À 43 ans, François* passe son temps entre son bureau, dans le Bordelais, et les routes d’Aquitaine. Diagnostiqueur immobilier depuis 7 ans, ce fils de maçon traque les traces de plomb, de termites, d’amiante mais aussi les sous-sols mal isolés et les toits ouverts à tous les vents, pour établir des diagnostics de performance énergétique (DPE).
S’il aime son métier, François est un peu désolé de la mauvaise presse qui lui est faite, après deux enquêtes d’associations de consommateurs en 2022, un reportage récent à la télévision, pointant le manque de fiabilité de beaucoup de DPE.
Pression des clients sur les diagnostiqueurs
Mais le stress qu’endure le quadragénaire ne vient pas que de la mauvaise réputation faite à son métier par des brebis galeuses : « Certains propriétaires nous mettent aussi beaucoup de pression. S’ils ne sont pas contents du classement énergétique du logement qu’ils souhaitent vendre, certains nous harcèlent au téléphone, ou vont jusqu’à essayer de nous proposer de l’argent pour modifier notre diagnostic ». Ambiance.
C’est qu’en ces temps de hausse des tarifs de l’énergie, il commence à entrer dans la tête des vendeurs que les performances énergétiques de leur logement pèsent dans les décisions des acheteurs - et pas uniquement pour les plus écolos d’entre eux.
Le DPE, cet équivalent de la carte d’identité énergétique d’un logement, prend donc de plus en plus d’importance. Il n'est pourtant pas tout jeune : il a été créé en 2006 en France.
Il a ensuite été revu en 2021 dans le cadre de la loi Climat et résilience pour le rendre plus fiable. Depuis le 1er janvier 2022 il doit être présent sur toutes les annonces de vente et de location. Il permet d’indiquer la consommation en énergie et le taux d'émission de gaz à effet de serre d’un logement sous la forme d’une échelle multicolore qui va de A à G - la lettre A représentant la meilleure performance énergétique possible, les lettres F et G rassemblant ce qu’on appelle les “passoires thermiques” - des logements qui ne pourront plus être loués à partir de 2025 pour les G et 2028 pour les F.

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Un outil qui reste imprécis
À l'origine établit avec les factures d’électricité et de gaz des logements, le DPE se base aujourd’hui sur des éléments plus fins, collectés par les diagnostiqueurs sur le terrain : surface de l'habitation, qualité de l'isolation thermique, quand il y en a une, type et performance des systèmes de chauffage, de climatisation ou de ventilation, mais aussi structure du bâtiment, type de matériaux utilisés, nombre et type de fenêtres, simple ou triple vitrage, orientation, altitude, présence d’arbres autour de la maison, etc.
« Une fois tous ces éléments collectés nous les entrons dans un logiciel de calcul énergétique de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui calcule automatiquement la note du logement », résume François.
Mais le système présente beaucoup de limites, qui expliquent que les mêmes bâtiments puissent recevoir des classements différents suivant les diagnostiqueurs. « Par exemple, le logiciel est très dur avec les maisons en pierre alors qu’un mur ancien peut être un très bon isolant, souligne François. Surtout, on ne peut pas casser des murs ou un plafond pour vérifier comment ils sont isolés. Si on veut bien faire les choses il faut prendre son temps, démonter une prise électrique pour vérifier la présence d’un matériau isolant ».
Ce que François n’hésite pas à faire quand il le juge nécessaire - et si le propriétaire est d’accord. Toujours dans le souci de faire comprendre aux acheteurs l’impact sur le climat de leur futur logement, au DPE s’est ajouté le 1er avril un nouveau document, l’audit énergétique, qui doit permettre de proposer une liste des travaux pour améliorer les performances d’une maison, d’un bâtiment ou d’un appartement - un travail qui relève de bureaux d’étude spécialisés en études thermiques, selon François, mais qui pourra être fait par des diagnostiqueurs, sous réserve d’avoir passé la certification adhoc. Ce à quoi le Bordelais se refuse : « C’est un autre métier ».
Un effet de plus en plus important sur les prix
Reste le point central : créé pour mieux renseigner les acquéreurs sur les performances de leur futur bien, le DPE est également censé pousser les propriétaires à faire les travaux nécessaires pour se rapprocher du A, en leur faisant espérer une vente plus rapide ou à un prix plus élevé.
« On appelle cela la valeur verte, explique Claire Juillard, chercheuse spécialisée dans les marchés immobiliers, du cabinet OGGI. Jusqu’à présent on avait tendance à relativiser l’influence de la valeur verte sur les prix de l'immobilier, mais, entre l'inflation des prix énergétiques et la progression de la conscience environnementale, les choses changent ».
Ainsi selon l’indice créé par les Notaires de France en 2014 et publié tous les deux ans, un appartement classé A ou B se vendrait 3 à 16% plus cher que le même appartement classé D - la surcote va de 6 à 14% pour les maisons. La même étude montre qu’en 2020, soit avant la crise énergétique, les prix des “passoires thermiques” des zones les plus rurales enregistraient une décote de 13 % par rapport à un même bien classé D.
« Mais cette valeur verte a plus ou moins d’importance suivant le type de bien et son implantation géographique, décrypte Claire Juillard. Ainsi les logements collectifs y sont plus sensibles que les logements individuels », peut-être parce que la maîtrise des dépenses énergétiques y est perçue comme moins évidente par les acheteurs, notamment quand il n’y a pas de décompte individuel des dépenses de chauffage.
À l’inverse, sur les marchés très tendus, la valeur verte pèse peu parce que les biens sont rares et « partent vite » développe la chercheuse. Dit autrement, le prix d’une jolie passoire thermique parisienne de 2 pièces avec vue sur la Tour Eiffel souffrira moins de son mauvais DPE que le même 2 pièces dans une sous-préfecture d’une région désertée par l’emploi et les touristes.
*Le prénom a été changé à la demande de l'intéressé.