Economie
En Bretagne, pêcheurs contre éoliennes, objectifs écologiques contre impératifs énergétiques
Sélection abonnésEspaces naturels en danger, zones de pêche menacées, pollution due au chantier… À Saint-Brieuc, un parc éolien offshore provoque la colère des professionnels et des riverains. Objectifs écologiques et impératifs énergétiques s’opposent une fois encore.
Marius Rivière
© Marcus Rivière.
Dans la nuit noire, une lumière pointe au-dessus de l’eau : un petit bateau de pêche sort du port d’Erquy, à l’est de la baie de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. Il est 3 heures du matin. Difficile de croire que nous sommes fin mai tant le froid saisit les visages encore ensommeillés. Le fracas du moteur pour réveil, l’odeur du gasoil pour petit dej’.
Coiffé d’une tignasse brune, Florentin, 30 années au compteur, tient la barre de l’Avel Mad. Un ordinateur pour seule boussole dans les ténèbres de la Manche. « C’est comme ça chaque matin, onze mois par an, du lundi au samedi », sourit le capitaine en enfilant son ciré.
Sur le pont, Fabien et Tristan s’affairent à fendre d’un coup de hachoir les crabes et les congres qui serviront d’appâts. Les trois compères pêchent le bulot. La saison de la Saint-Jacques – grande spécialité de la baie – s’achève tout juste.
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Dans la nuit noire, une lumière pointe au-dessus de l’eau : un petit bateau de pêche sort du port d’Erquy, à l’est de la baie de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. Il est 3 heures du matin. Difficile de croire que nous sommes fin mai tant le froid saisit les visages encore ensommeillés. Le fracas du moteur pour réveil, l’odeur du gasoil pour petit dej’.
Coiffé d’une tignasse brune, Florentin, 30 années au compteur, tient la barre de l’Avel Mad. Un ordinateur pour seule boussole dans les ténèbres de la Manche. « C’est comme ça chaque matin, onze mois par an, du lundi au samedi », sourit le capitaine en enfilant son ciré.
Sur le pont, Fabien et Tristan s’affairent à fendre d’un coup de hachoir les crabes et les congres qui serviront d’appâts. Les trois compères pêchent le bulot. La saison de la Saint-Jacques – grande spécialité de la baie – s’achève tout juste.
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Après une heure et demie de navigation dans l’obscurité, des points lumineux apparaissent sur l’horizon. La vision a tout d’un mirage : un gigantesque paquebot s’élève à une dizaine de mètres au-dessus de la mer, juché sur cinq immenses pilotis posés au fond de l’eau.
Dans les premières lueurs du jour, le nom du navire apparaît sur son flanc : l’Aeolus, de la société Van Oord. Ce monstre des mers réalise les premiers forages pour le compte d’Ailes Marines, filiale française d’Iberdrola, multinationale spécialisée dans les énergies renouvelables en charge du gigantesque chantier.
Nous sommes à 16 km des côtes et dans deux ans, 62 éoliennes hautes de 207 mètres s’élèveront ici, sur une surface de 75 km²… L’équivalent de la ville de Strasbourg.
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Zone d’exclusion
« I need a dollar, dollar, dollar is what I need », crache une enceinte Bluetooth sur le pont de l’Avel Mad, dans le silence de l’aube. Nos pêcheurs se donnent de la force. Les appâts sont prêts. En vue, une bouée fluorescente. Florentin se saisit de sa perche, attrape le bout qui y pend, le fixe à un treuil mécanique.
La corde remonte. Et avec elle, le premier casier – en fait, un dôme dur en forme de grosse passoire – rempli de bulots. Florentin s’en saisit, 20 kg tirés du bout du bras, et le vide aussi sec sur une table. Tristan le remplit alors de nouveaux appâts. Fabien s’en empare ensuite pour le déposer sur le pont. Les gestes sont précis, assurés, répétés depuis des années.
