Pourquoi lui ?
Asger Mose Wingender est un économiste danois, professeur associé au département d’économie de l’université de Copenhague, spécialiste de la croissance économique et du développement. Son article de recherche, coécrit avec Casper Worm Hansen, s’intitule "National and Global Impacts of Genetically Modified Crops" (Impacts nationaux et mondiaux des cultures génétiquement modifiées) et a été publié dans l’American Economic Review Insights en juin 2023.
Pour l’Éco : Pourquoi avez-vous choisi d’examiner les cultures génétiquement modifiées ?
Asger Mose Wingender : Cette étude est le prolongement logique de mes travaux antérieurs. Comprendre pourquoi certains pays sont prospères tandis que d’autres sont en difficulté m’a toujours fasciné. Dans les pays moins développés, on remarque la place considérable de l’agriculture par rapport à la taille globale de l’économie. Parce que les fermes sont moins efficaces, le secteur agricole, qui nourrit la population, est très gourmand en emplois.
Cela limite le nombre de personnes qui peuvent se diriger vers l’industrie ou les services, ce qui freine leur développement. Pour comprendre comment un pays « en développement » peut devenir un pays « développé », il est essentiel de se pencher sur l’efficacité de l’agriculture. C’est là que tout commence.
À partir de ce constat, la grande question est : comment peut-on augmenter la productivité agricole ? La réponse réside principalement dans la technologie. Si vous regardez l’histoire du siècle précédent, elle comporte deux innovations majeures.
La première est la mécanisation, avec l’arrivée des tracteurs. La seconde, peut-être encore plus significative, concerne l’innovation biologique, avec de nouvelles et meilleures variétés de cultures. Elle est intervenue dans les années 1960 avec la Révolution verte (NDLR : politique de transformation des agricultures des pays en développement fondée sur l'intensification et l'utilisation de variétés de céréales à hauts potentiels de rendements), qui s’est accompagnée de fortes hausses de la production dans des endroits comme l’Inde et le Mexique, et donc une amélioration considérable du niveau de vie des agriculteurs de ces pays.
Mais pour continuer à améliorer la productivité agricole, l’innovation doit être continue. Cela nous amène aux cultures génétiquement modifiées (OGM) apparues dans les années 1990. Nous voulions savoir si elles avaient un impact potentiel à la hauteur de celui de la Révolution verte.
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Quelles étaient vos attentes ? Qu’avez-vous découvert ? Des résultats vous ont-ils surpris ?
Comme l’approche OGM représente simplement une autre manière de créer de nouvelles variétés de cultures, nous nous attendions donc à des effets similaires à ceux de la Révolution verte, avec une hausse importante de la productivité agricole. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. À eux seuls, les OGM n’augmentent pas les rendements : dans des conditions météorologiques parfaites, les rendements sont équivalents à ceux des cultures conventionnelles.
En revanche, ils réduisent considérablement les risques de destruction des cultures. Si les OGM étaient plus largement utilisés, cela profiterait avant tout aux agriculteurs des pays les plus pauvres. Ce sont eux qui sont les plus vulnérables à ces risques : ils ont un moindre accès aux pesticides et subissent plus souvent un climat chaud, qui favorise les infestations d’insectes et les dégâts dus aux mauvaises herbes.
Quelle méthode avez-vous utilisé pour déterminer l’impact des cultures OGM ?
Nous avons utilisé une méthode statistique dite de « triple différence ». En tant qu’économistes empiriques, nous essayons de simuler une expérience naturelle, où vous auriez un groupe témoin et un groupe expérimental, comme dans les sciences exactes. Évidemment, c’est plus difficile à réaliser en économie.
Paradoxalement, la controverse autour des OGM nous a aidés : comme certains pays les autorisent et d’autres pas, cela nous a fourni deux groupes à comparer. Mais ce n’est pas tout. Dans les pays qui autorisent les OGM, on trouve à la fois des cultures OGM et des cultures non-OGM. Cela nous donne un autre ensemble de données à comparer.
Enfin, nous pouvons comparer les données avant et après l’introduction des OGM. Cela nous donne une troisième dimension. En les combinant, nous pouvons éliminer beaucoup de « bruit » statistique et nous assurer que ce que nous observons est réellement dû aux OGM, et pas à d’autres facteurs comme les politiques agricoles ou le développement général d’un pays.
Face à un sujet de recherche aussi controversé, doit-on travailler autrement ?
Sur la méthode scientifique et l’analyse des données, non : c'est la même rigueur que sur tous les travaux scientifiques. Mais cela modifie la communication. Lorsque vous essayez d’informer le grand public de vos résultats, vous devez redoubler de précaution et peser vos mots avec soin, sous peine de vous retrouver au cœur de polémiques qui vous dépassent.
Le risque, c’est de voir le débat se déplacer vers autre chose que les résultats scientifiques. Ma crainte est fondée. C’est ce qui s’est passé ces 30 dernières années sur ce sujet.
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Sur la base de vos résultats de recherche, quelle action recommandez-vous aux décideurs politiques ?
Selon les experts en agronomie, les OGM ne présentent pas de risque pour la santé. La plupart des préoccupations environnementales soulevées à l’encontre des OGM ne sont pas non plus étayées par des preuves scientifiques.
Parallèlement à cela, nos travaux montrent que les OGM sont un moyen très rentable d’augmenter la production alimentaire mondiale. Cela permettrait de réduire la quantité de terres nécessaires pour produire la même quantité de nourriture. Utiliser davantage de cultures OGM pourrait par exemple réduire le risque de déforestation en Amazonie.
Les responsables politiques devraient donc avoir le courage de lever les différentes réglementations et interdictions concernant la recherche sur les OGM. Cela aurait pour autre effet positif de stimuler l’innovation dans ce domaine. Cela libérerait leur véritable potentiel.
Le marché des semences OGM serait plus ouvert, au lieu d’être dominé par de grandes entreprises. Les universités et les petites entreprises pourraient également contribuer avec des innovations utiles, comme développer des cultures résistantes à la sécheresse pour aider à lutter contre les effets du changement climatique dans les pays les plus à risque.
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