L’essentiel
- La gestion de la forêt amazonienne est un enjeu clé du second tour de l’élection présidentielle brésilienne qui opposera le 30 octobre l’actuel président d’extrême-droite Jair Bolsonaro à l’ex-président de gauche Luis Inácio Lula da Silva, dit “Lula”.
- Depuis l’élection de Jair Bolsonaro en 2018, largement soutenue par les agriculteurs et éleveurs de la région, la déforestation a augmenté de 73 %. Sous les mandats de Lula, entre 2003 et 2010, la déforestation avait dégringolé de 82 % et atteint son plus bas niveau en 2012.
-L’industrie bovine, principale responsable de la déforestation, est une source majeure de revenus pour le Brésil, premier exportateur mondial de viande de bœuf.
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Le 10 août 2019, la fumée atteint les rues de Sao Paulo. À 2 500 kilomètres, des flammes ravagent la forêt amazonienne brésilienne. La France, comme d’autres pays, condamne alors ces feux, principalement causés par des opérations de brûlis des agriculteurs. Plusieurs ONG environnementales pointent le coupable du doigt : Jair Bolsonaro.
Un an plus tôt, le populiste d’extrême-droite avait été élu président. Durant sa première année de mandat, 13 000 km2 de forêt tropicale, soit 16 fois la surface de la ville de New York, sont détruits. À la fin de son mandat en 2022, la déforestation a augmenté de 73 % par rapport à 2018. Le président a échoué à protéger cette réserve de biodiversité, qui accueille 3 millions d’espèces vivantes et abrite 30 millions d’individus.
Vers une “tragédie des communs” ?
Le Brésil détient 63 % des 550 millions d’hectares de la forêt amazonienne. Un rapport indépendant, publié en 2022 par une coalition d’associations environnementales, estime à 26 % la surface de forêt hautement dégradée et affirme que le « point de non-retour » est atteint.
Les agriculteurs et les éleveurs sont les principaux responsables de la déforestation au Brésil, avec les industries minière et pétrolière. Le défrichement a lieu aussi bien dans des zones non-protégées que dans les aires censées être régulées par l’État.
« Nous vivons une “tragédie des communs” au Brésil » , déclarait en 2020 Tasso Azevedo, fondateur du réseau MapBiomas, qui produit des cartes du territoire brésilien. Souvent utilisée pour qualifier le destin de la forêt amazonienne, la “tragédie des communs” est une expression tirée de l’ouvrage éponyme du biologiste Garett J.Hardin (1968).
Tragédie des (biens) communs
Concept décrivant la surexploitation collective d’une ressource commune. Elle résulte d’une compétition pour l’accès à une ressource limitée (avec conflit entre l’intérêt individuel et le bien commun) face à laquelle la stratégie économique rationnelle aboutit à un résultat perdant-perdant. Un bon exemple est la pêche : chaque bateau a intérêt à pêcher le plus de poissons possibles, au risque de réduire la ressource ("bien rival") à moyen terme. D’où la nécessité de réguler, dans ce cas, avec des quotas.
La forêt, ressource commune dont il est difficile de contrôler l’accès et la propriété en raison de son étendue, est un "bien rival". Ce qui est prélevé par un exploitant ne peut l’être par un autre. Si chaque éleveur, agriculteur ou orpailleur, poursuit son intérêt individuel, il maximise ses profits en occupant plus de surface. Mais en suivant cette logique, la ressource est surexploitée, se détériore, et à long terme, tout le monde y perd.
Ce que peut faire l’État
Pour éviter cette “tragédie”, Hardin préconise la régulation par l’État. Le Brésil, par exemple, dispose d’un cadre légal pour limiter la déforestation. La loi fédérale protège en théorie près de la moitié de la forêt. Depuis 1989, une institution, l’IBAMA, est chargée de surveiller l’usage des terres et de faire appliquer les règles. Mais la loi ne suffit pas : la bonne gestion de la forêt dépend surtout des mesures mises en place pour la faire respecter.
En 2004, la déforestation au Brésil atteint des sommets : 27 423 km2 perdus, soit la superficie de Haïti. Entre 2003 et 2010, le gouvernement du président Lula parvient à ramener la surface annuelle défrichée à 7 000 km2 puis à moins de 5 000 km2 en 2012.
