Feux, sécheresses, inondations, montée des eaux, disparition de la biodiversité, fonte des glaciers… Partout dans le monde, le changement climatique s’accélère et les conséquences se font de plus en plus terribles. En cause : les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les activités humaines. Voilà les conclusions du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), synthèse de toutes les études réalisées entre 2015 et 2021, publié le 20 mars.
Lire aussi > C'est quoi le GIEC ?
Pour le panel de scientifiques, quels que soient les scénarios d'émission, le réchauffement de la planète atteindra 1,5 °C dès le début des années 2030. La France aurait même déjà dépassé ce seuil d’après des travaux menés l’automne dernier par Météo France et le CNRS, qui estiment à + 1,8 °C l’augmentation des températures par rapport au début du XXe siècle dans l’Hexagone. Et d’ici 2100, cette augmentation pourrait passer à + 3,8 °C, prédisent-ils.
« Cette synthèse n’apporte pas grand-chose de nouveau par rapport aux précédentes publications. Il résume simplement le fait que le changement climatique est réel, qu'il est causé à 100 % par l’Homme et que les impacts se font de plus en plus sentir, explique Kari De Pryck, chercheuse en sciences sociales à l'Université de Genève et autrice de 'GIEC. La voix du climat'. Il dit aussi que des solutions existent et que c’est possible de limiter le réchauffement si des actions sont mises en place. »
Le hic : malgré les dizaines de publications alarmantes sur le changement climatique, l’État français est toujours à la traîne en matière de transition. Si les émissions de CO² ont partiellement baissé (23 %) entre 2017 et 2022, cela reste largement insuffisant pour atteindre les objectifs de neutralité carbone d’ici 2050. Le Haut conseil pour le climat estime qu’il faudrait réduire les émissions de 4,7 % chaque année. Or, l’an dernier, les émissions ont quasiment stagné (-0,3 %) comparé à 2021. Pour son inaction climatique, l’actuel gouvernement a été condamné par deux fois.
Lire aussi > Face aux alarmes du GIEC, la décroissance, solution ou illusion ?
Au sein de la classe politique, « il y a un monde entre prendre au sérieux le changement climatique et mettre en œuvre des actions sur le terrain », estime Kari de Pryck. Comment expliquer ce décalage ?
Pour Aurélien Boutaud, docteur en sciences de la Terre et de l’environnement, c’est d’abord lié à notre économie. « Dans les années 80, quand on a découvert le problème de la couche d’ozone, la communauté politique a vite réagi au niveau international et planifié la fin de la production de gaz chloré. Ils ont aussi très vite trouvé des solutions technologiques alternatives, poursuit le chercheur associé à l’unité de recherche « Environnement, ville et société » du CNRS. Le gaz chloré ne représentait qu’une toute petite partie de l’économie mondiale. Le changement climatique, lui, correspond à des intérêts économiques gigantesques, car nos sociétés sont fondées sur la puissance des énergies fossiles. Du coup, ça rend tout plus compliqué. »
D’après le spécialiste, si une majorité des décideurs politiques sont conscients des enjeux, peu d’entre eux réalisent vraiment la hauteur de la marche à gravir. « Il faut engager des changements beaucoup plus profonds », soulève Aurélien Boutaud.
Les politiques climatiques sont rarement populaires...
Seulement, les rares élus qui s’y tentent se retrouvent souvent face à de vives oppositions. Repas végétariens à la cantine, zones à faibles émissions ou encore installation d’éoliennes… de nombreux maires se sont attirés les foudres de leurs administrés après avoir engagé ce genre de projets.
Lire aussi > ZFE, la politique climatique qui a du mal à se faire respecter
De fait, « les actions nécessaires ne font pas plaisir. La lutte contre le changement climatique affronte la liberté individuelle de continuer à faire ce qu’on veut. Ça touche à la sphère privée et donc ça fait peur aux décideurs parce que, même s’il existe un consensus sur la réalité du danger climatique, la population n’est pas du tout d’accord sur les solutions », analyse Kari de Pryck.
Lire aussi > Pour sauver la planète, faut-il davantage taxer la viande ? / Faut-il abandonner le rêve de la maison individuelle ?