Travail à la chaîne en mer. Et ainsi de suite, 60 fois par corde. Les casiers ne restent pas plus de 20 minutes sur le pont. Aussitôt vidés aussitôt remplis. Lestés, ils sont renvoyés au fond des mers jusqu’à leur remontée, 24 heures plus tard.
Dans la cabine de navigation, la radio grésille et une voix retentit : « Avel Mad, veuillez sortir de la zone. » Sur l’ordinateur, le point qui désigne le petit bateau de pêche se situe dans le polygone bleu, synonyme de zone d’exclusion du parc. Interdiction formelle pour toute embarcation d’approcher à moins de deux miles de l’Aeolus. « Si on persiste, ils appellent la Marine nationale qui nous fait sortir fissa », explique Florentin.
J’ai pris deux mois d’avance sur ma saison. Ensuite, c’est l’inconnu. Je n’ai aucune garantie d’assurer une pêche sûre à mes gars.Florentin,
capitaine de l'Avel Mad.
L’équipage se hâte. « C’est l’endroit où mes casiers sont les plus remplis », se désole le capitaine. Bulots, mais aussi coquilles Saint-Jacques, seiches, araignées de mer, daurades royales : la zone est un vivier de pêche extrêmement riche.
Florentin estime que le chantier va le priver de l’équivalent de quatre à six mois d’activité. « J’ai pris deux mois d’avance sur ma saison. Ensuite, c’est l’inconnu. Je n’ai aucune garantie d’assurer une pêche sûre à mes gars », soupire-t-il. Florentin n’est pas le seul à subir l’impact d’un tel chantier.
Vendredi 7 mai, lui et une centaine d’autres pêcheurs de la baie ont fait craquer des dizaines de fusées de détresse autour du navire de chantier. Une action spectaculaire pour signifier à la multinationale espagnole leur rejet du parc éolien.
La France très en retard
De Noirmoutier à Dunkerque en passant par Bordeaux, la Bretagne et la Normandie, en tout, huit projets de parcs éoliens sont prévus au large des côtes françaises dans les prochaines années. Avec la fermeture des quatre dernières centrales à charbon et la baisse de la part du nucléaire, la France doit trouver de nouveaux moyens de produire de l’électricité.
Sans rejets de CO2 cette fois, crise climatique oblige. Le gouvernement souhaite accélérer la mise en place de ces installations… si possible avant l’élection présidentielle. Au large de Saint-Brieuc, le parc doit produire 1 820 GWh par an, de quoi fournir de l’électricité à 835 000 habitants, soit plus de 9 % de la consommation électrique totale de la Bretagne en 2014.
Il faut dire que l’Hexagone est en retard par rapport à ses objectifs. Sur 5 000 éoliennes en mer en Europe, seules 19 se situent en France. À mettre en perspective avec les 2 000 éoliennes marines du Royaume-Uni et les 1 500 hélices de l’Allemagne.
En France, les premières autorisations ont pourtant été signées il y a plus de 10 ans. À Saint-Brieuc, le premier appel d’offres a été attribué en 2012, à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy.
Vague de contestation
Deux élections présidentielles plus tard, aucun parc n’est sorti de l’eau mais le rejet, lui, a gagné en intensité.
Vent de colère, une association qui se présente comme une « fédération nationale de plusieurs centaines d’associations et de sympathisants actifs pour protéger l’environnement et la qualité de vie dans les campagnes et le long des rivages français » dépose recours et pétitions pour empêcher ou retarder la création de ces parcs.
Dans le Gard (département français le moins doté en éoliennes), Alain Bruguier, président de la fédération se vante d’avoir fait « bloquer 41 projets de parcs éoliens sur 42 ». Récemment, Stéphane Bern a publié une tribune dans Le Figaro dénonçant les éoliennes, « une négation de l’écologie », selon l’animateur télé.
À l’approche des élections régionales, l’enjeu se politise. Le Rassemblement national l’a bien compris et dénonce ces projets « pensés par des écologistes urbains » et imposés à la « France rurale ». Dans un tweet publié le 26 mai dernier, Barbara Pompili évoquait « une opposition aux éoliennes infiltrée par l’extrême droite ».
