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Fermeture des centrales à charbon, que faire des salariés ?

Série - Comment fait-on pour sortir véritablement du charbon ? Que fait-on des centrales et des salariés qui y travaillent ? Reportage à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, où écologie et emplois n’ont jamais semblé aussi inconciliables. ["Accros au charbon", épisode 2/4]

Marius Rivière, Illustration d'Émilie Seto
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© Emile Seto

Ils osent dire qu’ils ferment ce site sous prétexte d’environnement. Comment osent-ils ? Qui sont les premières victimes de la pollution si ce n’est les travailleurs ?”.

Sous un soleil printanier, les quelques centaines de salariés de la centrale thermique de Gardanne, située entre Aix-en-Provence et Marseille, applaudissent à tout rompre les paroles d’Olivier Mateu, secrétaire général de l’union départementale de la CGT des Bouches-du-Rhône.

Le syndicaliste est venu annoncer l’installation des bureaux de la CGT13 à la centrale, afin de soutenir le combat des salariés.

Échauffé par ses propres envolées, le même rugit : “on ne lâchera pas et ça va être le Vietnam pour ceux d’en face ! Camarades, on va les ruiner !”, aussitôt ponctué par les hourras des salariés.

Voilà deux ans et demi qu’ils n’ont pas bossé, c’est peu dire que l’envie d’en découdre les tient au corps. Pour ces ouvriers de l’une des quatre dernières centrales à charbon de France métropolitaine, la dernière journée de travail remonte au mois de décembre 2018.  

Bye bye grisou

C’est à cette date qu’Emmanuel Macron annonce la fermeture définitive des dernières centrales à charbon en France d’ici au 1er janvier 2022. Elles sont réparties dans tout le pays : à Cordemais près de Nantes, au Havre en Normandie, à Saint-Avold en Moselle et à Gardanne, donc. 

On l’a vu dans l’épisode précédent, avec 1% du mix énergétique, la part d'électricité produite grâce au charbon en France est minime. Sauf que les émissions de CO2 de ces quatre dernières centrales sont, elles, loin d’être anecdotiques : un tiers des émissions de la production électrique, l’équivalent de 4 millions de voitures selon le ministère de l’environnement. 

Jean-Luc Debard, membre du Groupe Convergence Écologique en pays de Gardanne est bien placé pour le savoir. Il vit en face de la centrale depuis toujours.

Pour lui, il n’y a pas quinze solutions : il faut en finir avec cette centrale. “Voilà deux hivers que les machines ne tournent plus et on n’a pas manqué d’électricité pour autant : on n’a pas besoin de cette centrale”.

Les salariés du site ne voient pas les choses du même œil. Sitôt l’annonce de Macron diffusée sur BFM TV fin 2018, ils se mettent en grève, tous. Plus question de produire un watt d’électricité.

Élus locaux de gauche comme de droite apportent leur soutien aux salariés en grève dans une rare unanimité. Tous s’accordent à dire que la transition est trop brutale, annoncée sans réelle concertation. La grève dure un an, jusqu’au mois de novembre 2019.

Et depuis... Rien. Les machines ne redémarreront pas.

Pas de travail depuis deux ans

On attend toute la journée, on est toujours salariés, on reçoit toujours notre paye mais le patron ne nous donne plus de travail”, détaille Nadir Hadjali, secrétaire adjoint CGT à la centrale de Gardanne.

C’est aussi une façon de faire entrer le fatalisme dans les esprits : on vous fait tourner en bourrique jusqu’à ce que vous n’ayez plus envie de vous battre”, complète-t-il.

Les salariés assurent que c’est la direction qui n’a pas souhaité relancer la centrale depuis la fin de la grève fin 2019.

Vu la tendance à l’augmentation du prix de la tonne de CO2 en Europe, exploiter du charbon ne devient de toute façon plus rentable”, précise Jean-Michel Mazalerat, président de GazelEnergie, l’entité française du groupe Tchèque EPH, détenteur de la centrale.

Et d’assurer : “mais c’est l’État qui l’a décidé. Ces décisions politiques nous crèvent le coeur même si on comprend la logique”. 

Quoi qu’il en soit, l’employeur décide de ne pas attendre 2022 et de hâter la fermeture. Après de nombreux reports, le Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) vient d’être définitivement validé : la tranche charbon fermera ses portes au printemps 2021.

