Jusqu’alors, cette adéquation était assurée par quelques grands producteurs : le nucléaire (70 %), les barrages hydroélectriques (12 %), l’énergie thermique fossile (charbon, gaz, fioul, 8 %)… Les sources variables, c’est 8 % pour l’éolien et 3 % pour le solaire photovoltaïque.
En Chiffres
23 %
Part de la de production renouvelable (barrages, éolien et solaire) dans le mix énergétique français
En 2021, notre réseau électrique sait encaisser les 23 % de production renouvelable (barrages, éolien et solaire). RTE signale que le déclenchement du dispositif « d’interruptibilité » n’est pas lié à l’intermittence des énergies renouvelables.
Changement climatique et objectifs de développement des énergies renouvelables, DREAL Nouvelle-Aquitaine, février 2019
La carte postale énergétique de 2050
Pourtant, des voix s’élèvent pour dénoncer le risque que représente pour les réseaux la hausse de la proportion d’énergies renouvelables prévue pour la fin de la décennie.
Face au réchauffement climatique, la France compte atteindre la neutralité carbone en 2050. Les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon…) doivent quasiment disparaître pour laisser place à une électricité décarbonée. La loi prévoit la fermeture des centrales à charbon en 2022 et l’arrêt de 14 réacteurs nucléaires avant 2035.
En 2050, le paysage électrique pourrait s’apparenter à 20 000 éoliennes réparties sur le territoire, 60 parcs éoliens au large des côtes, des millions de panneaux solaires, sans oublier les derniers réacteurs nucléaires. Cette carte postale énergétique est-elle un futur possible ou un désir utopique ?
"Notre réseau peut accueillir une forte proportion d’énergie renouvelable, sans révolution, jusqu’en 2030."
Jean-Louis Bal,Président du syndicat des énergies renouvelables
Actuellement, huit scénarios sont à l’étude, allant de 50 % à 100 % d’énergies renouvelables et de 0 % à 50 % de nucléaire1. Passer d’une production centralisée et stable à une multitude d’unités décentralisées et variables, cela change la donne. Une récente étude de RTE et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE)2 démontre que l’intégration des renouvelables intermittents est faisable.

Pour Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables : « Cette démonstration est importante, car les différents scénarios de décarbonation de la France prévoient tous une part élevée d’électricité renouvelable. Elle montre que notre réseau peut accueillir une forte proportion d’énergie renouvelable, sans révolution, jusqu’en 2030. Il faut accélérer la transition. »
France Stratégie nuance cette analyse : « Les solutions en termes de flexibilité et d’intégration des EnR au réseau restent insuffisamment développées. »
Le défi et les leviers de la flexibilité
Le pilotage de la production et de la consommation (la flexibilité) devient la clé de voûte du système électrique. Depuis 2016, des systèmes intelligents (smart grids) sont expérimentés, au niveau régional ou local. En Provence, par exemple, So FLEX’hy lisse les intermittences des productions solaires et éoliennes grâce aux retenues hydroélectriques de la Durance, un affluent du Rhône.
Pour développer la flexibilité, il existe trois leviers. D’abord, mieux piloter la production. « On oublie trop souvent qu’il est possible de gérer une énergie renouvelable grâce à la “puissance réactive”, produite en même temps que l’énergie active. C’est un outil simple et efficace qui permet de réguler la tension sur le réseau, aussi bien pour l’hydraulique que l’éolien ou le solaire. Malheureusement, le réactif est peu pris en compte par les décideurs et nécessite des investissements », souligne Xavier Casiot, responsable Système électrique du syndicat France Hydro Électricité. On pourrait également imaginer d’intégrer d’autres renouvelables dites pilotables, comme les centrales à biogaz ou la cogénération d’incinérateurs.
Le deuxième levier, c’est de diminuer la consommation d’électricité. Les gestionnaires de réseau signent déjà des contrats d’effacement (réduire voire arrêter la demande à certains moments) avec des industriels. Pourquoi ne pas étendre ce dispositif à l’internet des objets ?
Enfin, troisième levier : développer le stockage, pilier de la transition. Mis à part les stations de transfert d’énergie par pompage (Step)3, qui pourraient être davantage développées pour équilibrer le réseau de distribution, le coût élevé du stockage sur batterie freine son essor.
Gare au « tout-électrique »
Aujourd’hui, l’électricité ne représente que 25 % de notre consommation énergétique. Les énergies fossiles (pétrole et gaz) sont utilisées principalement dans le secteur du bâtiment, sous forme de chaleur, et dans le secteur des transports, en carburant.
Pour supprimer ces énergies carbonées, l’enjeu est d’électrifier ces usages et d’atteindre 54 % d’électricité verte. L’isolation de trois millions de logements devient essentielle pour réduire les consommations, en particulier la pointe du soir en hiver, et faciliter l’usage des pompes à chaleur pour le chauffage et la climatisation.
Pour autant, attention au « tout-électrique ». Il ne faudrait pas oublier la biomasse, le solaire thermique, la géothermie, la récupération de la chaleur fatale, qui compléteront l’électricité. Le recours au bois devrait aussi doubler d’ici à 2050.
Dans les transports, le véhicule électrique semble s’imposer comme la solution de référence pour les particuliers. RTE estime que son développement ne devrait pas excéder 10 % de la consommation française en 2050, un niveau qui n’impacterait pas la sécurité d’approvisionnement. Il existe également d’autres carburants, comme le biodiesel, le bioGNV issu du biométhane, ou encore l’hydrogène.
Plus le mix énergétique sera diversifié, moins le système électrique sera en surchauffe.
