La vague de chaleur printanière et les températures record de juin viennent accentuer le risque d’une sécheresse généralisée qui affecterait les rendements agricoles. En France, depuis une vingtaine d’années, les rendements agricoles des céréales (blé, maïs, orge) tendent à stagner. Le changement climatique est-il coupable ?
Pour l’Éco a posé la question à Hubert Cochet, agroéconomiste et professeur d’agriculture comparée à AgroParisTech.
Pourquoi lui ?
Hubert Cochet est agroéconomiste et géographe, spécialiste des systèmes agraires et de leur évolution, ainsi que de l’étude de l’impact des politiques et des projets de développement sur leur dynamique. Il est aujourd’hui professeur d’agriculture comparée à AgroParisTech.

Source : Agreste
Légende : En France, depuis 1996, la production (en rouge) et les rendements (en bleu) du blé et du maïs n’augmentent plus.
Pour L’Éco. Les rendements agricoles ont tendance à stagner en France ces dernières années. Est-ce la faute du réchauffement climatique ?
Ce n’est pas le facteur principal. La stagnation des rendements en France est surtout due à l’épuisement d’un modèle hyperproductiviste. Nous sommes arrivés à un point où les marges de progrès deviennent infimes. En voulant continuellement augmenter les rendements, nous avons sélectionné des variétés de plus en plus fragiles qui exigent des doses croissantes d’engrais et de produits chimiques.
Seulement, cette surutilisation entraîne des résistances de la nature. De plus en plus de mauvaises herbes résistent aux herbicides, et de plus en plus d’insectes ravageurs résistent aux insecticides.
Il s’ensuit un accroissement sans fin des quantités de produits chimiques pour s’adapter à ces évolutions. Cette hausse devient à la fois de plus en plus coûteuse financièrement et de plus en plus dommageable sur le plan environnemental.
En outre, les sécheresses aggravent la situation, mais ne sont pas sa cause profonde.
Il en va de même avec la fertilité des sols, c’est-à-dire la capacité du sol à nourrir les plantes. Il est souvent dit que l’abus d’engrais et de pesticides diminue la fertilité mais la réalité est bien plus complexe. Ce qui diminue la régénération des parcelles, c’est avant tout le choix de cultiver toujours la même plante au même endroit. La simplification du modèle agricole - toujours la même culture sur toujours la même surface et sur de très grandes étendues - appauvrit nécessairement les terres et entraîne une baisse de la fertilité des sols.
Quelle est la solution pour sortir de ce cercle vicieux ?
Une des clés pour résoudre ce problème, c’est de remettre en relation l’agriculture et l’élevage au sein d’exploitations de polyculture et de poly élevage.
Historiquement, ce qui contribuait au renouvellement de la fertilité des sols, c’était l’association entre l’agriculture et l’élevage. Les déjections des animaux étaient transformées en fumier et ce dernier ensuite disposé sur les parcelles. Le fumier est rempli de matière organique, élément essentiel pour l’entretien et la régénération des sols.
À partir du moment où les exploitations agricoles sont devenues de plus en plus spécialisées, la fertilité a commencé à diminuer. Schématiquement, aujourd’hui nous avons exclusivement des cultures de céréales dans le bassin parisien et de l’élevage de cochons ou de vaches en Bretagne. Résultat, le taux de matière organique des sols est très faible dans le bassin parisien, provoquant un problème de fertilité dû à l’utilisation massive d’engrais chimiques. En Bretagne, la conséquence est un grave problème de pollution, comme les algues vertes, du fait d’un trop grand nombre d’animaux sur la même surface.
La baisse des rendements en France va-t-elle nuire aux pays qui importent nos produits ?
Soyons clairs : si nous mettons en place un système agricole plus autonome, moins consommateur d’énergies fossiles, et plus respectueux de l’environnement, alors les rendements n’augmenteront plus. Il faut saisir cette occasion pour donner en parallèle plus de souveraineté aux pays qui importent nos denrées agricoles.
Il faut cesser d’augmenter la production car les excédents européens, américains ou russes aggravent la dépendance alimentaire des pays, notamment des pays du Sud car ils ne sont pas incités à produire eux-mêmes.
La question de la disponibilité alimentaire, et de la faim dans le monde, n’est pas un problème de volume produit. En Afrique subsaharienne par exemple, il est clair que le réchauffement climatique, l’irrégularité des pluies et l’accès à l’eau font peser une menace très sérieuse sur les rendements. Mais il serait possible d’améliorer les rendements dans cette région du monde en agissant sur les politiques publiques, les politiques agricoles et en appuyant la paysannerie. Bref, il existe des marges de manœuvre.
Avec le changement climatique et la baisse de rendement dans les pays occidentaux, le monde pourrait-il manquer de nourriture ?
Malgré l’énorme défi que sera la crise climatique pour l’agriculture, il ne faut pas faire preuve de fatalisme quant aux capacités de production agricole au niveau mondial.
Si la progression des rendements stagne dans les pays d’Europe occidentale, il existe en revanche des opportunités d’accroissement de la production agricole dans de nombreuses régions du monde. Avec le réchauffement climatique, des zones auparavant trop froides deviennent cultivables, comme c’est le cas en Russie par exemple. Les hausses de production se feront dans les pays du sud, qui n’ont pas encore développé leur plein potentiel, pour répondre au défi de la faim.