« Bienvenue dans un monde nouveau, où les Européens vont bientôt payer 2000 euros pour 1000 mètres cubes de gaz ». Dans un tweet le 22 février dernier, l’ancien président russe Dmitri Medvedev a menacé d’une explosion encore plus élevée des prix du gaz si l’Europe décidait d’interrompre ses importations.
Une menace à prendre au sérieux : le gaz est la troisième source d’énergie pour les pays européens (derrière le pétrole et le charbon), qui en dépendent pour chauffer une partie de leurs logements.
La Russie détient entre 30 et 40% des parts du marché gazier européen selon les années, et peut s’en servir comme arme géopolitique face aux Occidentaux. Le niveau de dépendance de certains pays européens est tel que l’Allemagne a même refusé un embargo sur les importations russes car elles étaient « essentielles » pour conserver la « paix civile ».

La France est plus protégée que ses voisins européens de cette dépendance. Alors qu’en Allemagne, en 2020, 66% du gaz est russe, ce chiffre n’atteint que 17% dans l'Hexagone.
Au 7 mars, avant même un très hypothétique embargo européen, le prix du gaz européen sur les marchés s’élevait déjà à 345 euros le mégawattheure, un record.
Gaz naturel
Extrait par forage, le gaz naturel est un hydrocarbure fossile créé à partir d’une matière organique vieille de plusieurs millions d’années. Il est inodore : afin de détecter les fuites de gaz, les industriels y ajoutent un odorant artificiel. La Russie, l’Iran et le Qatar disposent, dans cet ordre, des plus grandes réserves mondiales de gaz naturel, qui sert notamment au chauffage ou à la production d’électricité. Le gaz se mesure en mètres cubes mais se paie en fonction du nombre de kWh. Il y a deux gaz différents, le gaz H (haut pouvoir calorifique) et le gaz B (bas pouvoir calorifique). Ce dernier provient principalement des Pays-Bas, tandis que le H vient de la mer du Nord, de la Russie ou d’Algérie.
Combien ça coûte aux Français ?
On estime aujourd’hui à 11 187 kWh par an la consommation moyenne de gaz naturel des foyers français. Selon les tarifs réglementés d’Engie en février 2022 (avec la zone tarifaire), la facture annuelle moyenne pour les consommateurs de gaz s'élève à 1234 euros.
Toutefois cette moyenne cache de grandes disparités selon l’usage : les foyers utilisant le gaz comme chauffage du logement, soit le poste de dépense le plus élevé, vont consommer davantage. Et au contraire, les foyers n'utilisant le gaz que pour l'eau chaude et/ou la cuisson, vont avoir une consommation moyenne très inférieure.
Trois classes de consommation existent : basse (entre 0 et 6000 kWh par an, pour ceux qui ne s’en servent que pour la cuisson), B0 (entre 6000 et 11 000 kWh par an, soit la consommation pour l’eau chaude et les sanitaires) et B1 (entre 11 000 et 30 000 kWh par an, pour entièrement se chauffer au gaz).
Par exemple, au tarif réglementé de base de 2022, le prix moyen du mètre cube de gaz s’élève à 1,025 euro pour le gaz H et à 0,915 euro pour le gaz B. En zone tarifaire 1 et en classe de consommation B1, le coût du gaz est de 0,583 € (gaz H) ou de 0,521 € (gaz B). En zone 6, le prix augmente à 0,624 € et à 0,557 €.

Pour bénéficier du gaz, le logement doit être raccordé au réseau de distribution. Le coût des travaux varie selon l’usage du gaz souhaité et l’emplacement du domicile. Les zones tarifaires sont de 1 à 6, et varient selon la localisation de l’emplacement à raccorder (27 000 communes en France ne seraient pas raccordées au gaz de ville selon un comparateur de prix spécialisé dans l'énergie).
Le tarif réglementé du gaz est fixé par les pouvoirs publics : c'est sur celui-ci que se basent les fournisseurs alternatifs pour fixer les tarifs de leurs offres de marché. Il varie en fonction de nombreux paramètres : le cours du gaz (lié à celui du pétrole), la zone tarifaire du logement, la classe de consommation….