Le plan de Lula débute par un renforcement de l’arsenal législatif : lois environnementales, extension des aires protégées et mise en place d’un suivi de l’usage des terres. Sous son mandat, 268 000 km2 gagnent le statut d’aires protégées. Lula renforce ensuite les institutions environnementales. Avec plus de pouvoir, de budget et d’effectif, il devient plus facile de traquer et punir les responsables de la déforestation.
Élu en 2018, Jair Bolsonaro sait que défaire les lois prend du temps. Toutefois, il parvient à affaiblir les institutions environnementales. Aux postes clés de la FUNAI, chargée des politiques autochtones brésiliennes, il place des proches. Au ministère de l’environnement, il accorde le budget le plus bas des vingt dernières années. Il gèle aussi une enveloppe de 640 millions de dollars du Fond pour l’Amazonie.
Permettre la confiance et la coopération
Ces dernières années, Jair Bolsonaro a également freiné l’extension des zones protégées et la création de nouveaux territoires indigènes. Pire, des projets de loi pour permettre aux exploitants miniers, pétroliers ou agricoles d’occuper les terres indigènes attendent d’être votés. L’État a également failli à protéger les près de 160 défenseurs de l’environnement tués depuis 2019 et à faire condamner les responsables.
Ces acteurs locaux sont pourtant essentiels pour préserver la forêt. Dans les années 2000, le gouvernement Lula travaille ainsi à renforcer les liens entre les ministères, les agences environnementales, les gouvernements fédéraux et les institutions locales. Le gouvernement incite financièrement les producteurs agricoles à ne pas défricher la forêt et travaille à intensifier l’agriculture pour produire plus sur une même surface.
Pour l’économiste américaine Elinor Ostrom, lauréate du Prix Nobel en 2009, la tragédie des communs n’a rien d’inéluctable. En étudiant les mécanismes qui poussent les individus à coopérer pour protéger une ressource, la scientifique conclut, que renforcer la communication avec et entre les populations indigènes aide notamment à préserver les ressources.
Malheureusement, de nombreux analystes présument encore à tort que les problèmes de bien commun sont tous des dilemmes dans lesquels les participants eux-mêmes ne peuvent éviter de produire des résultats sous-optimaux. Ils présument que les individus ne peuvent pas s’organiser eux-mêmes et doivent toujours être organisés par des acteurs externes.
Elinor Ostrom,Prix Nobel d’économie, Gouverner les communs
Reconnaître les enjeux économiques
La gestion de la forêt amazonienne sous le mandat de Lula n’a pas été sans reproche. Son gouvernement a soutenu financièrement l’industrie bovine, principale responsable de la déforestation et source majeure de revenus pour le Brésil, premier exportateur mondial de viande de bœuf. En 2004, le taux de déforestation a atteint son maximum, en même temps que le prix du bœuf bondissait.
De même, comme le notait le site Mongabay à l’été 2022, il existe une corrélation nette entre la forte déforestation de certaines zones et la demande record de bois exotique d’Ipé, dont le Brésil fournit 96 % de la demande mondiale.
La question de la forêt amazonienne dépasse donc les frontières du Brésil. D’abord sur le plan climatique, elle fait office de puits de carbone et devient de moins en moins efficace à mesure qu’elle perd sa biodiversité. Surtout, les exportations de produits agricoles répondent aux besoins d’un marché mondial. Par exemple, la consommation européenne (viande, soja, maïs, huile de palme, café, cacao…) est à l’origine de 16 % de la déforestation mondiale par ses importations. Le Parlement européen a d’ailleurs adopté, le 13 septembre 2022, une loi visant à mettre fin à cette déforestation importée.
Le 30 octobre 2022 s’affronteront donc Lula et Bolsonaro, deux ex-présidents et deux visions du Brésil, dans un contexte de crise économique. Pour l’Amazonie, l’enjeu sera de préserver cette ressource tout en garantissant des progrès sociaux.
D’après un rapport commandé par le consortium « Inevitable policy response », il sera impossible d’atteindre la fin de la déforestation d’ici 2025. Y parvenir pour 2030 reste possible si Lula est élu mais il devra composer avec l’héritage de Jair Bolsonaro, parvenu à faire élire plusieurs représentants à des postes clés lors des élections locales.
Dans le programme de SES
Terminale. « Quelle action publique pour l’environnement ? »
Première. « Quelles sont les principales défaillances du marché ? »