« Un mix électrique composé uniquement d’hydraulique, d’éolien, de photovoltaïque et de stockage paraît utopique, tant son coût serait énorme à un horizon de temps prévisible »,
Étienne Beeker,Conseiller Énergie chez France Stratégie.
L’Hexagone parie également sur la méthanation afin de stocker l’électricité sous forme de gaz (hydrogène et biométhane) après 2035. « C’est la clé de voûte du scénario négaWatt. Mais on est encore très loin de maîtriser la technique à un coût abordable. Et s’il faut transformer à nouveau ce gaz en électricité, avec des pertes de rendement de 40 à 50 % au passage, le coût du kWh devient exorbitant », précise Benoît Thévard, ingénieur des mines.
Aujourd’hui, force est de constater qu’il n’existe pas de modèle économique pérenne pour « calculer » la flexibilité et l’intégrer dans le coût des énergies variables.
Et le maintien du nucléaire ?
La transition énergétique ne se résume pas à un réseau. Elle nécessite également des ressources. Du côté du « renouvelable », le vent, l’eau et le soleil sont des sources « propres », qui n’émettent pas de gaz à effet de serre.
Toutefois, elles ne sont pas totalement décarbonées pour autant. La construction, la maintenance et la fin de vie de ces équipements engendrent des émissions de carbone (12,7 g de CO2/kWh pour l’éolien terrestre), soit un résultat similaire au nucléaire.
En Chiffres
12 g de CO2/kWh
Émissions du nucléaire contre 12,7 pour l'éolien terrestre.
Pour l’énergie atomique, les experts divergent légèrement. Le GIEC estime les émissions à 12 g de CO2/kWh (en médiane mondiale). Une étude du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) consacrée à la France5 conclut que, pour un cycle de vie complet, de la construction de la centrale à son démantèlement, les émissions représentent 5,3 g de CO2/kWh.
Et puis la construction des équipements nécessite des matériaux, du pétrole, de l’espace, de l’eau… Un hectare de foncier pour 1 MW de photovoltaïque au sol, 100 t d’acier pour un 1 MW éolien, ou encore 400 000 m3 de béton pour l’EPR de Flamanville6.
Le vrai coût d’une énergie
Le coût actualisé mesure son coût complet (investissement, maintenance, fin de vie) sur l’énergie totale produite durant la vie de l’équipement. Sur la période 2008-2019, les coûts actualisés des renouvelables électriques ont beaucoup chuté.
L’éolien terrestre a baissé de 42 %, passant en moyenne de 104 €/MW à 60 €/MW. Ces énergies deviennent compétitives face au gaz. Néanmoins, le coût complet des renouvelables n’intègre pas encore ceux de la flexibilité et du stockage, difficiles à évaluer.
En supposant que les autres pays suivent le même chemin que la France, disposerons-nous de suffisamment de matières premières pour construire les équipements de production et de stockage ? Les besoins réels sur le long terme ne sont pas encore bien mesurés. « Nous cherchons à mesurer l’impact complet des renouvelables sur les ressources, la biodiversité, les paysages, le prix du foncier, pour évaluer l’acceptabilité par la société », indique Stéfan Louillat, du service Réseau et énergie renouvelable de l’Ademe.
Quelques chiffres sont déjà connus. Pour atteindre l’objectif fixé en 2028, il faudrait 25 000 hectares de photovoltaïque supplémentaires. Un chiffre qui semble élevé, mais qui, sur huit ans, ne représente que 5 % des 55 000 hectares de sols artificialisés chaque année dans l’Hexagone.
Des ressources suffisantes ?
Pour les métaux, les éoliennes en mer contiennent du néodyme et du dysprosium au sein des aimants permanents de leurs moteurs. Selon l’Ademe, ces « terres rares » ne sont pas si rares. La demande totale pour le marché français de l’éolien en mer, d’ici 2030, représentera moins de 1 % de la demande annuelle mondiale en néodyme et moins de 4 % pour le dysprosium.
Plutôt rassurant, mais l’Ademe prévient : « La disponibilité de métaux critiques ou stratégiques, tel que le cobalt dans les batteries Lithium-ion, apparaît nettement plus problématique que celle des terres rares pour le stockage. » Sans oublier que plus la concentration d’un minerai diminue, plus on doit mobiliser de l’énergie pour l’extraire…
Le maintien du nucléaire pose également des questions : dangerosité, traitement des déchets, manque d’eau pour refroidir les réacteurs, etc. Où placer le curseur ?

Dans tous les cas, la réduction de la consommation s’impose. Les progrès techniques d’efficacité énergétique et la rénovation des logements vont diminuer les besoins. En théorie du moins. Car avec le développement des nouveaux usages électriques, RTE prévoit une légère hausse des consommations7. Comme l’ont démontré les travaux du Shift Project, la consommation d’énergie est un des moteurs de la croissance. Reste à savoir si le bien-être est proportionnel à la consommation d’énergie.
Energies renouvelables : nos sources
1. Bilan « Futurs énergétiques 2050 », RTE, janvier 2021
2. Étude sur les conditions techniques nécessaires pour un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050, janvier 2021
3. L’eau, stockée dans un bassin supérieur, est turbinée en fonction des besoins en électricité. Déjà installées en France (4,8 GW).
4. Développement prévu dans la programmation pluriannuelle de l’énergie de 1,5 GW.
5. Article “Assessment of the environmental footprint of nuclear energy systems”, 2014
6. L'EPR de Flamanville, Bouygues Construction
7. De l’ordre de 630 TWh en 2050 contre env. 470 TWh aujourd’hui.