Comme le gaz naturel n'a pas la même composition pour tous les départements français, en fonction de l’endroit d’où il vient, GRDF a défini un coefficient de conversion. Chaque consommateur a ainsi un tarif de gaz équivalent. Ce coefficient est estimé à 11,2 kWh pour un mètre cube de gaz H, le gaz le plus commun, et de 10 kWh pour le gaz B. Il dépend de trois critères : la pression atmosphérique, la température et la qualité du gaz.
Un prix réglementé jusqu’en 2023
Les habitués (3,6 millions fin 2019) du tarif réglementé de vente de l’énergie (TRV) vont devoir se tourner vers d’autres offres. La fin de ces tarifs est prévue en juin 2023 selon la décision du Conseil d’Etat.
Un marché du gaz qui s'ouvre peu à peu à la concurrence
Le marché français du gaz date de 1946 et de la loi de nationalisation. Cette loi a acté la création d’EDF (Electricité de France), pour l’électricité, puis GDF Suez, devenu Engie, pour le gaz. Le point commun de ces fournisseurs historiques est qu’ils sont les seuls à proposer les tarifs réglementés du gaz, des tarifs fixés par la Commission de régulation de l’énergie. GDF Suez a le monopole de la fourniture du gaz sur le territoire français, couvert à 95% par le réseau GRDF.
Les fournisseurs de gaz alternatifs ont vu le jour lorsque le marché du gaz s’est ouvert en 2007 à la concurrence. Ils ne dépendent pas de l’État et ne sont donc pas dans l’obligation de fixer des tarifs réglementés.
Ils peuvent donc proposer un prix bien plus intéressant à leurs clients. Par exemple, Engie est un fournisseur alternatif d’électricité, car il est un concurrent d’EDF sur ce marché. À l’inverse, EDF est un fournisseur alternatif de gaz. Aujourd’hui, Total Direct Energie est le premier fournisseur alternatif en gaz, avec 4 millions de clients en 2021 selon Selectra.info.
L’Etat tente d’atténuer les hausses
En attendant, pour rassurer les Français face à la hausse des factures, Bruno Le Maire a annoncé le 7 mars sa volonté « d'étendre le gel des prix du gaz (mise en place en octobre 2021) non pas jusqu'au mois de juin 2022, mais jusqu'à la fin de l'année 2022. »
Le coût ne sera pas neutre pour les finances publiques. « Initialement, cette décision devait coûter un milliard d'euros. Cela devrait finalement être de 10 milliards d'euros sur l'intégralité de l'année 2022 si nous prenons la décision d'étendre ce gel. Le prix du gaz a plus que doublé depuis que nous avons décidé cette mesure », a-t-il confié chez nos confrères de BFM TV. Ce n’est pas rien : 10 milliards d’euros, cela équivaut à trois fois le budget du ministère de la Culture dans le budget de l’État français en 2022, pour au final subventionner la consommation d'énergie fossile.
Le stockage, un point stratégique crucial
En France, deux opérateurs de stockage (Storengy, filiale d’Engie, et Terega, de Total) géraient en 2019 un stock de près de 12 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Un stockage très encadré, car il permet aux fournisseurs d’assurer un approvisionnement continu avec un volume stable toute l’année, en limitant la dépendance aux pays producteurs. Comme la quantité de gaz consommée en hiver est 6 fois plus importante qu’en été, le gaz stocké permet de pallier les besoins en fonction des demandes, explique Engie.
Chaque année, le gouvernement détermine le niveau minimum de réserve de gaz nécessaire (90% au 1er octobre) pour assurer la sécurité d’approvisionnement nationale. Chaque fournisseur a l’obligation d’acquérir des garanties de capacité afin de pouvoir répondre en période de pointe, à la demande de ses clients. Il participe à des enchères qui ont lieu plusieurs fois par an, où il peut acquérir la quantité de gaz voulue.
Une réforme en 2018 a acté l’abandon d’un système d’obligation de stockage imposé par le gouvernement aux fournisseurs. Cet abandon a un double objectif : s’assurer que les volumes minimum de stockage pour la sécurité d’approvisionnement sont bien souscrits par les enchères, et garantir le revenu aux stockeurs pour qu’ils puissent maintenir leur activité, vitale pour le fonctionnement de l’énergie en France.