Je ne souhaite à personne de perdre son emploi, l’État doit assurer aux salariés des portes de sortie, mais on doit en finir avec ces industries polluantes.
Jean-Luc Debard,

Membre du Groupe Convergence Écologique en pays de Gardanne

Et les 98 salariés qui y travaillent iront pointer à Pôle Emploi. “On s’attend à recevoir les premières lettres de licenciements au mois de mai”, soupire Nadir Hadjali.

Souvenir d’une industrie glorieuse

L’impact de la fermeture risque bien de se faire ressentir au-delà de la centrale, la Région Sud estime que 700 emplois sont menacés dans la région, principalement sur le port industriel de Marseille-Fos.

Seuls 79 salariés seront maintenus sur le site de Gardanne, sur l’autre tranche de la centrale fonctionnant, elle, grâce à la biomasse (en fait du bois ou des chutes de bois pour la plupart, que l’on brûle à la place du minerai, on y reviendra) désormais présentée comme l’avenir du site.

Elle aussi est à l’arrêt. “Cette centrale biomasse est prise en otage par la CGT qui considère, à tort, que moins ça ira, plus ça ira”, assène Jean-Michel Mazalerat.

On a bien compris que l’Etat avait envie de tourner la page du charbon ici. Mais si c’est pour importer de l’électricité produite avec du charbon à l’étranger, à quoi bon.
Nadir Hadjali,

Secrétaire adjoint CGT à la centrale de Gardanne

De son côté, le syndicat assume cette stratégie de blocage. “Pourquoi ceux qui bossent sur cette tranche auraient le droit de continuer à bosser pendant que les collègues de la tranche charbon sont renvoyés à la maison ?”, interroge Nadir Hadjali.

Pour les salariés, l’argument écologique du gouvernement ne tient pas. Ils en veulent pour preuve l’exemple allemand. Malgré une sortie du charbon prévue d’ici 2038, une centrale est sortie de terre l’an dernier au nord de Dortmund. Et qui gère cette centrale ? Uniper, l’ancien propriétaire de la centrale de Gardanne jusqu’à l’été 2019, date à laquelle EPH rachète le site.

On a bien compris que l’Etat avait envie de tourner la page du charbon ici. Mais si c’est pour fermer et importer de l’électricité produite avec du charbon à l’étranger, à quoi bon ?”, peste Nadir Hadjali.  

Comme ses collègues, il redoute la fermeture. À raison. Petit fils et neveu de mineurs, il connaît les conséquences, bien réelles, imposées par le chômage forcé. À Gardanne, le souvenir de la fermeture des mines en 2003 et son cortège de mineurs renvoyés chez eux à 40 ans est dans toutes les têtes. 

D’autant que l’autre employeur historique du coin, l’usine d’alumine d’Altéo, tristement célèbre pour ses rejets de boues rouges chargées (entre autres) d’arsenic dans les eaux des calanques du littoral pendant des dizaines d’années, n’est pas en très bonne santé.

Le site vient d’être racheté après une liquidation judiciaire et un peu moins de 100 emplois doivent être supprimés. “Je ne souhaite à personne de perdre son emploi, l’État doit leur assurer des portes de sortie, mais on doit en finir avec ces industries polluantes”, explique Jean-Luc Debard. 

Difficile transition

Entre écologistes et syndicalistes, c’est le dialogue de sourds. Hervé Granier, élu maire de la ville en juin dernier, tente tant bien que mal de faire coexister les deux sur la commune.

Gardanne est une ville ouvrière, c’est un fait. Il faut certes en finir avec le charbon mais il faut assurer un avenir aux salariés dans des industries propres”, se convainc-t-il avant de concéder : “mais c’est vrai que nous, petits maires, on est impuissants face à ces mastodontes industriels”. La position d’équilibriste a ses limites..

Face à l’impasse, le conflit se profile. Forcément, le climat se tend peu à peu. Fin février, le local CGT, situé à l’entrée du site, a pris feu, en pleine nuit.

On voit bien que l’on veut nous intimider”, sourit presque Nadir avant d’en conclure : “on le sait : ça va être la guerre. Ils ne veulent pas faire de projets avec nous ? On leur dit “vous dégagez !”, le site est à nous”. 

Épisode 3 - La dernière marche des empereurs du charbon

Retrouvez notre prochain épisode dès le mardi 4 mai.

On s’intéresse aux empereurs du charbon : ceux qui continuent de l’exploiter sans honte. En Europe, deux groupes se partagent les dernières centrales en activité : RWE et EPH. Enquête sur ces deux géants qui comptent bien exploiter le minerai noir jusqu’au bout du bout.

Relire notre épisode précédent

Épisode 1 : Climat, une dépendance coupable au charbon