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L’application Ecowatt pourrait-elle provoquer des prophéties autoréalisatrices ?

Disponible depuis l’automne, l’application Ecowatt permet à chaque citoyen de connaître l’état du réseau électrique en France. Il est censé avertir à l'avance d'un risque de coupure. Dans ce cas, selon le comportement des usagers, la prévision peut s'avérer autoréalisatrice ou autodetructrice. 

Marion Allard-Latour
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© KERMALO/REA

Vert, orange ou rouge. Trois couleurs pour savoir si l'état du système électrique est correct, tendu ou très tendu. Lancé par RTE, en partenariat avec l’Agence de la transition écologique (ADEME), Ecowatt représente une véritable météo de l’énergie. Jusqu’à présent, aucune alerte n’a été émise et les écogestes semblent porter leurs fruits.

RTE a d'ailleurs annoncé une baisse de la consommation « d’environ 8,5 % » sur le mois de décembre. « Près de 100 entreprises ont signé une cherte où elles s'engagent à relayer les signaux en cas d’Ecowatt rouge », précise le gestionnaire. « Il s’agit d’un outil pour mobiliser. Nous ne voulons pas que tout repose sur les particuliers. »

Quand la prévision se détruit elle-même  …

À l’inverse, la crainte d'une coupure peut-elle engendrer un comportement de surconsommation (augmentation du chauffage, charge des appareils électroniques…) et provoquer une prophétie autoréalisatrice ? On peut imaginer des scénarios où les individus, prévenus d’une coupure de courant à venir, montent par exemple les chauffages à fond pour "tenir" le temps de la pénurie, accélérant de fait le manque collectif d’énergie.

« L’autoréalisation est le fait se produire parce qu'on a été prédit. La prédiction suscite un certain nombre de réactions chez les acteurs (ménages, administration…) qui font qu'in fine, elle se produira, explique Isabelle This Saint-Jean, professeure d’économie à Paris 13. Il existe aussi des prévisions qui vont faire que le phénomène attendu ne se réalisera pas. Nous parlons alors de prévision "suicide ou autodestructrice". La politique du gouvernement a pour objectif que les individus soient informés des risques éventuels de coupures. En considérant ces paramètres, nous changeons nos pratiques dans le sens de la responsabilité. Dans ce cas-là, nous sommes en effet sur un potentiel registre de prévision autodestructrice ».

Correction mais pas solution 

Le risque reste néanmoins limité. Aujourd’hui, seul un million de personnes a téléchargé l’application Ecowatt. « Je ne crois pas trop à la prophétie autoréalisatrice dans ce cadre des délestages, expose Isabelle This Saint-Jean. Le temps que durerait une éventuelle coupure est très court. Principalement sur le créneau du midi et en fin de journée. »

« La majorité des gens jouera le jeu. Il y a des situations intelligentes de repli. Je pense que si des coupures surviennent plusieurs heures de suite, nous sommes capables d’aménager une zone de confort » développe la sociologue Marie-Christine Zélem.

Mais la vraie limite d’Ecowatt n’est pas tant son caractère autoréalisateur que le fait qu’il vienne pallier en dernier ressort notre dépendance énergétique. « Nous aurions dû profiter du contexte actuel pour engager les ménages et les entreprises vers de nouvelles règles de sobriété à conserver. Or, nous ne créons pas une culture de la sobriété avec Ecowatt, argumente Marie-Christine Zélem. C’est un instrument passager qui ne se traduit pas par des apprentissages. »

Un dilemme du prisonnier énergétique ?

La crise de l'énergie est un bon exemple de dilemme du prisonnier. Individuellement, et rationnellement, il peut être séduisant de régler son chauffage à 25 °C pour gagner en confort, mais cette décision est sous-optimale pour la collectivité si elle est prise par tous et que les ressources énergétiques sont limitées.

L’appellation vient d’une anecdote du mathématicien Albert Tucker. Deux individus sont arrêtés, soupçonnés d’avoir commis ensemble un vol. Incarcérés dans deux cellules distinctes sans possibilité de communiquer, ils ont le choix suivant : si un seul des deux avoue et dénonce son complice, il sera libéré, mais l’autre écopera de la peine maximale. Si les deux se disent innocents, faute de preuves, ils seront condamnés à une courte peine. Si les deux avouent, chacun verra sa peine réduite. Que faire : avouer ou nier ? Au niveau personnel, il est rationnel d’avouer et de dénoncer l’autre pour être libre, alors que du point de vue collectif, les deux ont intérêt à nier. 

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