L’Essentiel
- Fin novembre 2022 lors de leur congrès, les maires de France ont regretté à la fois leur manque de liberté et de moyens financiers de l’État dans le cadre de la transition écologique
- Ils s’appuient sur le « principe de subsidiarité » pour appeler à davantage d’autonomie
- Cela questionne le rôle de l’État dans le cadre de la transition écologique, entre le besoin d’un cadre et d’objectifs clairs à l’échelle nationale et prise en compte différenciée des réalités locales
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La transition écologique n’est pas une mince affaire. Pour s’adapter au changement climatique, les Français doivent modifier leur mode de vie, leurs pratiques. Cela signifie des bouleversements immenses dans de nombreux secteurs : entreprises, transports, immobilier, mode, agriculture, etc. S’ajoute à cela le fait que les défis divergent en fonction des territoires. Gestion des déchets, désartificialisation des sols, isolation des bâtiments, plan de circulation…
À travers l’Hexagone, les dossiers se ressemblent mais sont appliqués différemment que l’on soit en montagne, en bord de mer ou en pleine campagne. En banlieue parisienne par exemple, où il faut éclairer les stations de RER tôt le matin et tard le soir, la politique d’éclairage public ne peut être la même que dans les bourgs ou les villages.
Les maires demandent de la liberté d’action…
C’est ce message que les maires ont adressé au président de la République et au ministre de la Transition écologique lors du congrès de l’Association des maires de France (AMF), tenu à Paris du 22 au 24 novembre.
Les édiles, venus des quatre coins de la France, ont répété leur « rôle essentiel » dans la transition écologique. « Nous sommes les seuls à avoir une connaissance très profonde de nos terrains, de ses acteurs, ainsi que de ses habitants », a expliqué Christian Métairie, maire d’Arcueil, dans le Val-de-Marne. Une position clé, souvent ignorée par les services de l’État, regrettent-ils. Selon eux, les lois nationales sur le sujet manquent « de souplesse » et ne sont pas « déclinables » en fonction des problématiques locales.
L’objectif de Zéro artificialisation nette à atteindre en 2050 fait notamment grincer des dents. Adoptée en 2021, elle consiste à limiter l’expansion des villes ainsi que les constructions immobilières sur des espaces naturels ou agricoles et à accorder une place plus importante à la nature. Mais la démarche, aux contours flous, est dure à mettre en œuvre sur le terrain.
C’est pourquoi, fin novembre, les édiles ont profité de leur voyage à la capitale pour rappeler au gouvernement que le principe de subsidiarité devrait « présider » à toutes actions publiques. « Le principe de subsidiarité s’intéresse à la répartition des pouvoirs entre différents niveaux hiérarchiques, en partant du principe qu’il convient autant que possible de gérer les problèmes au plus près du citoyen, sauf si une meilleure efficacité peut être trouvée à une échelle supérieure », déroule dans un article publié en septembre l’environnementaliste Aurélien Boutaud.
Principe de subsidiarité
Maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d’une action publique revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action. Ce principe définit les règles hiérarchiques relatives à l’intervention des pouvoirs publics entre l’Union européenne, les États membres et les échelons décentralisés (régions, départements, etc.).
Dans ce cas précis, les maires auraient voulu imaginer eux-mêmes les règles d’application de cette démarche d’artificialisation nette, l’urbanisme et le logement faisant partie de leurs champs d’action.
L’environnement est une autre des compétences des élus locaux, et c’est pour cela qu’ils réclament plus de « liberté pour agir ». Le congrès a manifestement porté quelques fruits : selon le président de l’AMF, David Lisnard, Emmanuel Macron a ouvert la porte à « un nouveau chapitre de la décentralisation » en promettant un transfert des « responsabilités » et des « financements » nécessaires.
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En 2020, le gouvernement avait déjà fait un pas dans cette direction en lançant le Contrat de relance et de transition écologique. Celui-ci permet aux services de l’État et aux collectivités de se mettre autour de la table pour travailler ensemble sur une transition écologique adaptée localement.
Une volonté de donner plus de place aux élus locaux, répétée par la Première ministre en octobre dernier, à l’occasion de la 32e Convention des intercommunalités de France : « Alors qu’il revient à l’État et aux régions de donner les grandes orientations, les intercommunalités sont les maîtres d’œuvre », a-t-elle loué.
En effet, les collectivités ne peuvent transformer seules leur territoire. « Faire des mesures non territorialisées serait une erreur. Pour autant ça ne veut pas dire qu’il faut laisser les communes se débrouiller. Aujourd’hui il y a un manque d’orientation permettant de tendre dans la même direction », confirme Laurent Delcayrou, du think thank The Shift Project, qui œuvre en faveur d’une économie décarbonée.
Un point que partage l’environnementaliste Aurélien Boutaud. dans un pays construit historiquement autour d’un État fort et centralisateur, « le gouvernement devrait embrasser ce rôle et donner un cap clair sur ce qu’il faut faire car l’urgence est à l’action et non à la délibération. Mais pour l’instant, on fait un peu tout mal : on ne laisse pas assez de liberté aux communes et on n’a pas de réelle planification ».
… et des moyens
Enfin, la transition écologique coûte cher. Là aussi les avancées sont timides : en septembre, le gouvernement a annoncé la création d’un fonds vert de 1,5 milliard d’euros. Un montant non négligeable, mais encore insuffisant. D’après l’Institut d’économie climatique, il faudrait dépenser au moins 2,3 milliards d’euros par an.
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Parfois, ces dysfonctionnements causent de vraies colères au sein du monde rural. Le projet de loi sur l’accélération des énergies renouvelables en est le dernier exemple. L’État souhaite implanter, partout où il est possible, des parcs solaires et éoliens pour répondre à la crise énergétique et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Seulement, une majorité de citoyens s’y oppose souvent férocement sur place.
NYMBY
Acronyme de l’expression anglaise « Not In My BackYard », qui signifie « pas dans mon arrière-cour ». Désigne les oppositions de riverains à l’implantation d’infrastructures nouvelles, perçues comme potentiellement nuisibles. Ces oppositions peuvent viser l’implantation de grands bâtiments, d’infrastructures routières, de lignes de train, d’éoliennes…
Tout ceci conforte « le sentiment que nous ne sommes pas sur un dispositif ascendant [en termes de prise de décisions], mais bien descendant, a reproché la maire de Valloire-sur-Cisse (Loir-et-Cher), Catherine Lhéritier, lors du congrès des maires. Alors même que ce sont nous qui portons les conséquences de ces décisions et leur mise en musique à l’échelon local. »
Ces cas-là, où l’État préfère passer en force, démontrent un manque « de sensibilisation, de dialogue », estime Laurent Delcayrou. Et de conclure : « Il faut expliquer plus et mieux. Aujourd’hui, on tend progressivement vers ça, mais on en est encore loin. »
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