Les Français sont-ils moins « inquiets » vis-à-vis du changement climatique ? C’est ce que laisse croire une étude de l’Observatoire international climat et opinions publiques, réalisée par l’Ipsos pour EDF début décembre.
En 2022, l’une des années les plus chaudes depuis des décennies, le mercure a battu des records. Certaines parties inattendues du territoire se sont embrasées, à l’instar de la Bretagne, et d’autres se sont asséchées, au cours d’un été caniculaire. Des événements qui « ont fortement marqué les Français », pour qui l’environnement reste une des priorités, derrière le pouvoir d’achat.
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Accoutumance au risque climatique ?
Mais le climat, paradoxalement, ne les tracasse pas davantage. Pis, l’appréhension générale face au réchauffement de la planète régresse de six points par rapport à 2021, tombant à 64 %. Plus d’un tiers de la population continue de se dire « en colère » (-3), d’autres « démoralisés » (-1). Le reste se partage grossièrement entre les sceptiques, les indifférents, les confiants ou encore les optimistes.
À rebours de la plupart des autres sondages sur le sujet, cette étude a de quoi étonner. « Je pense que le désordre climatique de cet été a eu l’effet inverse de celui escompté. C’était tellement énorme que les gens ont résumé les catastrophes à une explication du type ‘la nature est folle’, coupant le lien avec les raisonnements scientifiques, estime Daniel Boy, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas conscients du défi, mais plutôt qu’ils ont été dépassés par des événements multiples. »
Pour François Gemenne, chercheur et membre du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies), c’est, au contraire, l’image qu’il se fait de l’opinion publique sur le changement climatique. D’abord, « beaucoup de personnes n’ont pas été personnellement, directement touchées et donc se disent que 'ce n’est pas la peine de s’affoler pour ça' », déroule le politologue. Ensuite, « on constate un phénomène d’accoutumance du fait qu’on matraque sur le climat. Comme pendant la période covid, je pense qu’à un moment les gens vont en avoir marre de voir des climatologues », craint-il.
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Tout cela serait, selon lui, accentué par l’omniprésence des discours défaitistes dans les débats publics. Répéter qu’il n’y aurait « plus rien à faire, qu’on va tous mourir, génère de la lassitude. À force d’entendre ça, on en vient à être démoralisé », poursuit François Gemenne.
Ce marasme ambiant toucherait en premier lieu la jeunesse. Celle-ci est, peut-on lire dans le rapport, soit « plus indifférente (16 %, contre 7 % pour l’ensemble), soit au contraire manifeste une plus grande démoralisation (38 % contre 27 % pour l’ensemble) » que le reste de la population.
Le retour des climatosceptiques ?
Pourtant, une donnée détonne : en France, la tranche d’âge la moins anxieuse est celle des 16-24 ans (45 % d’inquiétude, contre 64 % pour le reste de la population). Et de façon générale, l’âge n’apparaît pas comme un critère clivant sur ce sujet : le taux de climatoscepticisme est très proche dans toutes les catégories d’âge. « On aurait pu penser que les jeunes étaient les plus sensibles, et donc les plus actifs », s’étonne Daniel Bloy, qui cite les mouvements de désobéissance civile Extinction Rébellion et Dernière Rénovation, ou encore les Marches pour le climat. Ces mobilisations, largement couvertes par les médias, restent néanmoins très parisiennes. La réalité, assure François Gemenne, c’est que la « génération climat n’existe pas ». Même si la jeunesse reste, en majorité, sensibilisée à la question.
Enfin, l’Observatoire international climat et opinions publiques constate que de nombreux Français se sont détournés des actions individuelles. Alors que les chiffres progressaient depuis trois ans, atteignant 61 % en 2021, ils ne sont plus aujourd’hui que 49 % à s’impliquer dans le quotidien. Une dégringolade qui s’explique, selon Daniel Boy, par le concept du "passager clandestin", une personne ou un groupe de personnes qui bénéficie d’un avantage résultant d’un effort collectif, tout en y contribuant peu ou pas du tout. Dans ce cadre-là, ceux qui tentent de « faire tout comme il faut » seraient découragés par les pratiques anti-écologiques de leurs voisins, décrit le chercheur. Parmi les plus désinvestis, on retrouve les moins de 25 ans, aux côtés des ouvriers.
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Ainsi, la tendance serait plutôt favorable au… climatoscepticisme (le fait de considérer, contre le consensus scientifique, que les activités humaines ne sont pas à l’origine du réchauffement climatique).
Celui-ci progresse de manière continue depuis trois ans. Un héritage, explique François Gemenne, d’un temps – pas si lointain - où les climatosceptiques pouvaient allégrement s’épancher dans les médias. « Même si on ne les voit plus, ils gardent un poids très important et ont créé le doute au sein de la société. Aujourd’hui, on pense que le combat est gagné, alors qu’en vérité, ce doute persiste. »
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