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Avant même l’actuelle flambée, cette faible élasticité a été observée entre 2016 et 2019, période pendant laquelle le prix du gazole, qui représente les trois quarts du volume des carburants consommés en France, a augmenté de moitié, passant d’environ 1 euro à 1,50 euro le litre. Or, entre ces dates, la demande est restée stable.
Interrogé au sujet de cet apparent paradoxe dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, l’ancien président de l’Union française des industries pétrolières, Francis Duseux, expliquait placidement que « même quand le prix du pétrole est tombé à 30 dollars le baril, la consommation de carburant n’a quasiment pas changé ». Les baisses comme les augmentations de prix n’incitent donc pas les Français à conduire beaucoup plus ou beaucoup moins.
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Si le prix des carburants doublait, la consommation ne diminuerait que de 25 à 35 %
De nombreuses études économétriques se sont attachées à mesurer cette faible élasticité. La première leçon à en tirer est que, sous l’effet conjugué de l’accumulation des hausses de prix des énergies fossiles, de la mise en œuvre de la fiscalité écologique et du renforcement de l’offre d’alternatives à la voiture, cette sensibilité au prix s’est renforcée au cours du temps.
Dans un article récent, Frank Goetzke et Colin Vance estiment par exemple que l’élasticité-prix à court terme de la demande d’essence aux États-Unis est passée d’environ -0,05 en 2009 à -0,29 en 2017.
La seconde leçon à retenir est que, comme l’écrivent ces deux auteurs, « ceux qui conduisent le plus sont les moins sensibles à l’évolution des prix des carburants ». Ou, devrait-on écrire, plus on est dépendant de la voiture, moins on ajuste sa consommation de carburants en fonction des variations du prix.
En France, la dernière estimation de l’élasticité-prix de la demande de carburants la situe entre -0,25 et -0,35, mesure effectuée pour l’année 2006 par Lucie Calvet et François Marical. Si cette valeur était toujours d’actualité, cela signifierait qu’un doublement du prix des carburants, soit une augmentation de 100 %, n’engendrerait à court terme qu’une baisse de 25 à 35 % de la quantité consommée.
La hausse actuelle ne semble donc pas de nature à engendrer un basculement brutal du thermique vers l’électrique, ni un brusque report modal qui verrait les Français massivement abandonner la voiture au profit d’autres modes de transport.
Report modal
Transfert d’une partie du flux associé à un mode de transport spécifique vers une autre catégorie de transport, par exemple d’un certain nombre d’automobilistes vers le train.
Un ajustement à long terme est possible (si le signal-prix n’est pas brouillé)
Mais les perspectives de long terme sont très différentes. Dans leur article, Lucie Calvet et François Marical montrent que les élasticités de long terme sont comprises entre -0,6 et -0,7. Selon ces auteurs, toutes les catégories de ménages, y compris les plus pauvres et les plus ruraux, seront en mesure d’adapter leur consommation de carburants.
À court terme, cette adaptation prendra (et prend déjà parfois) la forme d’une réduction du nombre de kilomètres parcourus qui affecte négativement le bien-être de ces catégories de la population. À plus long terme, elle pourrait consister en un changement de lieux et de modes de vie.
Entendons-nous bien. Il est peu probable que nous assistions en France à un exode rural pour cause de flambée des prix de l’énergie. En revanche, les nouvelles générations auront certainement davantage tendance que les précédentes à vivre dans les espaces urbains, plus denses en emplois et en services.
L’augmentation du prix des carburants pourrait donc finir par générer ce signal-prix tant attendu, celui capable d’enclencher une rupture majeure dans nos modes de vie nous permettant d’atteindre nos engagements climatiques. Encore faut-il que ce signal-prix ne soit pas brouillé par ceux provenant d’autres marchés, comme celui du travail ou de l’immobilier.
Signal-prix
Le prix d’un bien ou d’un service peut aussi être influencé, soutenu ou diminué, par la volonté d’une autorité, du législateur (taxes, primes…) ou de vendeurs (entente sur les prix, dumping…), qui envoient des signaux. La tarification du carbone (éco-taxes…) répond à cette idée, pour donner une orientation plus durable au comportement et aux achats des consommateurs.
À 3 euros le litre de carburant, il sera sans aucun doute moins pertinent qu’aujourd’hui d’habiter à 50 kilomètres de son lieu de travail et de prendre la voiture chaque jour pour le rejoindre.
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Mais si, dans le même temps, les prix du mètre carré dans les centres urbains continuent d’augmenter, les emplois persistent à être localisés dans les métropoles et les pouvoirs publics peinent à développer des modes de transport alternatifs, de nombreux ménages n’auront pas d’autre choix que de conserver leur voiture et d’acquitter une facture énergétique de plus en plus lourde.
Les questions au programme de SES au lycée dont des notions ou des mécanismes sont abordés dans cet article :
Seconde : « Comment se forment les prix sur un marché ? »
Première : « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? »
Les travaux académiques mobilisés ou assimilés par ordre de citation :