Bagarre électorale et dialogue de sourds. En attendant, les industriels du secteur ne cachent pas leur inquiétude face à la multiplication des contestations qui retardent de nombreux projets éoliens, sur terre et sur mer.
Quand l’écologie « bousille »
Samedi 29 mai, des fumigènes crachent leurs panaches orange devant la préfecture de Saint-Brieuc. Une banderole est accrochée au portail : « Non aux éoliennes, laissez-nous pêcher ». Quelque 500 manifestants sont présents. Florentin et Fabien sont là eux aussi, les traits tirés après leur nuit de pêche. Leurs collègues venus de la Normandie voisine, du Pays basque et même du Var marchent à leurs côtés.
Si le projet éolien se fait, tous les beaux dauphins qu’on a l’habitude de voir au large de la baie vont disparaîtreTiphaine Blanchet,
cheffe d’entreprise.
La manifestation se déroule dans le calme. Deux jeunes femmes défilent, dauphins gonflables sur le dos. « Si le projet éolien se fait, tous les beaux dauphins qu’on a l’habitude de voir au large de la baie vont disparaître », s’indigne Tiphaine Blanchet, cheffe d’entreprise.
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Avec son mari, elle possède trois bateaux de pêche artisanale dans la baie de Saint-Brieuc. « Quand on voit toutes les normes que l’on respecte depuis des décennies, justement pour préserver notre ressource… Eux, ils débarquent et bousillent tout sous couvert d’écologie, c’est scandaleux », lâche-t-elle. Avant d’ajouter : « On n’est pas anti-écolo, on est pour une transition écologique, mais pas en détruisant les fonds marins. »
On n’est pas anti-écolo, on est pour une transition écologique, mais pas en détruisant les fonds marinsTiphaine Blanchet,
cheffe d’entreprise.
Or, les événements ont confirmé les craintes des opposants. Le 14 juin dernier, à 6 h 30 du matin, l’Aeolus déclarait aux autorités maritimes une fuite d’huile de 100 litres provoquant une nappe de plus de 13 km de long et de 2 km de large.
Face à cette « pollution maritime significative », la préfecture a transmis les éléments observés au procureur de la République de Brest. Le bateau est aussitôt redirigé vers un port hollandais afin de vérifier ses équipements. La suite des travaux est remise à plus tard.
D’autant que pour compenser l’intermittence de la production d’électricité grâce aux éoliennes (elles tournent uniquement quand le vent souffle), une centrale électrique fonctionnant au gaz est en cours de construction à Landivisiau, à une centaine de kilomètres à l’ouest, dans le Finistère. Et contrairement aux éoliennes, celle-ci émet du CO2.
Électricité la plus chère d’Europe
La colère des pêcheurs et des riverains tient aussi au fait que le chantier se situe au cœur d’une zone Natura 2000, qui s’étend à toute la baie de Saint-Brieuc, sur terre comme sur mer. Depuis 1992, ce label écologique européen vise précisément à préserver les espèces et les habitats naturels.
« Pour que le chantier se lance, le gouvernement a autorisé Iberdrola à déroger à 61 mesures de protection du code de l’environnement », liste Katherine Poujol, présidente de l’association environnementale Gardez Les Caps.
Derrière elle, des bulldozers s’activent sur le sable de la magnifique plage de Caroual, à Erquy. Des agents de sécurité veillent sur les engins de chantier et des panneaux « Chantier interdit au public » coupent la plage en deux sur plus de 100 mètres. Ici est prévue la station électrique terrestre de RTE où sera acheminée l’électricité produite par le parc éolien via des câbles sous-marins. Une énergie qui coûte cher.
L’État s’est engagé à un tarif de rachat par EDF de 155 euros/MWh sur 20 ans d’exploitation. « Ce qui en fait l’électricité la plus chère d’Europe », tacle Katherine Poujol. En comparaison, les autres projets de parcs éoliens offshore sur le littoral français oscillent entre 44 et 140 euros/MWh – les pouvoirs publics estiment le prix du marché aux environs de 50 euros le MWh.
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