Economie

EDF, Marcel Boiteux et la tarification au coût marginal

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France entame une vaste reconstruction de son appareil productif, notamment dans le secteur de l’énergie. Ainsi naquit EDF. L’entreprise nationale mettra en œuvre le déploiement du nucléaire civil sous la houlette d’un homme, Marcel Boiteux, disparu mercredi 6 septembre, grâce à un mécanisme : la tarification au coût marginal.

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© Laurent GRANDGUILLOT/REA

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Son nom ne vous dit probablement rien et pourtant, il est l’un des principaux artisans du développement des centrales nucléaires sur le territoire français.

Marcel Boiteux est décédé mercredi 6 septembre, à l’âge de 101 ans. Entré chez EDF en 1949, trois ans après la création de l’entreprise publique, il en devient le directeur général en 1967 puis le PDG en 1979.

C’est sous sa houlette qu’EDF a mis en œuvre le déploiement sur tout le territoire des centrales nucléaires. Connu sous le nom de "plan Messmer" et lancé en 1974 par le président Georges Pompidou, il a permis à la France de se doter d’un parc nucléaire d’abord de 26 réacteurs puis de 58 (aujourd’hui, 56 sont toujours en activité).

Mais Marcel Boiteux n’était pas seulement un grand patron, c’était aussi un économiste brillant, qui a apporté des contributions fondamentales à la science économique. Élève de Maurice Allais, prix Nobel d’économie en 1988, il a été l’un des pionniers de l’analyse marginale et a notamment élaboré la notion de coût marginal, qui permet de déterminer le niveau optimal de production d’une entreprise.

Il va appliquer ses recherches au marché de l’énergie et travailler sur la tarification au coût marginal de l’électricité dès son arrivée chez EDF. Ces travaux serviront de modèle au marché français de l’électricité lors du déploiement du parc nucléaire.

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Le marché de l’énergie se définit comme l’ensemble des acteurs et des activités qui participent à la production et à l’acheminement de l’électricité et du gaz jusqu’aux consommateurs. Il est composé de plusieurs segments : le marché de gros, où les producteurs et les fournisseurs d’énergie échangent entre eux ; le marché de détail, où les fournisseurs vendent l’énergie aux consommateurs finaux.

Entre 1946 et 2007, seuls EDF et GDF, entreprises publiques, gèrent le marché. Depuis 2007, le marché est ouvert à la concurrence et plusieurs acteurs ont émergé.

Cette mise en concurrence va de pair avec la création d’un marché européen de l’énergie. « Pour importer ou exporter de l’électricité depuis ou vers l’étranger, ou d’en exporter vers les voisins, les pays européens sont en effet reliés entre eux par des interconnexions, des câbles qui permettent de transporter les électrons au-delà des frontières. Un moyen de faire baisser les prix dans les pays importateurs à un instant précis », explique le site Toute l’Europe. Un système que l’UE est en train d’essayer de réformer à cause des perturbations causées par la guerre en Ukraine.

Sur ce marché européen, le prix de l’électricité est fixé en fonction du prix marginal de la dernière centrale appelée à produire. C’est la tarification au coût marginal.

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Le coût marginal correspond au coût que l’entreprise va devoir payer pour produire une unité supplémentaire de bien. Par exemple, si une entreprise produit 100 t-shirts à un coût total de 500 € et qu’elle doit dépenser 4 € pour produire le 101e t-shirt, son coût marginal est égal à 4 €. Elle a donc tout intérêt à produire ce T-shirt. En général, le coût marginal est dit "décroissant" et permet des économies d’échelle : la production de la dernière unité est moins coûteuse puisque les investissements nécessaires pour produire la première unité ont été amortis (ici la machine à coudre par exemple).

Seulement, dans le cas du marché de l’électricité, c’est l’inverse : le coût marginal est croissant, une situation que l’on retrouve dans les marchés où la ressource est rare (comme le pétrole, où forer pour exploiter des puits de plus en plus profonds demande de plus en plus d’investissements).

Pour l’électricité, les moyens de production utilisés pour satisfaire la demande ne sont pas tous identiques. Certains ont un coût marginal faible, comme les énergies renouvelables ou le nucléaire, qui n’utilisent pas ou peu de combustible. Alors que d’autres ont un coût marginal élevé, comme les centrales thermiques à gaz ou à charbon, qui doivent payer le prix du combustible.

On parle alors de logique de “merit order” pour désigner l’ordre dans lequel les moyens de production sont appelés en fonction de leur coût marginal croissant : on commence par les renouvelables et on finit par le charbon.

La tarification au coût marginal permet donc d’assurer l’efficacité économique, en incitant les producteurs à utiliser les moyens de production les moins coûteux et les consommateurs à adapter leur demande à l’offre disponible. Et elle permet également de couvrir les coûts fixes de toutes les entreprises. Elle récompense les plus vertueuses qui ont des marges plus élevées et encourage celles qui ont les coûts fixes les plus élevés à continuer à produire, en leur garantissant de ne pas vendre à perte.

Ce mécanisme a longtemps permis à EDF de financer le développement du parc nucléaire français, en bénéficiant d’une rente de situation et à la France de bénéficier d’une électricité bon marché et abondante pendant des décennies, tout en réduisant sa dépendance énergétique et ses émissions de gaz à effet de serre.

Pour aller plus loin > EDF et les prix de l’électricité : tout comprendre à l’Arenh

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Marcel_boiteux_nuclEaire_cout_marginal.png« Il faut que chacun paie ce que la prestation dont il bénéficie a coûté à la collectivité à travers tous les acteurs qui y ont contribué ou en ont été affectés. Si chacun est appelé à payer ce qu’il coûte pour chaque bien ou service dont il use, la solution la plus économique pour lui sera aussi la plus économique pour la collectivité. »

Marcel Boiteux

Ancien PDG d’EDF, en 2012 dans la Revue de l’énergie

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