Le petit noir va-t-il devenir un produit de luxe ? L’arabica, l’espèce de café la plus cultivée au monde – 70 % de la production, le reste étant du robusta (l’espèce s’appelle en réalité « canephora », mais est largement nommée « robusta »), qui donne un café de moins bonne qualité – est le plus menacé par le changement climatique. Originaire des hauts plateaux éthiopiens, ce café pousse dans la ceinture intertropicale, en altitude, dans des zones où les températures moyennes annuelles sont autour de 20 °C.
« Si la température augmente de plus de trois degrés, ce sera très grave. Le choix est dramatiquement simple : soit on change de zone de production, soit on agit sur la plante elle-même », explique Benoît Bertrand, chercheur spécialisé dans le café au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

C’est sur cette deuxième solution que Benoît Bertrand et son équipe travaillent depuis des années, développant de nouvelles variétés hybrides d’arabica plus résistantes au changement climatique. « Pour créer de nouvelles variétés, nous avons besoin de ressources génétiques que l’on trouve dans des caféiers sauvages. On les croise pour essayer d’obtenir la combinaison de caractères qui convient le mieux aux futures conditions », explique ce chercheur.
Cultiver en altitude ? Pas si simple
L’autre solution pour faire face au changement climatique consiste à modifier les zones de production du café, par exemple en montant en altitude, où la température sera plus basse. Mais « les agriculteurs n’ont généralement pas la possibilité de déplacer leur exploitation, les terres situées en amont abritent souvent des forêts et une biodiversité essentielles et il convient de limiter le changement d’usage des sols dans la perspective de la lutte contre le changement climatique », énumère Hanna Neuschwander, du World Coffee Research.
Une autre option consiste à changer de latitude, par exemple en faisant pousser du café en Espagne. « Ce n’est pas si simple, car le café a besoin d’une température stable tout au long de l’année, ce qui n’est pas le cas dans des pays comme l’Espagne », indique le chercheur Christian Bunn.
Tous ces efforts d’innovation prennent énormément de temps : une quinzaine d’années pour développer une variété et une vingtaine pour la tester à grande échelle. Le cahier des charges est très exigeant : ces hybrides doivent à la fois être plus vigoureux et correspondre aux besoins des producteurs (qui plantent pour une trentaine d’années), des industriels et des consommateurs.
Produire plus sur moins de terres
Les nouveaux hybrides sont « essentiels » pour améliorer la résistance aux chocs tels que la sécheresse, les fortes chaleurs ou les maladies, mais aussi pour doper les rendements, souligne Hanna Neuschwander. « Il faut produire plus de café sur moins de terres, en évitant le changement d’utilisation des sols et la déforestation, deux gros impacts de la culture du café sur le changement climatique », indique-t-elle.
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L’agriculture doit passer d’un cercle vicieux et extractif à un cercle vertueux et régénérateur.
Luciano NavariniResponsable de la recherche et de la coordination scientifique chez Illy.
Le café du futur devra donc non seulement s’adapter au réchauffement climatique, mais aussi devenir plus soutenable. « L’agriculture doit passer d’un cercle vicieux et extractif à un cercle vertueux et régénérateur », abonde Luciano Navarini, responsable de la recherche et de la coordination scientifique chez Illy. L’entreprise italienne travaille, par le biais de sa fondation, à un nouveau modèle de culture du café pour en limiter les émissions polluantes.
Le haut potentiel du stenophylla
Une autre piste d’innovation réside dans les espèces sauvages de caféiers encore non cultivées par l’homme. En effet, seules deux espèces (arabica et robusta) sont actuellement cultivées alors qu’il en existe plus de 120. Cette diversité génétique est d’ailleurs elle-même menacée par le changement climatique.
Comment mieux payer les producteurs pour que le café coule à flots ?
« Cela fait des années que la filière est en crise à cause d’un problème fondamental : la rémunération des producteurs de café », affirme Angel Barrera, responsable de l’approvisionnement chez Belco, leader de l’importation de cafés de spécialité en France. La très grande majorité des producteurs de café sont des agriculteurs individuels travaillant sur de petites surfaces (un à cinq hectares), même s’il existe de grandes plantations, notamment au Brésil, premier pays producteur au monde.
« Actuellement, les prix du café, qui sont cotés en Bourse, sont en dessous des coûts de production pour de nombreux producteurs, indique Angel Barrera. Et que fait un agriculteur qui ne couvre pas ses frais les plus basiques ? Il délaisse sa plantation et au bout d’un moment, il passe à une autre culture. »
Les prix bas sont bas depuis quelques années en raison d’un surplus de production. Une situation qui pourrait se retourner rapidement, prévient Benoît Bertrand, chercheur au Cirad. « À un moment, il y aura une chute de la production qui sera la somme de toutes les décisions prises par des millions de petits producteurs. »
Car en plus de ne pas couvrir leurs coûts, certains d’entre eux sont déjà victimes du réchauffement climatique et découragés de continuer la culture du café. Sans compter que ces petits fermiers ont très difficilement accès au crédit. « Aujourd’hui, la France s’endette à près de 0 %. Pour les producteurs de café, c’est entre 18 % et 35 %. Autant dire qu’ils ne peuvent pas s’endetter. Or sans crédit, impossible d’innover en agriculture », explique Benoît Bertrand.
Ces conditions économiques ne favorisent pas les investissements requis pour adapter les cultures au changement climatique (mettre en place des systèmes d’irrigation, des systèmes d’ombrage, souscrire à une assurance pour les années où la récolte est nulle, etc.).
De l’agriculteur au consommateur, le café passe entre de nombreuses mains (coopératives, filiales locales, courtiers, grandes entreprises, boutiques), ce qui n’incite pas à la prise de responsabilités. Certains acteurs, comme Belco, essayent tout de même d’établir des relations durables et de long terme avec les producteurs et de leur payer un prix juste.
« Nous payons au minimum une fois et demie le prix du marché, bien plus pour des cafés très qualitatifs, et on évalue toujours la pertinence du prix par rapport aux coûts de production », signale Angel Barrera.
Les chercheurs du Cirad, qui œuvrent à sauvegarder certaines de ces espèces sauvages, en ont retenu trois qu’ils ont fait déguster en décembre dernier à des spécialistes. « C’était un moment tout à fait inédit, car c’est assez rare d’introduire une nouvelle espèce dans la consommation humaine », souligne Benoît Bertrand.
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Une des espèces, stenophylla, a tout particulièrement retenu l’attention d’Emmanuel Buschiazzo, cofondateur de La Claque Café, qui a participé à cet événement « historique ». « Ce café était vraiment intéressant en tasse et beaucoup plus facile à la dégustation que le robusta », juge ce spécialiste du café de spécialité (un café de très bonne qualité), lui voyant à l’avenir un « grand potentiel ».