L'essentiel.
- Dans plusieurs grandes villes françaises, des collectifs de riverains naissent et se mobilisent pour contester les projets immobiliers de densification.
- Les mouvements démographiques sont également marqués par une tendance à l'éloignement urbain
- Densifier (jusqu'à un certain point) permet pourtant à la fois de réaliser des économies d'échelles budgétaires et énergétiques
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Partout en France, les collectifs et associations d’habitants se multiplient contre la densification urbaine. Leur volonté : limiter des projets de nouvelles constructions près de chez eux. C’est le cas de l’Association pour la préservation du Square Armand-de-la-Rouërie, à Rennes. Pascal vit dans un appartement de ce quartier depuis quelques années. Aujourd’hui, avec une partie de ses voisins, il se bat contre la construction d’immeubles juste en face de chez lui, sur l’espace où se trouve actuellement de la verdure et un parking collectif.
Avec d’autres associations locales, le collectif Coudurr (collectif uni pour une densification urbaine rennaise raisonnée) s’est formé. « La question que l’on se pose, c’est : à quel moment cela va-t-il s’arrêter ? Nous ne sommes pas du tout opposés à l’arrivée de nouveaux habitants, au contraire, mais il faut que cela se fasse en concertation avec les résidents, en analysant les besoins réels », soupire-t-il, évoquant le quartier Baud-Chardonnet, à Rennes, qu’il voit comme « un empilage d’immeubles à cinq mètres les uns et des autres », avec peu d’espaces verts.
En France métropolitaine, selon l’Insee, la densité est en moyenne de 119 habitants par kilomètre carré. Comme toute moyenne, ce chiffre cache en réalité de fortes disparités. Ainsi, la Bourgogne-Franche-Comté affiche un score de 58 hab/km2, contre le double en Auvergne-Rhône-Alpes. Et même jusqu’à 1.022 en Ile-de-France !
Et cette hétérogénéité devrait se poursuivre, puisque la France suit désormais la démarche « ZAN », zéro artificialisation nette. Le principe : « limiter les constructions sur des espaces naturels et agricoles », explique l’Office français de la biodiversité, afin de conserver ces lieux verts et de réduire l’extension indéfinie du bitume dans le pays.
Des avantages économiques et environnementaux
Existe-t-il d’autres intérêts à densifier nos logements ? Marie Breuillé est chercheuse en économie à l’Inrae. Elle a justement travaillé sur les bénéfices de la densification urbaine, du point de vue budgétaire, en analysant son impact sur le coût des infrastructures et services publics.
Elle le montre, le fait de vivre trop éloigné les uns des autres n’est pas une bonne idée à l’échelle collective : « L’étalement urbain provoque un éloignement des emplois, donc des coûts de mobilité importants. On observe alors des congestions automobiles aux heures de pointe, davantage d’émissions de gaz à effet de serre, la destruction de la biodiversité et la surconsommation d’espaces et de ressources… »
Le problème devient rapidement social : le centre, gentrifié, regroupe des catégories socio-professionnelles aisées, tandis que les périphéries rassemblent de fait les plus modestes.
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Sur le papier, la densification paraît donc une bonne option ! Juste Rajaonson, enseignant-chercheur au département d’études urbaines et touristiques de l’université de Montréal au Québec, étudie lui aussi ces questions. « Densifier permet de vivre sur des espaces plus restreints, donc des distances plus courtes, ce qui est positif d’un point de vue écologique. Cela permet aussi des économies d’échelle, et de partager davantage de biens et de services. Les commerces et entreprises se réunissent, des synergies apparaissent ».
Cela se vérifie dans les zones les moins denses : se rassembler permet alors de profiter de nouveaux équipements : sportifs, culturels, transports en commun…
Économie d'échelle
Situations dans lesquelles une augmentation de la production d'une entreprise ou d'une administration engendre une diminution du coût unitaire moyen d'un produit ou d'un service. Elles sont particulièrement importantes dans le cas des infrastructures de réseau (de transport, d'électricité...).
Risques de congestions et saturations
Cela est vrai, oui, mais seulement jusqu’à un certain point. Marie Breuillé, de l’Inrae, l’a observé dans son étude : « Une augmentation de la densité jusqu’à 75 habitants + emplois par hectare conduit à une baisse des dépenses de fonctionnement par habitant, en raison d’économies d’échelle. En revanche, au-delà de ce seuil, cela provoque à l’inverse une hausse de ce même coût », détaille-t-elle.