Acceptabilité sociale
Assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo. Cette acceptabilité sociale se situe en dehors du cadre gouvernemental et législatif et est parfois présentée comme symptomatique des insuffisances de la démocratie représentative. Elle est très souvent mise en avant à l’échelle locale ou régionale et peut concerner tous les types de projets, qu’il s’agisse de développement résidentiel ou industriel, de projet de parc éolien…
Pour autant, tout n’est pas à jeter. Pour les deux chercheurs, la France va plutôt dans la bonne direction et, en termes de neutralité carbone, elle s’est fixé les « bons objectifs ». Mi-février, la communauté scientifique a d’ailleurs unanimement salué le fait que le gouvernement planche sur un scénario d’adaptation d’un réchauffement à + 4 degrés.
Oui mais l'heure n’est plus à la « logique gradualiste, critique Aurélien Boutaud. On commence à se dire ce qu’il aurait fallu se dire il y a vingt ou trente ans. Aujourd’hui, le terme clé, c’est "urgence", pas "transition". Les scientifiques nous disent qu’il faut aller très vite et ça, c’est un message que les politiques évitent de transmettre. Une politique d’urgence climatique supposerait « de porter un message du type Churchill pendant la Seconde Guerre Mondiale ».
Une des raisons du retard, c'est le Giec lui-même. Née en 1988 notamment sous l’impulsion des Etats-Unis et du Royaume-Uni, alors respectivement dirigé par les néolibéraux Ronald Reagan et Margaret Thatcher, l’instance intergouvernementale vise d'abord à établir la réalité d’un changement climatique anthropique.
Le consensus n'est pas une baguette magique
« À l’époque, on pensait que si on se mettait d’accord sur les faits, l’action suivrait un peu comme par magie », relate Kari de Pryck. Une fois le consensus établi au début des années 2000, l’attention s’est portée sur les impacts du réchauffement. Et c’est seulement depuis quelques années, que le viseur s’est concentré sur les solutions. Pour l’universitaire, « on a perdu une décennie. Les scientifiques, les journalistes, les décideurs et le public intéressé aurait pu se poser la question de la dimension politique du changement climatique bien plus tôt ».
Lire aussi > L’(in)action climatique : voyage au cœur du paradoxe citoyen
Et puis comme l’instance intergouvernementale recherche à tout prix le consensus – 195 Etats doivent donner leur accord avant la parution du résumé des rapports du Giec –, ses messages sont souvent jugés trop lisses par les ONG. Par exemple, le GIEC n’utilise pas le terme « urgence », souligne Aurélien Boutaud. Qui abonde : « Il manque aussi des évaluations plus précises, des images plus concrètes, de ce que signifie un monde à + 2, + 3 ou + 4 degrés. Combien de déplacés climatiques ? Combien de morts ? Le Giec devrait le dire ».
Bridés par les limites politiques, certains scientifiques sont sortis de leur laboratoire, à l’instar de Valérie Masson-Delmotte ou Christophe Cassou, pour sensibiliser sur le sujet. Depuis les plateaux-télés ou les réseaux sociaux, ils martèlent la nécessité d’agir et n’hésitent pas à répondre directement aux décideurs qui mal-interprèteraient les résultats du Giec.
Lire aussi > Les médias français se moquent-ils du climat ?
Mise à l'agenda politique
Concept développé par les chercheurs américains Maxwell McCombs et Donald Shaw dans les années 1970, également connue sous le nom de "l'agenda-setting". Processus par lequel les problèmes publics deviennent des sujets de préoccupation pour les décideurs politiques et les médias, conduisant à l'adoption de politiques publiques pour les résoudre. Différents acteurs (ONG, entreprises, pouvoirs publics…) entrent alors en conflit ou coopèrent pour faire reculer ou avancer la cause.
Un combat de longue haleine car dans la sphère médiatique, la question climatique ne vaut pas mieux que l’arrivée de Lionel Messi au PSG ou que le pouvoir d’achat et la sécurité lors des élections présidentielles. Ce alors même que les sociétés occidentales portent la double responsabilité de s’adapter aux bouleversements en cours, mais aussi d’aider financièrement les pays du Sud, très peu émetteurs de CO² et premières victimes du changement climatique.
Lire aussi > Faut-il donner 100 milliards par an d’aide climatique aux pays pauvres ?
Dans le programme de SES
Terminale. « Quelle action publique pour l'environnement ? »
Première. « Comment se forme et s'exprime l'opinion publique ? »