Pourquoi elle ?
Assia Elgouacem est économiste à l’OCDE et spécialiste des politiques énergétiques et environnementales. Avec Laurence Boone, chef économiste de l’OCDE, elle a co-signé un billet sur une question brûlante : À la croisée des chemins d’une transition bas carbone : que pouvons-nous apprendre de la crise énergétique actuelle ?. On y retrouve notamment un tableau sur les différentes politiques économiques des autres pays européens, offrant de riches perspectives d’analyse.

Pour l'Éco. Pour lutter contre la hausse des prix, en particulier de l’énergie, la France a fait le choix d’une « indemnité inflation » de 100 euros pour 38 millions de Français. D’autres pays ont-ils choisi une stratégie similaire ?
Assia Elgouacem. La France n’est pas le seul pays à avoir fait ce choix. La Belgique, par exemple, a mis en place un transfert similaire, en renforçant une politique d'aide énergétique déjà existante vers les familles, à hauteur de 80 euros.
Il faut savoir que plusieurs pays de l’OCDE déploient actuellement un ensemble de mesures pour faire face à la crise actuelle des prix de l’énergie. Il est impossible de parler de politique énergétique sans évoquer l’aspect social. Et dans ce type de crise, qui affecte en particulier les ménages les plus modestes, il est important de répondre politiquement.
Après, chaque pays s'adapte selon sa situation, son gouvernement et son propre calcul coût bénéfice. Des pays comme l’Espagne ou la République tchèque ont réduit des impôts sur l’électricité ou l’énergie. D’autres jouent sur le prix comme la Hongrie, en le régulant à un prix inférieur à celui du marché.
Baisser les taxes ou redistribuer vers les moins aisés, quelle est la meilleure politique ?
A.E. La baisse des taxes a plusieurs avantages. Plusieurs travaux économiques ont montré que les impôts sur l’énergie et l’électricité étaient régressifs, c’est-à-dire qu’ils touchent plus les ménages les moins riches, en proportion de leurs revenus. Donc une baisse de taxe sur l’électricité va un peu plus bénéficier aux ménages les moins aisés qu’aux autres.
Elles sont aussi administrativement simples à mettre en place et, donc extrêmement rapides à mettre en œuvre.
En revanche, elles ont plusieurs défauts. Politiquement, il est par la suite difficile de mettre fin à ces baisses supposées temporaires. Tout le monde aime les baisses de taxes et les gens oublient vite la raison pour lesquelles elles ont été mises en œuvre.
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Les gouvernements doivent absolument communiquer sur la nature transitoire de cette baisse.
À l’inverse, pour les politiques de transfert, il existe forcément un délai entre l’annonce de la décision, et l’arrivée effective sur le compte des ménages. Le cas français le montre bien. Le chèque indemnité ne va pas arriver tout de suite, mais seulement à partir du mois de décembre, près de deux mois après l’annonce du Premier ministre Jean Castex.
Mais ces politiques ont aussi leurs avantages. Elles permettent de cibler les plus modestes, ceux qui en ont réellement besoin.
Enfin, les mesures de subvention ou de baisse de taxes sur l’achat de produits carbonés (carburants, chauffage au gaz...) ne sont évidemment pas compatibles avec nos ambitions climatiques à plus long terme. C’est pourquoi il est important que les pays prennent des mesures temporaires, et les plus ciblées possibles.
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La transition écologique va-t-elle renforcer le risque de crise énergétique ?
A.E. C’est un risque évidemment. La pénétration plus importante des énergies renouvelables sur le marché de l’électricité va créer plus de disruptions et de volatilité pendant la transition écologique, dans nos économies encore fortement dépendantes des énergies fossiles.
Il y aura des risques tensions entre l’offre et la demande d'énergie et d'électricité, en particulier en cas de conditions climatiques moins favorables, comme lors des saisons avec peu de vents ou d’ensoleillement. En plus, la conception actuelle de nos marchés de l'énergie (market design) n'est pas adaptée à un rôle accru des énergies renouvelables.
Nous voyons déjà avec la crise actuelle que la sécurité énergétique européenne n’est pas assurée complètement. Nous devons bien identifier et comprendre ce risque pour y faire face dans le futur.