Le projet est colossal : installer six nouveaux EPR (alias réacteurs pressurisés européens), de deuxième génération en France, avec des premières échéances dès 2035. Ce chantier pharaonique annoncé en février 2022 par le gouvernement a un coût : 51,7 milliards, simplement pour sa construction. Une enveloppe hors inflation, hors coût du crédit, fixée avant la période de hausse des coûts que nous traversons aujourd’hui… Sachant que l’EPR de Flamanville a coûté 19,1 milliards au lieu des 3,3 initialement envisagés, avec un chantier quatre fois plus long que prévu, ce montant pourrait encore progresser…
Alors, se demande l’exécutif, comment financer un tel projet ? Durant les premiers grands investissements dans le nucléaire, lors des Trente Glorieuses, le contexte était différemment… « Il est certain que la situation est bien plus compliquée que dans les années 1970, période où la France n’était pas encore intégrée au sein du marché européen de l’énergie ouvert à la concurrence. À l’époque, EDF a pu largement autofinancer la croissance du parc », acquiesce Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières de l’université Paris Dauphine.
Financement et structuration
Cette question du financement n’est pas anodine pour les Français. Selon le taux d’intérêt qui sera in fine appliqué à l’ensemble du chantier, le coût de production de l’électricité, et donc le prix au mégawatt heure, pourrait grimper du simple au triple (50 euros si le taux avoisine les 3 % et jusqu’à 150 euros s’il se rapproche plutôt des 12 %…).
« Cela est difficile à prévoir à l’instant T. Ces gros investissements de long terme se calculent dans le temps. Si l’on revient en arrière, les infrastructures de nucléaire ont coûté cher dans les années 1960 et 1970, mais ont permis d’accéder à de l’électricité à faible coût pendant des décennies. Attention à ne pas confondre charge, coût et investissement », souligne Virginie Monvoisin, enseignante-chercheuse à Grenoble École de Management, spécialisée sur les évolutions du système monétaire et bancaire.
Elle n’est pas anodine non plus pour EDF, dont la structuration reste en suspens. Il n’est pas impossible qu’il faille créer une entité séparée pour gérer ce futur projet nucléaire. Cela avait été demandé par la Commission européenne à la Hongrie pour son projet Paks 2. De quoi inquiéter les syndicats d’EDF, comme ils l’expliquaient à nos confrères des Echos : « Il y a un vrai risque que la Commission européenne impose de séparer le nucléaire existant, du nucléaire futur. On risquerait alors de perdre de nombreuses synergies… »
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Le livret A et ses 375 milliards
Alors, pour trouver les fonds nécessaires, le gouvernement réfléchit. Le livret A, placement préféré des Français, cumule 375 milliards d’euros et représente 14 % du patrimoine financier des ménages. Pourquoi ne pas piocher dans cette manne stable et récurrente ?
Première difficulté : les montants stockés sur les livrets A ne sont pas un trésor de guerre illimité : une partie de l’épargne collectée est centralisée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui l’utilise déjà pour la construction de logements sociaux. Cet argent est notamment investi dans des « projets d’intérêt général et verts », via des prêts de long terme. Le nucléaire répond-il à cette définition ? La réponse est très politique.
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« Financer le nucléaire par le canal du livret A conduirait à sortir des usages conventionnels et ne manquera pas de susciter le débat », met en garde Patrice Geoffron. Mi-février, YouGov a réalisé un sondage à ce sujet. Résultat mitigé : 45 % des Français y sont favorables, 37 % contre, le reste ne se prononce pas.
Vers un nouveau livret réglementé ?
Pourrait-on imaginer la création d’un autre livret, comme le Codevi devenu LDD en 2006, puis LDDS (livret de développement durable et solidaire) en 2016 ? « Je ne suis pas certaine que créer un autre livret soit la solution la plus intéressante, réfléchit Virginie Monvoisin. Il existe d’autres possibilités, pourquoi ne pas créer des titres de souscription, des obligations de long terme ? L’État pourrait appeler chacun à participer, sur la base du volontariat, à la souveraineté énergétique du pays ».
Patrice Geoffron, de Dauphine, se souvient de l’évocation de la possible création d’un « livret vert » par Bruno Le Maire. Le ministre de l’Économie et des Finances l’avait en effet proposé en décembre, imaginant un produit d’épargne « un peu moins liquide » que les autres livrets réglementés. « Toutefois, le lien n’a pas été fait avec un quelconque financement du nucléaire », relève le chercheur.
Mais alors, piocher dans le livret A, nos experts y croient-ils ? Réponse de Virginie Monvoisin. « Je pense que le gouvernement a voulu tester cette hypothèse mais cela ne me semble pas une piste sérieuse. D’autant qu’en cette période d’inflation, il n’est pas impossible que les ménages désépargnent… », tranche l’économiste. Quant aux solutions de financement de ce vaste chantier nucléaire, il faudra désormais attendre le plan du gouvernement, pour connaître les options qui seront finalement retenues.
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