Le risque, en effet, est d’aller trop loin en termes de densité et de générer trop d'externalités négatives. En plus de ces surcoûts, une zone surchargée subira de nombreux effets indésirables, dont des congestions et saturations, difficiles à vivre au quotidien.
« En France, de façon générale, le bâtiment haut a une mauvaise image, la maison avec un espace vert est davantage valorisée. La population associe les tours aux grands ensembles datant de l’époque de la reconstruction, qui ont cumulé de nombreux maux », estime Hélène Nessi, maître de conférences en aménagement de l’espace et urbanisme à l’université Paris Nanterre. Et cela contrairement à la Chine, où les plus aisés rêvent des plus hautes tours, par exemple.
La question de l’acceptabilité
Résultat : lorsque les projets de construction se multiplient, des tensions se créent avec les ménages déjà en place. « Avec les nouvelles réglementations, les communes ont désormais une obligation de densification autour des gares. Cela soulève des oppositions d’associations locales, qui tentent de freiner les projets. On touche en effet à une question d’acceptabilité sociale, notamment pour des personnes venues dans le périurbain pour profiter d’un cadre de vie spécifique. Et auquel on leur demande désormais de renoncer », analyse Hélène Nessi.
NYMBY
Acronyme de l'expression anglaise « Not In My BackYard », qui signifie « pas dans mon arrière-cour ». Désigne les oppositions de riverains à l’implantation d’infrastructures nouvelles, perçues comme potentiellement nuisibles. Ces oppositions peuvent viser l’implantation de grands bâtiments, d'infrastructures routières, de lignes de train, d’éoliennes...
Acceptabilité sociale
Assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo. Cette acceptabilité sociale se situe en dehors du cadre gouvernemental et législatif et est parfois présentée comme symptomatique des insuffisances de la démocratie représentative. Elle est très souvent mise de l’avant à l’échelle locale ou régionale et peut concerner tous les types de projet, qu’il s’agisse de développement résidentiel ou industriel, de projet de parc éolien…
Paradoxe tout entier : d’un côté, pour l'environnement, la nécessité de densifier. De l’autre, la volonté d’une partie des citadins de s’éloigner de la ville et de disposer de davantage d’espace. La chercheuse Marie Breuillé a étudié les soldes migratoires des communes rurales au lendemain des confinements, entre les périodes mars 2019-2020 et mars 2020-2021.
Résultat : celui des communes rurales, de moins de 2.000 habitants, est passé de 7,9 pour 1.000 ménages à 9,5. Pour les petites villes, de 5,8 à 7,27. Pour les communes moyennes, il stagne. Et pour les grandes villes, il se creuse.
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Trouver des opportunités
Or, ce mouvement peut cependant être un bénéfice pour lesdites communes, souligne Juste Rajaonson : « Cela devient un plus si ces personnes ne contribuent pas à l’étalement urbain ! Si elles sont incitées à venir s’installer auprès des cœurs villageois, cela peut être une opportunité d’augmenter la densification des petites municipalités de périphérie, justement. Et grâce à leur présence, ces communes pourront se doter de nouveaux services ». De quoi enclencher un cercle vertueux.
Pour qu’elle soit acceptable, et ainsi acceptée, la densité doit aussi être pensée et réfléchie, le tout en concertation avec les personnes déjà installées. « Souvent, les projets sont parachutés du jour au lendemain. Or, la mairie doit sensibiliser sa population à l’intérêt général liés aux enjeux environnementaux, qui nous concernent tous. Mais évidemment, ce n’est pas simple pour ces habitants : leur maison est l’histoire de leur vie. On touche à des choses très personnelles ! Les architectes et paysagistes ont aussi une mission, car ils peuvent proposer des lieux qui soient denses, tout en étant agréables à vivre, avec des espaces verts de qualité par exemple », acquiesce Hélène Nessi. Et ils ont la pression : de leur réussite ou non dépendra sans doute une partie de nos objectifs climatiques...
Dans le programme de SES
Terminale. « Quelle action publique pour l'environnement ? »
Terminale. « Comment expliquer l'engagement politique dans les sociétés démocratiques ? »