrogent sur sa fiabilité, le nucléaire civil reste l’atout majeur de notre modèle énergétique.
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Bien sûr, l’évocation de cette énergie suscite la crainte d’un accident similaire aux catastrophes de Tchernobyl, en 1986, ou de Fukushima, en 2011. D’après l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pareil événement – causé par des défauts de conception, de construction et d’exploitation, depuis lors rectifiés, sur un type de réacteur absent du parc français – est impossible dans notre pays. En outre, le nombre de décès évalué par l’Organisation mondiale de la santé (au plus 4 000 pour Tchernobyl) est à comparer, par exemple, aux 26 000 morts lors de la rupture du barrage de Banqiao (Chine), en 1975.
En France, récemment, 12 réacteurs ont été arrêtés à la suite de l’apparition de microfissures dans un système de sécurité secondaire, activé en cas de défaillance du système de refroidissement primaire des réacteurs. Cette décision a provoqué une vague d’inquiétude. L’attention portée aux infrastructures est donc soutenue, grâce à la vigilance d’organismes indépendants comme l’ASN.
Éco-mots
Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
Autorité publique autonome de régulation, contrôle et communication sur la sécurité des sites nucléaires français.
De surcroît, le nucléaire, émetteur de moins de gaz à effet de serre que l’éolien et le solaire, favorise la lutte contre le changement climatique, le ralentissement de l’artificialisation des sols et la préservation de la biodiversité grâce au contrôle rigoureux de la température des eaux du circuit de refroidissement rejetées dans les rivières.
Alors qu’une croissance de la consommation électrique est prévue jusqu’à 2050, le fonctionnement des centrales est garanti selon les besoins des citoyens, sans vent, sans soleil. Enfin, les déchets dangereux, moins de 3 % de l’ensemble, sont strictement stockés et surveillés dans des piscines dédiées à La Hague et sont destinés à un stockage géologique profond, à moins 500 mètres.
Sur le plan économique, les surcoûts des derniers EPR et arrêts des centrales pour maintenance doivent être comparés à ceux d’une dissémination d’installations intermittentes à la durée de vie réduite, au rendement médiocre et induisant une forte emprise foncière.
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La France est structurellement exportatrice d’électricité, à la différence de ses voisins, qui dépendent donc d’une énergie refusée sur leur territoire. Finalement, la stabilité du nucléaire, loin d’être démentie, confirme l’audace de la stratégie énergétique française.
Non, les réglementations environnementales vont le rendre inefficace
Nacim Baouche, étudiant en classe préparatoire à l’Université catholique de Lille
La question du nucléaire est clivante – mais entre un soutien aveugle et un désistement incertain, la France se doit de faire un choix. Un choix de raison.
Si elle ne peut plus compter sur son énergie nucléaire, c’est d’abord parce qu’un premier voyant clignote : il est orange, couleur feu. Le 26 avril 1986 survenait l’explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl. À l’origine de la propulsion de produits radioactifs dans l’environnement (12 milliards de becquerels en seulement 10 jours), cette catastrophe a conduit au décès direct de 4 000 personnes ainsi qu’à l’impossibilité d’habiter Tchernobyl et ses environs avant… 24 000 ans. La France ne peut pas prendre ce risque et se reposer sur une source d’énergie aussi incertaine et dangereuse.
Le deuxième voyant est gris : l’impact environnemental de la fusion n’est pas aussi faible que ce que l’on pourrait croire. Les centrales sont à l’origine de rejets radioactifs et thermiques provoquant un réchauffement du milieu aquatique environnant.
De grandes quantités de déchets hautement radioactifs sont produites chaque année et 1,54 million de mètres cubes de déchets seront enfouis sous notre sol et laissés à la seule responsabilité des générations futures.
Le troisième voyant, enfin, est rouge : les compteurs s’affolent et les comptes aussi. Le coût de la construction des six nouvelles centrales nucléaires « EPR 2 » est estimé à 51,7 milliards d’euros, et il sera peut-être encore plus élevé en pratique.
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L’exemple du réacteur Flamanville 3 est caractéristique des coûts conséquents et difficilement prévisibles de leur construction : il est aujourd’hui évalué à 12,4 milliards d’euros, soit un montant plus de trois fois supérieur aux prévisions initiales.
Prise à grande échelle, l’accumulation de ces coûts, ajoutée à ceux de l’entretien des centrales déjà existantes, finira par peser trop lourd sur les ménages et les entreprises.
Éco-mots
EPR (European Pressurized Reactor)
Réacteurs nucléaires à eau ordinaire sous pression. Six réacteurs de ce type vont être construits en France et le premier sera probablement mis en service en 2035.
Néanmoins, si la France ne peut plus compter sur l’énergie nucléaire, elle ne doit pas pour autant céder au pessimisme : face à l’orange, au gris et au rouge, elle doit prendre le chemin du vert et du bleu.
Une étude de l’Ademe nous prouve qu’un mix 100 % renouvelable est possible d’ici 2050, notamment grâce au photovoltaïque, à l’éolien en mer, à la biomasse, mais aussi la fusion nucléaire, énergie propre et puissante.
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Demeurant aujourd’hui en expérimentation, un investissement fléché vers la R & D de cette dernière énergie pourrait compenser l’éventuelle perte de compétitivité due à l’abandon de la fission nucléaire et faire de la France une grande nation de l’énergie verte, dans ce siècle.
Débat animé par Patrice Geoffron, professeur de sciences économiques à l’Université Paris Dauphine-PSL et membre du Cercle des économistes. Le Cercle des économistes a proposé à 120 étudiants ou jeunes actifs de rédiger un essai sur le thème « Et si vous transformiez le monde : quelles seraient vos priorités ? » dans le cadre des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence (8-10 juillet). Deux lauréats de « La Parole aux 18-28 » se livrent ici à l’exercice. Les exposés de ces pages s’inscrivent dans le cadre d'un exercice de rhétorique, ils ne reflètent en rien les idées et opinions personnelles des intervenants.
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