En 1798, Robert Thomas Malthus, pasteur britannique et économiste, publie son Essai sur le principe de population, dans lequel il abandonne tout espoir dans le progrès. Il y expose « une divergence intrinsèque entre l’accroissement de la population et celui des subsistances ».
Son « principe de population » stipule que celle-ci tend à croître de façon exponentielle (un-deux-quatre-huit-seize…) alors que les subsistances s’accroissent de manière arithmétique (un-deux-trois-quatre-cinq…). La Terre ne peut se multiplier, écrit-il, au rythme de la population, qui exerce alors une pression destructrice. La surpopulation, tendance permanente, ne peut conduire l’humanité qu’à la famine, puis à l’effondrement.
S’instruire plus pour procréer moins
Son essai porte aussi sur l’amélioration future de la société. Il propose d’agir sur les comportements humains puisqu’une population croissance, cela signifie plus d’individus à nourrir, plus de terres à cultiver, plus de ressources naturelles physiques et vivantes à exploiter.
Malthus préconise donc chasteté et mariage tardif. Il s’oppose à toute aide sociale afin de limiter les naissances et recommande l’instruction, un bon moyen, selon lui, de modifier les comportements démographiques en développant le sentiment de responsabilité individuelle et le désir d’améliorer ses conditions de vie.
Il propose aussi d’optimiser la production afin de contrer les rendements agricoles décroissants qui limitent les ressources de la Terre. Bien sûr, reconnaît-il, la manière de surmonter le problème démographique dépend du stade de développement d’un pays, mais in fine, c’est toujours le manque de terres qui limite l’accroissement de la population.
Cette vision pessimiste d’un monde aux ressources limitées et menacé par une population croissante, sera, en 1972, celle du rapport Meadows sur les limites à la croissance, la bible des collapsologues.
Les émeutes de 2008
La population est passée de 2,5 milliards en 1950 à 7,7 aujourd’hui. Malthus ne pouvait bien sûr pas imaginer l’extraordinaire amélioration des rendements agricoles, l’industrialisation de l’agriculture, les engrais synthétiques, les variétés hybrides et résistantes.
L’agriculture est devenue intensive et productiviste, particulièrement chez les plus gros exportateurs (UE, USA, Russie, Canada, Brésil…). Pourtant, la famine tue encore.
En 2008, des pays pauvres en Afrique et en Amérique latine ont connu des émeutes de la faim1 en raison de fortes hausses des prix agricoles, avec de nombreuses explications : gel des terres, quotas dans les pays du Nord, stocks insuffisants, forte demande de viande par les nouvelles classes moyennes, forte demande d’agrocarburants, prix élevés des engrais et produits phytosanitaires, mauvaise répartition des ressources, sécheresses, inondation, spéculation sur les marchés financiers.
Cette crise alimentaire a révélé la vulnérabilité des systèmes de production alimentaire, les problèmes de répartition et d’accès aux ressources et l’insécurité alimentaire de nombreux pays dépendants des importations de produits agricoles et alimentaires et des investissements étrangers.
A priori, la Terre peut nourrir tous ses habitants. L’OCDE2 écrit : « Ces 10 dernières années, la croissance de la production céréalière a surpassé celle de la demande ». Néanmoins, la perspective d’une population mondiale de près de 10 milliards en 2050 est-elle écologiquement soutenable ?
Huit cent-vingt millions de personnes souffrent encore de la faim, une nouvelle crise alimentaire est-elle à craindre et, à terme, un effondrement démographique ? Depuis Malthus, ces questions font débat.
La biodiversité en danger
Selon le Fonds de recherche sur la biodiversité3, « la croissance de la population risque d’engendrer à terme son propre déclin si elle s’accompagne de la dégradation de son écosystème de production alimentaire et de la baisse de l’efficacité de la production agricole ».
Un équilibre doit être trouvé entre la conservation des surfaces naturelles qui assurent la biodiversité et leur transformation en terres agricoles permettant de satisfaire les besoins des populations qui augmentent. Mais le dérèglement climatique modifie la carte agricole mondiale au détriment des pays du Sud qui perdent des terres et subissent catastrophes naturelles, conflits et migrations.
« La croissance démographique et la croissance économique constituent les deux principales causes du réchauffement climatique », rappelle le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)5. La solution est-elle dans la décroissance ? Laquelle ? Celle de l’économie et du niveau de vie, celle de la population ?
Dans les pays riches, nombreux sont ceux qui, au niveau individuel, modifient leurs habitudes alimentaires, produisent et consomment local, limitent le gaspillage… Toutefois, est-il possible de nourrir l’humanité en croissance avec la productivité d’une agriculture familiale ou la permaculture ?
À l’évidence, les modes de production, d’urbanisation et de consommation doivent être changés pour s’adapter aux contraintes climatiques et démographiques, et les politiques sociales, familiales, agricoles et foncières revues. L’alimentation est un enjeu global, sanitaire, économique et politique mondial majeur.
Pourra-t-on nourrir la planète sans condamner l’environnement et, à terme, l’humanité elle-même ? Pour lors, Malthus avait-il raison ?